CORSAIRES et FRAUDEURS

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En 1673, tandis que le Chevalier de RANTOT obtenait de l’Amirauté une commission de capitaine pour commander « LA FRANCOISE » et avec elle «  course sus aux pirates et gens sans aveux même aux Hollandais et autres ennemis de la couronne, son frère Pierre JALLOT, armait en course, une frégate de 30 pièces de canons «  LA SUZANNE » et s’emparai du vaisseau hollandais « LE MODELE », pour lequel il touchait une gratification de 2000 livres, le roi donnant alors aux armateurs 500 livres pour chaque pièce de canon capturée sur les navires ennemis .

 

Mais la SUZANNE allait bientôt se trouver mêlée à une autre aventure qui eut à cette époque, un grand retentissement.

 

On sait qu’elle fut l’attitude de l’Angleterre pendant la guerre de Hollande. D’alliée  qu’elle était au début, elle ne tarda pas à devenir notre ennemie. Indisposée par le relèvement  de notre marine marchande, ayant perdu du fait de la guerre le commerce du nord et menacée de se voir enlever le commerce du levant par l’entrée en ligne de l’Espagne, l’Angleterre se retira de la lutte, le 19 Février 1674, en traitant séparément  avec les Pays Bas.

 
         
 

A l’alliance devait succéder logiquement l’hostilité. Afin d’éluder nos prohibitions, les  Hollandais, plaçant sous pavillon neutre les vaisseaux qui dormaient inutiles par milliers dans leurs ports, de faisaient délivrer à Londres lettres de naturalité et lettres de mer.

 

« Une fourberie aussi grossière, flagrante contravention d’un règlement britannique qui réservait les passeports aux navires nationaux ne pouvait pas être tolérée par nous »

 

La complicité de l’Angleterre s’aggrava du transport de troupes et toutes sortes de marchandises de contrebande dans les états d’Italie sous la domination du roi d’Espagne.

 

 
         
 

Quelque liberté que revendiquaient les  Anglais, de pareilles infractions à la neutralité étaient illégitimes. Il en résulte que les prises de guerre contre lesquelles la Grande Bretagne protesta, mais dans beaucoup, après de multiples procédures, furent reconnues légitimes.

La tension s’accrût au mariage de la nièce de Charles II avec le Prince d’Orange


Le 10 Janvier 1678, la Grande Bretagne entrait dans le consortium de nos ennemis.

 

Or, deux années auparavant, dans le courant d’Avril 1676, les quatre Frères JALLOT, Pierre, Sieur de RANTOT, Henri Robert, Chevalier de RANTOT, Jean, Sieur d’OUVILLE et Adrien, dit le Chevalier de BEAUMONT, faisant la course dans la Manche s’étaient emparés de cinq navires, soit disant Anglais, mais qu’ils prétendaient être Hollandais ou Hambourgeois c'étaient :


  LA GRANDE ELISABETH de LONDRES, capturée par LE POSTILLON commandée par Henri Robert, Chevalier de RANTOT

 

LE SAMUEL, capturé par la Frégate  L’HEUREUSE, commandée par Jean d’OUVILLE et son frère Adrien, chevalier de BEAUMONT

 

LE CYGNE, LA FLEUR DE MAI et LE GUILLAUME, capturés par LA SUZANNE, commandée par Pierre, chevalier de RANTOT

   

Deux autre bâtiments étrangers, LE DRAGON VERT et  LA PETITE ELISABETH  avaient été également été pris par des corsaires appartenant à la société dont faisaient partie les frères JALLOT, lors d’expéditions où ces derniers ne se trouvaient pas embarqués, le premier par un nommé LANOUE-COFFIN, le second un sieur LA PORTE-CAUSSIN, bourgeois de Cherbourg. Pillés et débarrassés des « meubles » et de l’argent qu’ils renfermaient, 7 navires capturés furent amenés en rade de Cherbourg

 
         
 
 
  Cherbourg sous le 1er Empire Collection CPA LPM  
         
   
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Ce beau coup de filet faillit déchaîner la guerre avec l’Angleterre, s’emparer de bâtiments appartenant a une puissance neutre, et les piller, c’était un acte de piraterie, auquel  s’ajoutait une circonstance aggravante. Pour faire déclarer aux hommes aux équipages saisis qu’ils étaient Hollandais, nos corsaires avaient usé d’un moyen énergique. Comme ces matelots nieront, ce que ‘on voulait leur faire dire, ils furent sur l’ordre du Chevalier de BEAUMONT, attachés aux mâts, et là, après leur avoir entouré les mains avec des mèches, on y mit le feu. Pareille scène se passa sur  le SAMUEL, à l’instigation d’un nommé LE PAUTONNIER, qui servait sous les ordres du Chevalier d’OUVILLE. Mais une fois descendus à terre, les marins blessés se plaignirent. S’appuyant sur des certificats des chirurgiens de Cherbourg et de PARIS qui les avaient pansés, ils adressèrent  une plainte au ministre COLBERT.

 
         
 

Un marchand de Londres, Jean VACQ propriétaire de LA  GRANDE ELISABETH, se joignit à eux. L’Angleterre toute entière s’émut.

 

Au conseil d’Etat tenu à WITE-HALL, le 26 Avril, le roi Charles III décida d’informer son  ambassadeur en France des violences subies par ses sujets. Le 22 Mai, il lui adressa une lettre de cachet pour le charger de poursuivre en son nom les coupables. L’information judiciaire aboutit à un décret de prise de corps contre les frères  JALLOT et le bailli de Cherbourg, Jacques de LA FONTAINE, leur complice. Mais nos corsaires couraient déjà les mers à l’abri des atteintes de la maréchaussée


Une sentence du présidial de CAEN, des 20 et 21 Août 1676, les condamne à faire amende honorable en l’audience et devant la porte de l’église ST PIERRE, puis à avoir la tête tranchée, et leurs biens confisqués au profit du Roi. Etant contumaces, ils ne furent exécutés qu’en effigie.


Le plus malheureux dans l’affaire fut le Bailli de Cherbourg ; la part qu’il avait prise à la vente des des navires capturés, lui valut d’être condamné à mort et, le 22 Août 1676, il fut exécuté, après avoir subi la question.


Sept ans plus tard, le Roi étant à Versailles, délivra à nos corsaires des lettres de rémission, dont ils semblent, d’ailleurs, s’être mis fort peu en peine, car elles ne furent enregistrées que le 27 Mars 1692 au Présidial de CAEN, et encore, à l’enquête qui précéda cet enregistrement, les bénéficiaires de la mesure refusèrent avec insolence de répondre aux questions des juges.


Les fluctuations  diverses des rapports anglo-français à cette époque suffisent à expliquer la sévérité, puis l’indulgence des tribunaux à l’égard des Frères JALLOT.

 

Ceux-ci d’ailleurs, n’étaient nullement émus de leur condamnation. Loin de se sauver en SUEDE, comme on l’a prétendu, ils ne quittaient la Hague que pour  leurs courses en Mer décapités en effigie, ils continuaient à porter haut la tête et n’aimaient point qu’on leur manquât de respect. Voici une curieuse anecdote qui en fait foi.


Le 4 Mars 1688, Pierre JALLOT sieur de RANTOT, et Jean JALLOT , sieur  d’OUVILLE, habitant la paroisse de DIGULLEVILLE, apprennent qu’un navire Hollandais vient de s’échouer sur la pointe de JARDEHEU

 

 

Portrait de Colbert en tenue de l'ordre du       Saint-Esprit, par Claude Lefebvre (1666), musée du château de Versailles

 

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La poupe du Soleil Royal

 
   
 

Ils s’embarquent dans un canot pour se rendre sur les lieux du naufrage, et trouvent  là,, sur des rochers que la mer découvre, plusieurs particuliers de la côte en conversation avec un officier de l’Amirauté de Cherbourg, Thomas CRESTE, sieur de VALAVAL, venu enquêter sur le pillage des effets échoués. Une altercation ne tarde pas à s’élever entre les hommes.

 

Les habitants de la côte soutiennent qu’ils ont  le droit aux tiers des marchandises, parce qu’ils les ont pêchées. Les sieurs JALLOT prétendent que ces marchandises, ayant été trouvées au bas de l’eau sont « varech » et à ce titre, leurs appartiennent, comme seigneurs gravagers.

 

Un certain Pierre Henry, leur ancien valet se fait remarquer par sa violence, « ’Interrompant plusieurs fois le Sieur de RANTOT dans les réponses qu’il faisait à justice, avec des postures arrogantes et menaçantes, en jurant MORDIEU et SANSDIEU, et toujours le chapeau sur la tête, avec un air de mépris.

