LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Les Candidats au mariage  -Novembre 1912
         
 

C’est une ruée. Dès qu’une jeune fille a dix-sept ans, dès qu’un jeune homme en a vingt-cinq, dès qu’un célibataire se sent devenir poussif, ils entrent en piste, suivis ou non du chaperon maternel, et piquent au poteau.

 

Le dessein avéré s’affuble de plus ou moins de conventions. La petite vierge que « Madame Mère » exhibe pour la première fois dans un salon où chaque éventail épie, où chaque monocle guette, ne s’aventure point avec la même audace que le snob rompu aux subtilités et aux menus profits des flirts. Mais, au fond, chacun sait bien de quoi il retourne.

- Ah ! ah ! une surprise ! Vous avez entendu annoncer ?... C’est, à ce qu’il paraît, la petite Purissima... L’air un peu bébête, mais de la ligne et de l’ingénuité... Vous connaissez la dot ?

Et lorsque c’est un gardénia nouveau venu :
- Dites, ma chère, ce jeune homme là-bas... Vous savez qu’il est baron ?... Oh ! pas très riche, mais des espérances ! Un de ses oncles élève des boeufs au Canada.

 

Fabiono Les CPA LPM n°45

 
 


 
 

Pour l’héritière, de même que pour le jeune mariable fortuné, la tactique est bien simple : laisser venir, tâter du bout du fer, puis rompre. Mais pour la petite Purissima (précisément celle dont je vous ai présenté un échantillon ci-dessus), pour ces chères innombrables ingénues, en l’avenir desquelles les « Madame Mère » sans fortune placent elles-mêmes leurs espérances, et qui se lancent innocemment dans la bataille avec la seule rouerie maternelle pour guide et la seule beauté de leurs yeux pour armes, quelle guerre terrible, mes chères amies ! quelle lutte semée d’embûches et fertile en déceptions, en mortifications, en chagrins, en nausées !

 

« On » s’offre. Virtuellement, « on » crie par geste, par chaque clin d’oeil : – « Prenez moi donc, je vous en prie ! C’est vrai que je n’ai pas de dot. Mais je vous aimerai, Monsieur, ni moins, ni mieux qu’une autre. Et puis, papa et maman grillent tellement d’envie de me marier. Pensez donc ; une bouche de moins à nourrir, peut-être la pension alimentaire assurée !... »

 

Ce qu’elles sifflent au disque, les petites Purissima.... Madame Mère pousse : – « Blanche, attention ! le jeune homme blond t’observe !... Blanche, comment se fait-il que le fils Samuel ne soit pas encore venu te demander une valse !... Blanche, un brin de poudre : la chaleur te congestionne ! »

 

Et quand le disque s’ouvre pour telle ou telle amie, l’envie dissimulée, les larmes secrètes, les scènes à portes closes dont Madame Mère est le seul juge, le seul témoin !

Quelle drôle de comédie, tout de même que la vie ; et combien heureux sont les jeunes gens sans malice, qui, ayant eu la chance de côtoyer de front la même route, peuvent, à l’heure choisie par eux, se retourner d’un commun accord, échanger loyalement le baiser de l’hymen, puis continuer tranquillement leur chemin sans avoir recouru à cette course affolée que nous dénommerions la course au mariage, si nous n’osions la qualifier de mariage à la course !