| CHAPEAUX DE PAILLE EXOTIQUES Francis Marre La Nature, N°2100- 23 Aout 1913 Avant l'époque de la conquête française, l'industrie des chapeaux en paille tressée était traditionnelle à Madagascar, surtout dans la région de Tananarive. Les nobles Hovas portaient une sorte de haut de forme en paille dont la partie supérieure de la calotte était rapportée et cousue à la main; mais le prix relativement élevé de cette coiffure n'en permettait guère l'usage qu'aux riches et aux notables. Quant aux gens du peuple, ils se contentaient de porter le chapeau bourjane ou la capeline à larges bords que n'ont jamais abandonnée les Betsimaraka de la côte orientale. La seule paille employée était alors l'Ahibano, qui pousse abondamment et sans culture dans les vallées humides comme au bord des cours d'eau. Elle est encore aujourd'hui récoltée, travaillée et blanchie au soleil par les Malgaches qui en font un important commerce et la vendent aux représentants d'un certain nombre de maisons françaises ; celles-ci l'exportent, pour le compte de divers chapeliers de la métropole auxquels elle convient d'une façon parfaite, à cause de sa solidité, de sa très grande finesse et de la facilité avec laquelle on peut lui faire subir toutes les mises en forme qu'exigent les variations incessantes de la mode féminine. La paille « Penjy » est surtout récoltée dans l'Imerina : elle est d'un vert foncé virant au marron après exposition au soleil ; quand on en refend les brins dans le sens de leur longueur, 'on obtient, grâce à la partie intérieure de la tige qui est d'un blanc ivoirin, des pailles bicolores, avec lesquelles il est facile de produire des effets décoratifs curieux. C'est avec la Penjy que sont faits ces chapeaux de bains de mer pour enfants et fillettes auxquels leurs couleurs, d'un beau panaché vert et blanc, valent un certain succès d'originalité. L' « Arefo » est spéciale à la région du Betsileo : on la récolté d'Ambositra à Fianarantsoa et jusqu'à Mananjari. Elle est de couleur verte, mais d'aspect assez grossier et d'une qualité inférieure qui limite son emploi la fabrication des chapeaux à bon marché que portent les indigènes pauvres. Cependant, on commence à en exporter en Europe et en Amérique des quantités assez considérables, et les manufacturiers s'en servent pour fabriquer les formes » ordinaires, vendues par les modistes à façon et lés magasins de nouveauté. Enfin, la chapellerie malgache se sert encore de deux sortes de fibres, la « Bao » et la « Manarana ». La première, d'un blanc laiteux à reflets argentés, est extraite du raphia qui croît en abondance sur les côtes Est et Ouest; mélangée en proportions convenables à l'Ahibano, elle donne des chapeaux extrêmement légers et néanmoins très solides. Quant à la Manarana, qui est de couleur jaunâtre, elle possède dés qualités de souplesse, d'élasticité et de résistance si remarquables qu'on l'emploie pour faire des coiffures susceptibles d'être roulées, froissées et mises en poche sans se déchirer ni se casser aux plis. Les chapeaux de Manarana ont fait leur apparition en France et en Angleterre au début du printemps de 1906; ils ont rapidement conquis auprès du public, sous le nom de a Panamas malgaches » une faveur qu'expliquent à la fois leurs qualités intrinsèques et leur prix de vente modéré. Les ateliers où sont mises en oeuvre ces diverses sortes de pailles et de fibres sont répartis dans . un grand nombre de centres ruraux et emploient des femmes dans la proportion moyenne de 75 à 80 pour 100. Au point de vue économique, ils peuvent être distingués en deux catégories. Les premiers ont à leur tête des contremaîtres européens, et le personnel ouvrier qu'ils occupent est salarié à la journée; ils se bornent à exécuter les commandes directes des négociants exportateurs, et à travailler, sur leurs indications, une matière première qu'ils leur fournissent. Les seconds, au contraire, sont constitués par la réunion d'un certain nombre d'associés dont le chef, généralement sorti d'un atelier patronal, a dirigé l'instruction professionnelle.: ils achètent en commun, ou parfois récoltent et préparent eux-mêmes. la paille et la fibre dont ils ont besoin, puis fabriquent, en copiant les modèles qui leur sont remis au fur et à mesure des changements de Rome ou d'aspect imposés par la mode; ils vendent aux représentants locaux des négociants européens et s'efforcent d'obtenir, par de longs marchandages, un prix aussi rémunérateur que possible. Ces ateliers sont, en somme, de véritables coopératives de production et de vente, tandis que les premiers sont simple-. ment des manufactures. La population malgache, généralement d'une indolence profonde, et rebelle à toute autre occupation que le travail au jour le jour, s'est rapidement adaptée à la besogne industrielle que lui offraient les chapelleries. Assurés du lendemain, les ouvriers des deux sexes s'intéressent maintenant à elle ; ils obtiennent des résultats tout à fait remarquables, grâce aux qualités très réelles d'habileté et d'adresse manuelles qui les caractérisent. En 1908, il a été exporté de Madagascar 80.000 chapeaux de paille et près de 220 000 en 1942. Les commerçants européens qui les ont achetés, séduits par leur souplesse et par leur a fini », paraissent de plus en plus disposés à assurer dans l'avenir d'importants débouchés à la chapellerie malgache. Nous payons annuellement pour les Panamas un tribut fort lourd aux Républiques sud-américaines, ainsi qu'aux usines rhénanes qui Inondent' nos marchés de a Panamas » grossièrement imités et tressés avec des brins de jonc habilement refendus. Il serait désirable que la plus grosse part de ce tribut allât à ceux de nos compatriotes qui ont su, par leur intelligence, leur travail et leur énergie, créer une. industrie nouvelle dans le pays neuf où ils sont allés se fixer. | |