 

Et comme les dits sieurs de RANTOT et d’OUVILLE voulurent faire cesser cette insolence, lui disant qu’il eût à ne pas les interrompre, et à prendre garde où il était, et devant qui il parlait ?" Il répondit " Mordieu, je suis sur les fonds du roi." Les gentilshommes lèvent leurs cannes, et menacent de lui donner sur les oreilles. L’autre riposte, et les personnes présentes doivent intervenir pour mettre fin à cette scène, petit tableau de mœurs, où l’on saisit sur le vif, dans le cadre de cette nature, d’une rudesse sauvage, l’humeur indépendante et querelleuse des anciens Hagards.

 
   
 

Un certain Pierre Henry, leur ancien valet se fait remarquer par sa violence, l’interrompant plusieurs fois le Sieur de RANTOT dans les réponses qu’il faisait à justice, avec des postures arrogantes et menaçantes, en jurant MORDIEU et SANSDIEU, et toujours le chapeau sur la tête, avec un air de mépris.

 

Et comme les dits sieurs de RANTOT et d’OUVILLE voulurent faire cesser cette insolence, lui disant qu’il eût à ne pas les interrompre, et à prendre garde où il était, et devant qui il parlait ?" Il répondit " Mordieu, je suis sur les fonds du roi." Les gentilshommes lèvent leurs cannes, et menacent de lui donner sur les oreilles. L’autre riposte, et les personnes présentes doivent intervenir pour mettre fin à cette scène, petit tableau de mœurs, où l’on saisit sur le vif, dans le cadre de cette nature, d’une rudesse sauvage, l’humeur indépendante et querelleuse des anciens Hagards.

 

Le chevalier de RANTOT, notre fraudeur, appartenait à une lignée de marins, et il était ainsi que ces frères, un corsaire accompli. (Voir prises faites).

 

 

Fichier:Aft of Soleil Royal 238728.JPG

 

Jean Bérain, Poupe du Soleil Royal,

1670. Musée du Louvre.

 
 

Au moment où l’Intendant FOUCAULT prescrivait d’instruire son procès, à peine âgé de 40 ans, il avait derrière lui un passé de belles prouesses dont, plus tard, dans ses malheurs, il se plaignait à évoquer le souvenir. Mais parmi ces actions d’éclat, il y en avait une qu’il est impossible de passer sous silence parce qu’elle avait, plus que les autres, mis en relief son esprit d’initiative et qu’elle l’avait signalé à l’attention des gens de mer. Il s’agit du sauvetage de l’un des trois vaisseaux de la Flotte de TOURVILLE, qui après la bataille de la Hougue vinrent se réfugier à Cherbourg.


Le Vaisseau Amiral lui-même , ce fameux » SOLEIL ROYAL », si endommagé par l’artillerie ennemie que Tourville avait dû l’abandonner au commandement de son capitaine, Monsieur DESNOS, pour passer sur » L’AMBITIEUX ».

 
         
   
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Omonville la petite. Photo Blog Dieppe rando

 
     
 

Ne pouvant doubler la pointe de Fermanville, il avait  été obligé de relâcher près de Cherbourg, et des navires ennemis, qui le serraient de près se disposaient de le couler.RANTOT sauta dans une chaloupe, se fit hisser à bord du SOLEIL ROYAL et donna l’ordre dans couper la mâture. Il réussit ainsi à le rapprocher de la terre d’environ1/2 quart  de lieue, non sans avoir tiré 5 coups de canon de la batterie d’en bas contre les vaisseaux anglais sui le poursuivaient, et,  avoir mis l’un de ceux-ci, le contre Amiral, hors de combat.

 

RANTOT voulait conduire « LE SOLEIL ROYAL » dans la fosse du GALET où il aurait été à l’abri des brûlots. Mais les Officiers s’y opposèrent et le navire, que l’on ne put défendre, fut ainsi que ses 2 compagnons, » L’ADMIRABLE et LE TRIOMPHANT »,  incendié le lendemain par les Anglais.


La branche cadette des JALLOT, bien moins riche que l’Aînée, n’habitait pas  point le château de BEAUMONT. RANTOT s’était fait construire, à OMONVILLE LA PETITE, dans une de ces vallées étroites de la HAGUE, sillonnées de clairs ruisseaux qui se rendent directement à la mer, une maison trapue, à l’abri du vent du large, et suivant le mot des commis des fermes «  bâtie tout exprès pour un commerce de fraude ». Elle existe aujourd’hui (en 1924) non loin de la ferme STE HELENE, dont le nom évoque le souvenir d’un ancien prieuré des moines de CORMERY  à quelque distance du cheminqui conduit de ST GERMAIN des VAUX à DIGULLEVILLE.

 

 

 

Et certes, le rusé fraudeur aurait pu prendre pour patron le vieux ST PATERNE, de cette dernière église, dont la statue en bois avait été taillée,  d’après la légende, dans une roue de moulin qui faisait dire aux gens du pays, peu dévots, que leur saint avait fait plus de tours que de miracles.

 

S’il y a des circonstances atténuantes à sa conduite, on doit chercher  dans cette misère, le mot n’est pas trop fort qui était souvent, au XVII ème  siècle, l’apanage des cadets de familles nobles.


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Omonville la petite. Photo Blog Dieppe rando

 
 
 
 

RANTOT était comme PANURGE «  sujet à la maladie qu’on appelait en ce temps là : la faute d’argent » et s’il n’avait pas, comme panurge soixante-trois manières d’en trouver toujours à son besoin, dans la plus honorable et la plus commune, était par façon de larcin furtivement fait, il en avait au moins une, LA FRAUDE. L’Intendant ne se trompait pas lorsqu’il écrivait au ministre que c’était son commerce de contrebande qui le faisait vivre. Mais les charges relevées contre lui étaient trop précises pour qu’il fût  possible de fermer les yeux sur sa conduite à étouffer l’affaire.

 

Ni la noblesse de l’accusé, ni les relations de famille, ni les services qu’il avait rendu au roi ne purent amener les fermiers généraux à se désister de leurs plaintes, et nul bras puissant n’arrêta cette fois le cours de la justice. Suivant le désir de FOUCAULT, PONTCHARTRAIN fit rendre un arrêt en conseil d’Etat qui chargeait Mr de MONTHUCHON de poursuivre l’information par lui commencée, et qui, le procès une fois instruit, confiait à l’Intendant le soin de le juger en tel présidial de sa généralité qu’il voudrait choisir.

 

RANTOT, arrêté en vertu d’une lettre de cachet, fut enfermé au château de CAEN.


 
 

Témoins à charge

 

Des monitoires, publiés aux prônes du dimanche dans toutes les paroisses de la HAGUE, suscitèrent les dépositions d’une soixantaine de témoins. Vingt et un d’entre eux s’accordèrent pour charger le chevalier de RANTOT. On l’avait vu le 4 Décembre 1692, arriver chez Jean HOCHET, fermier de sa famille, demeurant à OMONVILLE LA PETITE. Il était accompagné du Sieur de PREMARAIS, de JOBOURG et de Thomas LEMAGNEN, dit MARENCOURT. Les trois complices apportaient dix charges de cheval de bas d’estame qui furent mis dans la grange et cachés  sous des gerbes de blé. Il y avait déjà à la même place, deux charges d’hommes qui étaient du tabac, six aulnes de drap brun, et rois aulnes  de velours rouge tacheté de noir, que le dit chevalier y avait fait apporter trois semaines auparavant. Le lendemain de la fête de la Conception de la Vierge.

 

Le 9 Décembre, RANTOT, accompagné de son valet,  revint à la ferme vers midi. Il entra dans la grange et fit  ramasser tous les bas cachés sous les gerbes de blé. On les distribua en paquets, au nombre de trente et on les enveloppa dans de la toile. Le valet de Jean HOCHET qui était présent, remarqua «  qu’il s’y trouva plusieurs paquets de clous, cannelle, muscade, poivre et autres épiceries.

 

Après quoi RANTOT déclara qu’on lui avait volé un paquet de douze douzaines de bas, et que le voleur devait être un certain Michel HENRY .

 

Il se rendit aussitôt chez ce dernier accompagné de HOCHET et de MARENCOURT, menaça sa femme, qu’il trouva seule, fouilla la maison de haut en bas, et découvrit enfin, dans un grenier à foin, douze paires de bas d’Angleterre, enveloppés dans deux mouchoirs qui appartenaient à la mère et à la femme de HOCHET. Plusieurs chevaux attendaient dans la cour de ce dernier.

 
     
 

Château de Tournebut

 
     
 

On chargea les marchandises sur leur dos, et en pleine nuit la petite troupe, composée de cinq hommes, le sieur de RANTOT,, Jean LAUDE, son valet, Louis DENIS, son meunier, HOCHET et VARENCOURT, s’en alla au château de TOURNEBUT , près de VALOGNES, où elle déposa son fardeau. C’est là que des marchands vinrent le prendre pour le porter à PARIS.  A son retour, RANTOT se saisit d’Henry et du valet de HOCHET, les emmena chez lui et les garda prisonniers pendant vingt quatre heures.


Il les relâcha après les avoir menacés de mort, s’ils venaient à le dénoncer.

 

Quatre jours plus tard, le 13 Décembre, RANTOT, toujours accompagné de son valet, arrive à VAUVILLE, et s’adressant à un particulier, qui était sur le seuil de sa porte, lui  demande » s’il avait par connaissance qu’on avait en sa maison du bien qui lui appartenait ». Celui-ci répond que non. Les deux hommes péné-trèrent  néanmoins dans la maison, y trouvent une femme qui leur remet les clés de la grange et fouillent partout mais sans succès. Ils ne feront d’insulte à personne ; et cependant la femme étant en parfaite santé ledit jour, le lendemain elle mourut presque subitement.

 
 
 
   
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La Hague est un pays de traditions et de légendes, qui plongent leurs racines dans un passé lointain, encore mystérieux. Tout s’y réunit pour évoquer le souvenir des morts et frapper l’esprit des vivants. Un sol accidenté, appartenant aux formations géologiques les plus anciennes, et que le génie des races primitives a fortement marqué de son empreinte ; une nature rude et sauvage, aux horizons grandioses, infiniment séduisants par la variété de ses aspects, succession de plateaux dénudés que balaient sans cesse les vents du large, et des vallons étroits, profondément encaissés dans lesquels serpentent de petits ruisseaux qui descendent vers le littoral ; à côté de landes incultes, des prairies fertiles, des fermes modernes, tout prés de vieilles chaumières, usées par les tempêtent et qui semblent écrasées par le poids des ans et partout dans le lointain, s’imposent à la vue, la mer, une mer si rarement paisible, qui le plus souvent se rue à l’assaut des falaises, s’engouffre  dans les grottes avec des fracas de canon et jette contres les rochers de la côte, les vaisseaux désemparés

 

Le Dimanche 25 Janvier 1693, dans l’après midi, une bonne femme du hameau LUCE, à TOURLAVILLE, vit venir un cavalier et deux hommes à pied qu’elle ne connaissait pas. On lui dit par la suite que c’était « un des messieurs de Beaumont », le nommé DUVAL, cabaretier à Cherbourg, et Robert DIGARD, d’OCTEVILLE. Le cavalier descendit de cheval, prit ses pistolets et ils entrèrent tous les trois dans la maison de Michel LENEVEU dit GENDROL «  ou était le tiers des trois ». Celui-ci ayant répondu qu’il ne savait ce qu’ils voulaient dire, et qu’ils  n’étaient pas trois », le chevalier se mit à jurer et à le maltraiter, et finalement lui enjoignit de le mener en la cabane de Nicolas GUEROULT «  qui avait demeuré à LA HAGUE » et lui avait volé des marchandises. GENDROL, malade, ne pouvant pas marcher, lui indiquât la maison de GUEROULT. Aussitôt le chevalier et DUVAL sortirent, laissant DIGARD, auquel ils recommandèrent de ne point s’en aller avant leur retour. On sut depuis qu’en l’absence de GUEROULT, ils avaient enfoncé sa porte, fouillé  dans un coffre, et y pris quatre paires de bas d’estame blancs, que DUVAL mit dans sa poche. Deux heures après, ce dernier revint chercher DIGARD. Avant de partir, il dit à la femme de GENDROL qu’il »fera pourrir son mari dans une poche de cailloux ».

 

GENDROL et GUEROULT étaient deux complices habituels du Chevalier de RANTOT. Le premier exerçait la profession de cordonnier, le second avait été au service de la famille de BEAUMONT

 
     
 

Le Hameau LUCE  à TOURLAVILLE  où ils habitaient se trouve situé à droite de l’ancienne route de Cherbourg à Valognes, qui passe par le THEIL et SAUXEMESNIL. C’est la route que devaient  suivre les contrebandiers, qui bifurquaient au THEIL pour atteindre MONTAIGU LA BRISETTE et ST GERMAIN, le château  de TOURNEBUT.


Des troupes de dix à douze hommes armés jusqu’aux dents, escortaient les convois. La petite cloche du prieuré de ST MARTIN  A L’IF qui sonnait une grande partie de la nuit pour ramener dans les droits chemins les voyageurs égarés, les guidait à travers les taillis des bois du THEIL et de BARNEVAST.

 

Contrebandiers


     
 

GUEROULT avait accompagné le chevalier de RANTOT dans trois de ses voyages nocturnes aux Îles de GUERNESEY et d’AURIGNY. Ils emportaient des marchandises de toutes sortes, du blé, de la farine, du lard, du miel, de la cire et du beurre ; ils rapportaient surtout des bas d’estame, du drap, du velours et du tabac. Ces voyages étaient extrêmement périlleux, car le courant est très violent dans ces parages. Une nuit qu’ils transportaient de la farine à AURIGNY, la tempête les assaillit dans le raz BLANCHARD, leur barque fut sur le point de sombrer et ils durent jeter cinq sacs à la mer pour se sauver.

 
 
 
   

 

matériel militaire fait de Cherbourg le plus grand port du monde. Le trafic y sera le double du port de New York. L’essence traverse la Manche via le pipe line sous-marin PLUTO (Pipe Line Under The Ocean) [19].

 

Le 24 décembre 1944, le cargo belge Léopoldville, chargé de 2 237 soldats américains de la 66e division d’infanterie, les Black Panthers, est torpillé par un sous-marin allemand au large de Cherbourg. On dénombre 763 morts et 493 disparus.

 

Cherbourg est rendue à la France par les Américains le 14 octobre 1945. Elle citée à l’ordre de l’armée le 2 juin 1948 et reçoit la Croix de guerre avec palme : « Ville patriote qui a joué un rôle considérable dans les batailles menées en 1944 sur le front occidental, libérée les 26 et 27 juin par les troupes de la première armée américaine, s'est aussitôt mis au travail avec ardeur ; ses spécialistes, ses ouvriers de l’arsenal et ses dockers aidant aidant les Américains ont permis l’utilisation rapide du port, malgré les dégâts qu’avaient subis ses installations, les épaves échouées dans les passes, et les mines qui y pullulaient, a été pendant des mois le déversoir en hommes et en matériel de tout le potentiel de guerre américain. »

 

NOTE     19     -« Cherbourg, port de la Libération », www.ville-cherbourg.fr

 

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de LA HAGUE au XVIIè siècle 

 

 

 

Reproduction du texte

De Paul Lecacheux
Annuaire de la Manche 1923 p35 à 63
 

 

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La Hague est un pays de traditions et de légendes, qui plongent leurs racines dans un passé lointain, encore mystérieux. Tout s’y réunit pour évoquer le souvenir des morts et frapper l’es-prit des vivants. Un sol accidenté, appartenant aux formations géologiques les plus anciennes,

 

et que le génie des races primitives a fortement marqué de son empreinte ; une nature rude et sauvage, aux horizons grandioses, infiniment séduisants par la variété de ses aspects, succes-sion de plateaux dénudés que balaient sans cesse les vents du large, et des vallons étroits, profondé-ment encaissés dans lesquels serpentent de petits ruisseaux qui descendent vers le littoral ; à côté de landes incultes, des prairies fertiles, des fermes modernes, tout prés de vieilles chaumières, usées par les tempêtent et qui semblent écrasées par le poids des ans et partout dans le lointain, s’impo-sent à la vue, la mer, une mer si rarement paisible, qui le plus souvent se rue à l’assaut des falaises, s’engouffre  dans les grottes avec des …. 

 

fracas de canon et jette contres les rochers de la côte, les vaisseaux désemparés

 

Le Dimanche 25 Janvier 1693, dans l’après midi, une bonne femme du hameau LUCE, à TOUR-

 

 

 

Cinquième année                              MARDI 24 MAI 2011  Numéro 1083  3/3

 

 

LAVILLE, vit venir un cavalier et deux hommes à pied qu’elle ne connaissait pas. On lui dit par la suite que c’était « un des messieurs de Beaumont », le nommé DUVAL, cabaretier à Cher-bourg, et Robert DIGARD, d’OCTEVILLE. Le cavalier descendit de che-val, prit ses pistolets et ils entrèrent tous les trois dans la maison de Michel LENEVEU dit GENDROL «  ou était le tiers des trois ». Celui-ci ayant répondu qu’il ne savait ce qu’ils voulaient dire, et qu’ils  n’é-taient pas trois », le chevalier se mit à jurer et à le maltraiter, et finalement lui enjoignit de le mener en la cabane de Nicolas GUEROULT «  qui avait demeuré à LA HAGUE » et lui avait volé des marchandises. GENDROL, malade, ne pou-vant pas marcher, lui indiquât la maison de GUEROULT. Aussitôt le chevalier et DUVAL sortirent, laissant DIGARD, auquel ils recomman-dèrent de ne point s’en aller avant leur retour. On sut depuis qu’en l’absence de GUEROULT, ils avaient enfoncé sa porte, fouillé  dans un coffre, et y pris quatre paires de bas d’estame blancs, que DUVAL mit dans sa poche. Deux heures après, ce dernier revint chercher DIGARD. Avant de partir, il dit à la femme de GENDROL qu’il »fera pourrir son mari dans une poche de cailloux ».

 

GENDROL et GUEROULT étaient deux complices ha-bituels du Chevalier de RAN-TOT. Le premier exerçait la profession de cordonnier, le second avait été au service de la famille de BEAUMONT

 

Le Hameau LUCE  à TOUR-LA-VILLE  où ils habitaient se trouve situé à droite de l’ancienne route de Cher-bourg à Valognes, qui passe par le THEIL et SAUXEMES NIL. C’est la route que de-vaient  suivre les contreban-diers, qui bifurquaient au THEIL pour atteindre MON-TAIGU-LA-BRISETTE et ST GERMAIN, le château  de TOURNEBUT.

 

 

 Contrebandiers 

Des troupes de dix à douze hommes armés jusqu’aux dents, escortaient les convois. La petite cloche du prieuré de ST MARTIN – A –L’IF qui sonnait une grande partie de la nuit pour ramener dans les droits chemins les voyageurs égarés, les guidait à travers les taillis des bois  du THEIL et de BARNEVAST.

 

GUEROULT avait accompagné le chevalier de RANTOT dans trois de ses voyages nocturnes aux Îles de GUERNESEY et d’AURIGNY. Ils emportaient des marchandises de toutes sortes, du blé, de la farine, du lard, du miel, de la cire et du beurre ; ils rapportaient surtout des bas d’estame, du drap, du velours et du tabac. Ces voyages étaient extrêmement périlleux, car le courant est très violent dans ces parages. Une nuit qu’ils transportaient de la farine à AURI-GNY, la tempête les assaillit dans le raz BLANCHARD, leur barque fut sur le point de sombrer et ils durent jeter cinq sacs à la mer pour se sauver.

 

 

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Le principal dépôt des marchandises passées en fraude était toujours chez le fermier HOCHET  à OMONVILLE LA PETITE. Mais RANTOT s’était fait construire, nous l’avons vu, entre DIGULLEVILLE et OMONVILLE LA PETITE, une maison placée exprès pour son commerce. Il y entassait des marchandises, persuadé que les commis des fermes n’oseraient venir y perquisi-tionner. Un témoin tenait de GUEROULT que « le dit Chevalier de RANTOT avait plein de ton-neaux de tabac dans sa cave, qui étaient renfoncés, paraissant comme plein de cidre ». L’accord n’était parfait qu’en apparence entre le maître et son valet.

 
     
 

Omonville la petite CPA collection LPM 1900

 
     
 

Le premier soupçonnait fort le second de lui voler son bien. Il l’enferma huit jours dans une chambre pour lui arracher des aveux. De la déposition de plusieurs témoins, il résulte que, en effet, GUEROULT, vendait du drap en cachette ; on ne sait s’il s’agissait pour son propre compte où pour celui de son maître. Les directeurs de la glacerie de TOURLAVILLE en avaient acheté Il en offrit un jour à Etienne VIEL, valet du Sieur de GRANDCAMP. Mais on lui dit que c’était du drap «  de quinze à seize livres l’aulne, et qui n’était pas propre pour  habiller valet de charrue ».

 

Les bas d’estame que le chevalier saisit dans sa maison «étaient sans nul doute un article de contrebande.

 

Un événement resté mystérieux, qui remontait au mois de Septembre ou Octobre 1691, avait frappé vivement plusieurs témoins, ils en avaient vu une preuve des agissements louches du Chevalier. RANTOT entretenait dès lors des relations avec les ennemis de l’Etat. Une nuit, vers minuit, un de ses fermiers qui habitait le hameau des landes en la paroisse de JOBOURG, est réveillé en sursaut par une voix impérieuse qui lui ordonna de se lever. Il obéit, ouvre sa porte et se trouve face à RANTOT, accompagné de deux hommes et une jeune fille. Le Chevalier ex-plique rapidement que se sont des Anglais et qu’ils sont poursuivis par Mr de MESNILVILLE, commissaire à Cherbourg, qui veut les arrêter. Il demande au fermier la clé de la grange, pour les y cacher. Celui-ci s’empresse d’ouvrir la grange et d’y faire entrer les fugitifs. RANTOT l’envoie ensuite à sa maison chercher du pain et du cidre. Monsieur de MESNILVILLE ne se présente pas, mais les anglais restent dans la grange pendant vingt quatre heures. Ils reçoivent deux fois la visite de RANTOT et trois fois celle de son valet. A la fin, le fermier, « craignant qu’on ne lui fit des affaires »parvient à s’en débarrasser. Il apprit par la suite qu’on les avait repassés à AURIGNY et qu’un nommé  POITEVIN, s’était entremis pour les faire échapper.

 
 
 
   
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Eculleville La Baie de Querviere CPA Collection LPM 1960

 
 

  

 
 

A DIGULLEVILLE, qui semble vraiment être le centre de ce commerce, l’enquête fit découvrir tout un nid de contrebandiers, en relations, eux avec le chevalier de RANTOT : un pêcheur, qui portait le nom de son métier, Jacques LE PESQUEUR, Robert HUBERT, Valet du Sieur curé, Pierre DUBOSQ, dit La rivière, capitaine de la paroisse, les frères Jacques et Thomas DELAINAY, Jean PARIS, dit La Hollande. Les Chefs de l’association étaient les  frères DELAUNEY, dont la maison passait pour la plus riche de la HAGUE en marchandises de contrebande. Autant les frères  étaient prudents pour ne point se laisser en flagrant délit, autant ils aimaient se vanter d’un coup bien réussi. Jacques DELAUNEY était un jour à CHERBOURG, au cabaret. Au bout de l’un des bouts de la table, un garçon fumait. « C’est à moi qu’il faudrait s’adresser dit le fraudeur, pour avoir du bon tabac et d’autres marchandises, je les choisis à bord du bateau ».Et il ajouta au cabaretier «  qu’on nous mette du beurre à notre poisson ; nous gagnons assez nous avons moyen de le payer ».

 

Vers la mi Janvier 1691, un homme de DIGULLEVILLE, qui revenait de « voir ses pièces » rencontra les frères DELAUNEY et Jean PARIS, tous les trois à cheval. Il les entendit qui disaient : »il est encore bonne heure, le bateau n’est pas encore venu, nous irons les faire tous assembler, et après cela nous nous reposerons tous ensemble. Nous avons dit chez nous que nous allions à la chasse au blaireau, afin que nos serviteurs n’en sachent rien ». Et le dit Jean PARIS dit qu’il ne fallait pas se fier aux serviteurs, et qu’ils dix huit, tous d’une cabale, et que ils seraient tous assemblés, ils ne craindraient pad les maltôtiers, et qu’ils étaient assez forts pour battre plusieurs paroisses.

 

On les voyait souvent revenir de la côte, chargés de tabac et d’autres marchandises, qu’ils cachaient dans du sarrasin, dans du chanvre partout où ils pouvaient. La veuve Pierre DELAUNEY, mère des deux frères, les aidait dans leurs entreprises, et le « grand Jean LAUNEY » leur oncle, servait d’entremetteur pour écouler les marchandises. Lorsqu’il en portait de jour, il s’en retournait par dedans les pièces, et le dit Jacques DELAUNEY allait conduire  la cavale par le chemin, pendant que le dit Jean emportait la dite marchandise  par dedans les dites pièces ?

 

Les fraudeurs de DIGULLEVILLE n’agissaient pas pour le compte de RANTOT ; mais ils étaient en relation avec lui, et le nom du Chevalier revient souvent dans les interrogatoires des accusés et les dépositions des témoins. Il n’en est pas de même de ces cabales de FLAMANVILLE, de CARTERET, et de PORTBAIL, dont l’enquête de Mr de MONTHUCHON amena  la découverte.

 
     
 

Vauville le chateau

 
 
 
   
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Cap de la hague Photo de gilles boisset

 
     
 

TIREL et LEPAUMIER

 

A l’extrémité méridionale de l’anse de VAUVILLE, dont les dunes de sable rompent, la ceinture granitique de ces côtes, le cap de FLAMANVILLE dresse ses hautes falaises qui font le pendant au nez de JOBOURG et regardent, HERM et GUERNESEY ; aussitôt après commence la région des Mielles, que coupent les pointes du ROZEL et de CARTERET et dans lesquels s’ouvrent de petits havres, battus seulement par les vents d’ouest, les havres de CARTERET, PORTBAIL, SURVILLE et ST GERMAIN sur AY

 

Ce n’est plus ici le pays reculé de la HAGUE, le camp des anciens pirates, formé par le HAGUE-DYCKE. De tout ce littoral, par BRICQUEBEC ou LA HAYE DU PUITS, on atteint en quelques heures le centre de la presqu’Île. JERSEY est tout près, et ses contours se devinent à travers les brouillards du passage de la Déroute. Au soleil, on voit luire les toits des maisons de GOREY et se profiler les tours du château de MONTORGUEIL. La facilité d’écouler les marchandises, autant que le voisinage des Iles, est pour les fraudeurs une tentation. A la fin de l’année 1690 et dans les premiers mois de 1691, le commerce de contrebande était très sur ce point de la côte ; et comme dans la HAGUE, un gentilhomme du pays, Jacques de LA MARE CAMPROND, sieur de LA BONNEVILLE , s’y trouva mêlé.

L’échange des marchandises se faisait, non avec JERSEY mais avec GUERNESEY, par les soins de deux hardis marins, que Mr de MATIGNON et de MESNILVILLE employaient pour aller à la découverte, Jean LE PAUMIER dit MARETS et Germain TIREL dit GALLIPET. Le Capitaine de FLAMANVILLE, Jacques des Grisons, fermait les yeux sur leur conduite. A un témoin qui lui demandait «  pourquoi une barque avait abordé de si près la nuit sur la côte, » il répondit «  qu’il fallait laisser vivre un chacun, et qu’il ne pouvait empêcher ce commerce ».

 

TIREL et LEPAUMIER s’étaient associés avec un nommé BRETEL pour acheter une chaloupe. En Décembre 1690, quelques jours avant la ST THOMAS, ils vont trouver BRETEL dans sa maison et lui demandent le gouvernail de la chaloupe. Mr. DE MATIGNON, disent t’ils leur a donné l’ordre de faire un voyage à Guernesey. BRETEL, incrédule veut voir l’ordre. LE PAUMIER répond qu’il le lui montrera quand il sera temps.

 

Ils emporteront le gouvernail, et le 20 Décembre, ils mettent à la voile et partent du havre de PORTBAIL dans la direction de Guernesey. Celle île servait déjà  de refuge aux gens du cotentin qui avaient des démêlés avec la justice de leur pays. L’un de ces fugitifs voit arriver la chaloupe et constate qu’elle renferme « plusieurs matelots et marchands de la dite Ile », que nos hommes transportent en vertu d’un congé. Leur séjour à Guernesey est de longue durée.

 

 

 

C’est seulement au bout de trois semaines qu’ils font voile de nouveau vers le Cotentin, ramenant avec eux, le fugitif, qui était en état de repasser. Le bateau arrive «  sur les quatre à cinq heures de nuit », vis-à-vis de la chapelle ST SIMEON, au nord du havre de Portbail. Là, plusieurs personnes les attendent. On décharge ce qu’il y a dans le bateau, quantité de tabac, une poche pleine de poivre, de la laine peignée, des bas d’estame en ballots, et plusieurs paquets d’autres marchandises.

 

Les matelots disent que les bas sont faits pour faire des présents, et qu’il y en a considérablement pour le sieur commissaire des classes de  Cherbourg. Le tout est mis  dans une charrette et chargé sur plusieurs chevaux et prend la route de l’intérieur. Le 22 Janvier, TIREL et LE-PAUMIER partent de nouveau, pour ne revenir que le jour de la Ste Agathe, le 4  Février.  Mais cette fois ils sont moins heureux ; les commis des traites ont eu vent de leu retour et ils sont obligés d’échouer leur tabac dans le havre de Porbail.


La chapelle ST SIMEON






   
  CORSAIRES et FRAUDEURS

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Ce commerce, d’ailleurs, est continuel. Les normands qui ont habité GUERNESEY, s’accordent à déclarer que pendant toute la durée de leur séjour, ils ont vu «  des petits bateaux de pêcheur de la dite Ile porter ou rapporter des marchandises, et d’autres bateaux qui demeuraient en mer, qui  faisaient des signaux par des feux, ce qui faisait croire qu’ils venaient de France. Des matelots du Cotentin, faits prisonniers par les anglais demandent à Daniel MAUGER, chez qui ils logent, de leur vendre du poivre.

 

Il leur répond qu’il n’en a plus, « ayant baillé ce qui lui restait au nommé Jean LEPAUMIER, le tout à 16 sols la livre ». C’est le prix habituel de cette denrée dans les Îles. L’étain y est vendu aux contrebandiers 10 sous la livre, et le tabac 40 Livres le cent. LEPAUMIER achète un jour trois ballots de toile au tarif de 21 sous l’aulne.

 

Les autorités locales ne le voient pas toujours d’un bon œil rafler  les marchandises. Un témoin a entendu dire que " l’Intendant du gouverneur est bien fâché avec lui d’avoir emporté avec lui de l’étain et du plomb que cela est défendu ». Mais en France on est moins sévère. TIREL et LE PAUMIER prétendent que Mr de MATIGNON leur a permis d’emporter et de rapporter tout ce qu’ils voudraient. Ils se couvrent de l’autorité de Mr de MESNILVILLE, commissaire des classes, qui les envoie aux nouvelles, sur mer, et pour l compte duquel, ils lèvent des matelots.

 

La mère de TIREL déclare que personne n’ose rien lui dire. La menace des galères ne les effraie pont, et la crainte des monitoires suffit à fermer la bouche aux bonnes gens du pays. C’est une tradition dans la contrée de ne point dénoncer les contrebandiers, et on s’entretient de leurs exploits avec autant de prudence que d’admiration. Le jour où le bateau de TIREL et de LEPAUMIER, revenant de Guernesey, a abordé au bas du havre de Portbail, deux femmes qui récoltent du varech sur les rochers de la mer, voient passer le harnais de la CROIX-BRETEL, qui emporte les marchandises. L’une parle du débarquement opéré la nuit sur la côte, mais l’autre lui dit bien vite qu’il faut se taire «  à cause des amiraux.

  

LA HAGUE - Les falaises de Gréville -1960

 
 
 
   
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Les frères MAUTALENT

 

Une autre société de contrebandiers, qui opérait du côté de CARTERET, comprenait une dizaine de personnes : dont un Poulailler de VALOGNES, nommé CARIOT, et une femme, Madeleine LAIR. Les chefs de bande étaient les frères MAUTALENT, Nicolas et Germain. Tout ce monde là s’était associé pour acheter une barque, qui faisait la « voiture » entre les Iles Anglaises et Carteret. Comme les autres, ils rapportaient de préférence du tabac. Les fraudes qu’on leur reprochait remontaient aux années 1689 et 1690.

 

Il est certain que les commis des fermes les surveillaient depuis longtemps. Un jour, Germain MAUTALENT est prévenu de leur arrivée, la fouille va le trahir, il jette une grande quantité de tabac par une fenêtre derrière sa maison, des amis l’emporte, la cache dans une pièce de terre et finalement la dépose chez un affilié de la bande nommé BALENCON où les commis la découvre. Son complice Pierre de la FOSSE, est plus rusé ayant eu avis qu’on venait le fouiller, il fit emporter par ses valets et servantes quantité de tabac qu’il avait en sa maison. Les commis étant entrés, il y en avait encore deus rolles , qu’il mit dans le pot où il faisait de la soupe, et quelques feuilles de choux par-dessus, et les commis dans le dit pot, il s’en moquait. Ce bon tour de fraudeur ce raconte encore dans le pays, ou Pierre de LA FOSSE a eu depuis deux siècles plus d’un imitateur. Quant au fameux enterrement Clerc en tête d’un cercueil rempli de tabac, devant lesquels les douaniers se découvrent, il est possible qu’on y ait songé plus tard, mais cette plaisanterie d’un goût douteux, est peu dans les mœurs du XVIIème, et nos documents n’en parlent point.

 

Tous ces faits sont extraits de l’information de M. DE MONTHUCHON, transmis par l’Intendant  FOUCAULT au ministre PONTCHARTRAIN. Ils s’appuient sur de nombreuses déclarations de témoins touchés par des monitoires. Leur authenticité est absolue. Il en ressort avec évidence que dans les dernières années de XVIIème siècle, le commerce de contrebande se pratiquait sur toute la côte occidentale  du Cotentin du Cap de la Hague au Havre de Lessay.

 
     
 

 

 
 
 
   
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HOCHET, MARENCOURT, Germain TIREL et LAGALLE.


On a pu remarquer que les fraudeurs entretenaient des relations avec Aurigny et Guernesey ; il est question parfois de SERQ, rarement de Jersey. Si Monsieur de MATIGNON avait poussé son enquête plus au sud, nul doute qu’il eut découvert quelques cabales de contrebandiers faisant trafic avec la grande Ile. Mais sa commission était limitée aux côtes de la HAGUE, et si nous voyons des gens de Flamanville, de Carteret et de Portbail mis en cause par ce procès, c’est que de toutes ces bandes étaient plus ou moins affiliées les unes aux autres, qu’elles agissaient souvent de concert, et se connaissaient toutes. On arrêta la plupart des coupables qui furent enfermés dans les prisons de Coutances. Quatre d’entre eux réussirent à s’évader, avec la complicité du concierge et de ses deux fils.

 

C’étaient les plus hardis : HOCHET, MARENCOURT, Germain TIREL et un fermier du Chevalier de RANTOT, appelé LAGALLE. On ne tarda pas à les reprendre et à les réintégrer  dans leurs cachots. Ils devaient y rester plus longtemps que leur chef de bande.

 

La famille du Chevalier de RANTOT, le tira en effet de ce mauvais pas en versant une forte somme aux fermiers généraux intéressés, et en promettant à l’Intendant de l’envoyer à MALTE, où, par son ancienneté il était à la veille d’obtenir une commanderie. RANTOT fut remis en liberté et revint dans la Hague. Mais cet incorrigible fraudeur ne partit point pour MALTE. A peine de retour dans sa maison d’Omonville, il oublia les promesses qu’il avait dû faire à l’Intendant et reprit son commerce avec les Iles. Moins e deux mois après son élargissement, il se faisait pincer de nouveau en flagrant délit de contrebande (1) Il fallut se décider à le réintégrer dans sa prison et à poursuivre sérieusement le procès .La nuit de la ST JEAN 1694, une troupe de la maréchaussée cerne sa maison. Vint hommes armés y pénètrent, arrachent le Chevalier de son lit et l’emmènent  d’une traite à Coutances. Gardé prisonnier dans cette ville pendant quelques semaines, il est ensuite transféré « avec un cortège de 18 personnes » au château de Caen, où, sur l’ordre de l’Intendant on le met au secret.

 

Un mois plus tard, le 29 Mars 1695. RANTOT est condamné à 500 livres d’amende. Envers le roi et à 2000 livres de dommages intérêts envers le sieur POINTEAU, adjudicataire général des fermes unies, sans compter les  dépens qui s’élevaient à 5573 livres (2).

 

Ses complice, plus durement frappés, se voient infliger outre l’amende et les dommages intérêts, des peines de 3 ans de galères et de 3 ans de bannissement hors de la province.

 

Le jugement devait être lu et affiché dans tous les ports et principaux lieux de la côte.

 
 

  

 
 
   

NOTES

 

(1)  Une lettre, écrite le 16 Juillet 1694, par Mr. De la HOUSSAYE, directeur des fermes à CAEN à Monsieur de TURGIS lui annonce qu’il vient de se faire «  sur les côtes de la HA-GUE » un déchargement d’une barque chargée de marchandises, à la vue de quatre gardes qui étant intimidés par vingt hommes qui sortirent de la dite barque, ne purent empêcher la conduite qui en fut faite par le dit SIEUR DE RANTOT, qu’on dit avoir avec le Sieur CARRE, qui est auprès de la personne  du roi d’Angleterre. (. Archive nationales G7 -215).

 

C’est la première fois que nous voyons cet individu nommé dans le procès. Plus tard, un témoin en traçait le portrait précis : se souvient aussi le déposant avoir vu avec le dit  sieur Chevalier de RANTOT, dans sa maison, un marchand qu’on appelait Daniel CAREL, c’était un petit homme passablement gros, cheveux courts  et frisés, habillé de brun avec du galon d’or ou d’argent  pour le compte duquel courait le bruit tant à ST MARTIN qu’aux environs, que le dit sieur, chevalier de RANTOT travaillait, et que les marchandises qu’il avait lui appartenaient. Le dit GAREL passait pour être un marchand de PARIS… ‘C’en était un, en effet, et il avait eu déjà maille à partir avec la police, ayant été interné au Fort l’Evêque pour avoir entretenu avec deux marchands d’Orléans, nommés BLANCHET, commerce de draps de manufactures étrangères, » à la ruine de celles qui sont établies dans le royaume (Archives Nationale.01.36, F.17).

 

(2) Les dépens furent plus tard et réglés à l’amiable,  ce qui joint aux 2500 livres d’amende de dommages intérêts, faisait un total de 7000 livres, payables de la façon suivante : RANTOT s’engageait à verser sur le champ 2500 livres entre les mains de Jean GUERIN, receveur général des Fermes ; pour le reste, il obligeait ces fermiers s à raison de 1000 livres par an, 400 au terme de Noël et 600 à celui de la ST JEAN, jusqu’au parfait paiement de la somme convenue. Il promettait de fournir les obligations de ces fermiers quinze jours  sa sortie de prison. Deux membres de sa famille lui servaient de caution : son frère, messire Eustache Hervieu JALLOT, prêtre, abbé de Beaumont et curé de Siouville, et son beau frère, Antoine de ST SIMON, seigneur et patron de BEUZEVILLE AU PLAIN et Baron de GIE. Ce compromis fut passé devant Antoine BAZIRE et Guillaume JOLLIVET, notaires, garde notes royaux de CAEN, le 2 Novembre 1695 (Archives nationales G7.215)

 
   
  Brume dans la Hague, photo JB  
 
 
   
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En l’adressant à PONTCHARTRAIN, FOUCAULT exprimait l’avis que la condamnation de plusieurs des coupables servirait d’exemple et arrêterait le commerce de fraude avec les Iles. Il se trompait singulièrement. RANTOT était toujours en prison, impuissant à trouver l’argent nécessaire pour payer son amende et les frais du procès qui atteignaient le somme de 7000 livres, lorsqu’on apprit que de nouvelles poursuites étaient ordonnées dans la HAGUE, et cette fois contre le chef de famille, le comte de Beaumont, que sa situation e capitaine garde côtes et de commandant de la noblesse, semblait devoir mettre  à l’abri des fermiers généraux.

 

Le 19 Janvier 1696, vers une heure de l’après midi, une troupe armée se présentait à la porte du manoir seigneurial de Beaumont. Le sieur Le More, capitaine général des fermes du Département du Cotentin, résidant à Surtainville, et le sieur de la PERELLE  archer de la prévôté de l’hôtel, délégués par l’Intendant FOUCAULT, accompagnés de dix sept commis, arrivaient à l’improviste pour opérer une perquisition. L’affaire avait été tenue secrète. Les gabelous, tirés de toutes les brigades de la région avaient reçu l’ordre de  se concentrer sur Cherbourg, sans attirer l’attention et leurs directeurs, Monsieur de LA HOUSSAYE et Monsieur de CHARENCEY, étaient venus de CAEN pour les y rejoindre

 
 

  

 
 

La plage de Digulleville, photo JB

 
     
 

On redoutait la violence du comte de Beaumont et l’on craignait  qu’il ne s’opposât, les armes à la main, à l’invasion de sa demeure. Par bonheur, le comte était absent. Il y avait au château que Mme de Beaumont, la mère, une jeune fille inconnue et le curé de la paroisse, venu sans doute en visite. Le personnel domestique se comportait de la GALLE, maître d’hôtel et de Jeanne HENRY, femme  de chambre de Madame de Beaumont. Ce fut La GALLE, qui reçut les visiteurs. Le More, introduit auprès de la vieille dame, lui déclara qu’il avait ordre de pénétrer dans le château pour y rechercher des marchandises de manufacture étrangère qu’on y  savait cachées.

 

Mme de Beaumont répondit à l’officier qu’étant logée dans cette maison depuis peu de temps, elle n’avait aucune connaissance des faits et gestes de son fils, qu’au surplus elle ne s’opposait pas à la perquisition, mais qu’elle refusait d’y assister. Elle remit les clés à La GALLE, et se retira dans sa chambre. Le MORE  somma le sieur curé à le suivre, et accompagné de la PERELLE et d’un employé des fermes, il se mit en devoir d’explorer le château de fond en comble, sous la conduite du maître d’hôtel.

 

Les recherches furent peu fructueuses, On découvrit bien dans un grenier vingt quatre paires de bas blancs, manufacture d’Angleterre, ficelés et non enveloppées, mais les autres pièces ne renfermaient rien d’anormal. Dans l’appartement de Mme de Beaumont, une surprise attendait les commis ; ils se trouvèrent en présence d’une jeune fille, qui déclara se nommer ? Mademoiselle de TROYES, et faire sa résidence habituelle dans la maison du Chevalier de RANTOT. On sut depuis que c’était sa maîtresse, fille d’un marchand de PARIS, qui lui servait d’intermédiaire et continuait le commerce de fraude en son nom, pendant qu’il était enfermé dans les prisons de CAEN. A trois reprises, l’officier des fermes et l’archer de l’Intendant se heurtèrent à des portes closes, dont la GALLE prétendit n’avoir pas les clés. Dans une chambre appelée « la salotte » se trouvait une armoire, qu’il fut impossible d’ouvrir pour la même raison. La chapelle, la grange, le pressoir furent fouillés sans résultat, et tout ce déploiement allait paraître un peu ridicule, lorsque arrivèrent MM de LA HOUSSAYE et de CHARENCEY, accompagnés du procureur du roi de la ville de Cherbourg.

 

Anse de , photo JB

 
 
 
   
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L’affaire aussitôt changea de face. Après les sommations d’usage, ces messieurs se firent ouvrir les portes des appartements restés clos. Dans la tourelle on trouve «  trois petits ballots de bas, deux paquets aussi pleins de bas, et encore d’autre quantité de petits paquets de bas, le tout manufacture d’Angleterre ». On les enveloppa sur le champ dans des draps de lit, et on les mit dans un sac, sur lequel fut apposés le cachet du procureur du Roi, et un autre au nom de Sieur Pointeau, adjudica-taire des fermes. Le magistrat et le commis se rendirent ensuite dans la chambre appelée « la salotte » et firent défoncer la porte d’un cabinet attenant ; ils y découvrirent 22 petits paquets d’étoffe de soie, enveloppés de papier blanc et ficelés.

 

Deux autres pièces de taffetas étaient dissimulées dans une garde robe, sous de vieux habits. Le tout fut également placé dans des sacs, scellé et confié à la garde des commis.

 

 
 

L’armoire renfermait plusieurs paires de bas de différentes couleurs, manufacture d’Angleterre, dont on fit encore un petit paquet cacheté. Il était 9 heures du soir quand la perquisition prit fin. Monsieur de LA HOUSSAYE envoya chercher deux charrettes, dans lesquelles on chargea les marchandises saisies, et la, petite troupe quitta le château pour gagner une lieue de là une maison sûre, où LE MORE rédigea son procès verbal. Le lendemain les deux charrettes entraient en triomphe dans Cherbourg, et il était procédé  sur le champ à l’inventaire complet des objets confisqués.

 

On trouva 147 douzaines de paires de bas »tant bons que mauvais », et 24 pièces de « bon et beau taffetas ».

 

Les commis pressaient vivement de Directeur de partager entre eux une partie de la prise ; mais celui-ci s’y refuse et se contente, en écrivant quelques jours plus tard aux fermiers généraux, d’appeler leur attention sur la bonne conduite  de ses subordonnés et de solliciter pour eux une gratification.

 
Creux du mauvais argent
 
         
 

En même temps que s’opérait cette perquisition chez le comte de Beaumont, quelques gardes des fermes, détachés de la troupe, fouillaient la maison du chevalier de RANTOT. Le bruit courait dans le pays que sa maîtresse, Mlle de TROYES, continuait le commerce de fraude, et l’on disait que depuis quinze jours il était parti de cette maison. Mais il n’y si trouva que cinq paires de bas d’Angleterre en partie cachés dans le lit de la demoiselle, avec deux petits grains de savon.

 

Le 18 Février, un décret de prise de corps était prononcé contre le comte de Beaumont. Mais il ne semblait pas facile d’en assurer l’exécution, Retranché avec des amis et ses domestiques dans son château de la HAGUE, il ne sortait qu’accompagné de gens armés, l’inculpé défiait la maréchaussée et terrorisait  les commis des fermes. Au mois d’Août suivant, il n’était pas arrêté et bien qu’il ose se montrer tous les jours à Cherbourg, venant narguer les employés jusque dans leurs bureaux, personne ne se hasardait à mettre la main sur lui.

 
Cabane de douanier
 
     
 

La noblesse du pays avait bruyamment fait et cause pour son chef. On en voulait surtout au Sieur LE MORE, qui avait dirigé la perquisition du 19 Janvier et qui était en outre chargé de l’enquête. Le bruit courait que plusieurs gentilshommes s’étaient ventés publiquement de lui casser la tête. L’un deux, le sieur de LA LUZERNE LE ROUX, se montrait particulièrement violent dans ses propos.

 

Il déclarait à qui voulait l’entendre que si LE MORE ne cessait pas ses poursuites, il s’en trouverait mal, que désormais il aurait à faire non plus à deux parties, mais à trois, et qu’enfin il y avait trente gentilshommes au service de Mr de Beaumont, qui ne craindraient pas cent commis. Pour comble de malheur, RANTOT, s’était évadé des prisons de CAEN en compagnie d’un autre gentilhomme, le comte d’ÉTAMPES, et il était reparu dans LA HAGUE. LA LUZERNE rappelait à LE MORE un événement qui s’était passé le 12 Mai. Ce jour là, vers les 7 Heures du soir, le capitaine général des fermes revenait de Périers à Coutances où il avait son domicile. Sur le chemin il rencontre quatre particuliers armés de fusils, desquels était RANTOT.et LA LUZERNE. En l’apercevant, RANTOT se jeta dans un champ voisin, à dessein de lui casser la tête. Les autres n’eurent que le temps d’arrêter le chevalier. Deux mois plus tard, LA LUZERNE ayant appris qu’une ordonnance avait été rendue contre Mlle de TROYES et que le MORE venait de lui signifier, courut à COUTANCES, au domicile de ce dernier, l’injuria, le menaça, et lui enjoignit de la part de RANTOT, de cesser ses poursuites ; il ajouta qu’en son particulier, il viderait son différent avec le dit sieur LE MORE s’il le rencontrait par son chemin…. Le danger que courait l’officier de fermes en exécutant ses mandats était si réel que Mr de CHARENCEY lui conseilla de ne pas quitter la ville de Coutances avant d’avoir reçu les ordres des fermiers généraux : en se montrant dans la Hague, il risquait sa vie.

 

Comment se faisait-il que le procès verbal, intenté au comte de Beaumont dès le début de l’année 1696 et poursuivi par l’Intendant FOUCAULT avec un zèle qui ne manquait pas d’âpreté, n’ait été jugé au présidial de CAEN que deux ans et demi plus tard ? Il faut supposer que l’inculpé mit en jeu de puissantes relations et remua ciel et terre pour esquiver une flétrissure. Et puis  le cours de la justice était lent au XIIème siècle. La sentence de l’Intendant porte la date du 27 Août 1698. Elle frappait Monsieur de Beaumont d’une simple amende de 500 livres, qui n’était pas suffisante pour lui ôter le goût du commerce de fraude.

 

Il paraît qu’après examen, on avait dû reconnaître que les paires de bas saisies provenaient bien d’Angleterre, mais que les pièces de taffetas avaient été fabriquées en France.

 
 
 
   
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Et si l’on peut se demander pourquoi ce gentilhomme se trouvait en possession d’une telle quantité de marchandises, entassées dans ses armoires où dissimulées dans son grenier, le fait est qu’en transformant sa demeure seigneuriale en entrepôt, il ne commettait point de délit prévu par les ordonnances.

 

En ce qui concerne le chevalier de RANTOT, l’Intendant insistait pour que le roi l’envoyât servir à MALTE, puisqu’en qualité de gentilhomme, on ne pouvait le condamner aux galères, ni au fouet. il fallait en débarrasse le pays : c’était le seul moyen d’arrêter le commerce de fraude. Louis XIV se rangea  d’abord à cet avis. Mais plus tard, le gentilhomme fraudeur réussit à faire commuer cet exil en relégation à JARGEAU. Son complice PREMARAIS fut envoyé à PITHIVIERS.

 
         
 

Ceci se passait au mois de Septembre 1698. A partir de cette date, il n’est plus question des fraudeurs de la HAGUE dans les mémoires de l’Intendant FOUCAULT. Mais ce pays reculé n’en continua pas moins d’exciter les soupçons des Intendants et d’être l’objet d’une surveillance exceptionnelle. Un régime de rigueur semble lui avoir été appliqué pendant longtemps. En 1718, les habitants des paroisses de Flamanville, Les Pieux, Tréauville, Siouville et Benoîtville, adressaient au Roi une requête en vue d’obtenir la réouverture du Port de Diélette, l’Intendant FOUCAULT, disaient t’ils avait interdit une vingtaine d’années auparavant, sous prétexte que les gens du pays faisaient commerce de marchandises de contrebande, qu’ils tiraient des Îles de JERSEY, GUERNESEY et autres appartenant aux Anglais. Un arrêt du conseil d’Etat, en date du 12 Février, leur donna satisfaction

 

Aujourd’hui, le souvenir des hardis fraudeurs qui troublèrent la quiétude de l’Intendant FOUCAULT a disparu de la Hague. Mais nous ne savons ce que devint le plus célèbre d’entre eux, le chevalier de RANTOT.

 

Cache de fraudeurs

 
 
 
 

Un des proverbes du pays dit : Malheur à l’oiseau qui est né dans une mauvaise vallée, il y revient toujours «  Si RANTOT subit son exil dans l’Orléanais,  ce dont je doute- toujours est-il qu’il n’y resta point.

 

Nous le retrouvons en 1704, à OMONVILLE LA PETITE, au milieu de ces paysans rusés et pleins d’audace qui l’avaient accompagné dans ses expéditions. Il commence à mettre de l’ordre dans ses affaires. Le 6 Janvier et le 7 Juin  de cette année, par deux actes passés devant Me Jacques FALAISE, tabellion au siège de HAGUEDY, il vend à François LEMIERE, pour 600 et 400 livres, quatre petites pièces de terre s’entretenant sises au hameau des Guillemins et dans la vallée au sauvage. Puis il se retira à Valognes, notre Versailles Normand, non pour y devenir homme de cour, mais pour y finir en paix une existence plutôt mouvementée.  Et là, se sentant sur la conscience quelques peccadilles, mais sachant, d’autre part, que ce sont les agents du fisc qui ouvrent les portes du paradis, le vieux fraudeur se préoccupe de rendre à DIEU un peu de ce qu’il a pris jadis à CESAR. Le 11 Octobre 1718, il fait une fondation, au capital de 1000 livres, au profit des sieurs ecclésiastiques de l’église ST MALO. Il avait alors un peu plus de 66 ans. Tout porte à croire qu’il fit une bonne fin

 

Quant à ses complices, menu fretin de l’histoire, leur destinée finale nous échappe. Ce qui est certain, c’est que les contrebandiers du XVII ont laissé dans la HAGUE des descendants qui ne leur cèdent ni en intrépidité ni en astuce. La famille JALLOT s’est éteinte  et le château est passé en d’autres mains.

 

Mais peut être, en cherchant bien, trouverait on encore aujourd’hui dans ces parages, à défaut un bas d’estame ou de taffetas d’Angleterre, plus d’un pays des Iles échappé à l’œil vigilant des douaniers, et plus d’un indigène qui pourrait reprendre à son compte le mot déjà cité du fraudeur :

 

« C’est a moi qu’il faut s’adresser pour avoir du bon tabac »

 
 
 
   
  CORSAIRES et FRAUDEURS

de LA HAGUE au XVIIè siècle

   
         
 

CORSAIRES et FRAUDEURS de LA HAGUE au XVIIè siècle
Reproduction du texte de Paul Lecacheux
Annuaire de la Manche 1923

 
         
 

 

 

 

LE CACHEUX Paul Casimir Noël, Marie Joseph
25 décembre 1873 à Montebourg

14 juin 1938 à Mont-Saint-Cyr (Manche)


Archiviste paléographe, membre de l’Ecole française de Rome, archiviste aux archives nationales de 1898 à 1911, puis des archives de la Manche, et enfin de la Seine inférieure à Rouen.

 
         
   
  CORSAIRES et FRAUDEURS

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Photographies aériennes de Francis Cormon Cap de la Hague, dans le Cotentin

 
     
 

La Hague est un pays de traditions et de légendes, qui plongent leurs racines dans un passé lointain, encore mystérieux. Tout s’y réunit pour évoquer le souvenir des morts et frapper l’esprit des vivants. Un sol accidenté, appartenant aux formations géologiques les plus anciennes, et que le génie des races primitives a fortement marqué de son empreinte ; une nature rude et sauvage, aux horizons grandioses, infiniment séduisants par la variété de ses aspects, succession de plateaux dénudés que balaient sans cesse les vents du large, et des vallons étroits, profondément encaissés dans lesquels serpentent de petits ruisseaux qui descendent vers le littoral ; à côté de landes incultes, des prairies fertiles, des fermes modernes, tout prés de vieilles chaumières, usées par les tempêtent et qui semblent écrasées par le poids des ans et partout dans le lointain, s’imposent à la vue, la mer, une mer si rarement paisible, qui le plus souvent se rue à l’assaut des falaises, s’engouffre  dans les grottes avec des fracas de canon et jette contres les rochers de la côte, les vaisseaux désemparés….

 

Quel cadre choisi pour les exploits d’une race entreprenante, avisée, deux fois normande, par son attachement à la terre et son goût  des aventures ! C’est là, on peut le dire, le paradis terrestre des fraudeurs. Cette région isolée, qui occupe la pointe nord ouest de la presqu’île du Cotentin, est à quelques heures de traversée des Iles anglo-normandes. Ses côtes, bordées de nombreux écueils, sont hérissées de falaises abruptes et entrecoupées de petites anses qui se prêtent à des débarquements clandestins. Ses habitants sont audacieux, à l’affût des coups de mains profitables, et, dans un pays longtemps fermé aux influences du dehors, ils ont mieux gardé  que partout ailleurs les traditions, le caractère, la langue même de leurs ancêtres scandinaves.

 

Parfois aussi, le sol ingrat les oblige à tourner leurs regards vers la mer et à lui demander leur subsistance. Tout contribue donc à entretenir chez cette population, moitié maritime, moitié terrienne le goût de la contrebande et le mépris des dangers, qu’elle entraîne. Aussi loin  que  l’on remonte dans leur histoire, les haguais,  apparaissaient sous l’aspect de fiers marins, de sinistres pilleurs d’épaves et de fraudeurs incomparables. Mais jamais ils n’ont trompé le fisc avec plus d’audace, ni pratiqué la fraude sur une plus large échelle.

 
 

 

 
 

Qu’à la fin du XVII me siècle. Mais il faut avouer que les circonstances s’y prêtaient merveilleusement.

 

Il existait depuis longtemps des relations commerciales entre l’archipel anglo-normand  et le Cotentin. A Jersey, à Guernesey, et même à AURIGNY, les négociants anglais avaient établi des entrepôts, et les produits que la Basse Normandie ne fabriquait point, tels que les bas d’estame et les étoffes de velours et de taffetas, pénétraient par cette voie dans notre pays. En retour, le Cotentin exportait des toiles et des serges, provenant des manufactures de Coutances et de ST LO ; vers le milieu du XVII me siècle, les affaires étaient très florissantes et faisaient l’objet d’un trafic considérable, non seulement avec les Iles, mais avec l’Espagne et le Nouveau Monde. Quel sujet d’étude serait l’histoire de cette petite colonie Coutançaise  établie  à CADIX, colonie très entreprenante et très remuante, enrichie par le commerce des toiles normandes qu’elle répandait jusqu’en Amérique du Sud.

 

 


 Portrait de Colbert par Philippe de Champaigne (1655), Metropolitan Museum of Art


 
 

En 1719, l’un de ces négociants Coutançais de Cadix, François ANCOIGNARD, léguait, par les articles 48 et 49 de son testament, 30000 piastres et plusieurs milliers de francs aux hôpitaux de sa ville natale, et il faisait don au chapitre de Coutances, d’une lampe en cuivre, d’un travail précieux, qui devait être placé devant le maître autel de la cathédrale.

 

La politique protectionniste de COLBERT ralentit un instant ces échanges. Louis XIV avait annoncé hautement son intention de mettre le Royaume, en état de se passer de recourir aux étrangers pour les choses nécessaires à l’usage et à la commodité de ses sujets. Des manufactures de bas d’Angleterre furent fondées dans une quinzaine de villes, bourgs et villages de la généralité de CAEN. A Coutances, en 1666, plus de 400 ouvriers y étaient occupés, et l’intendant CHAMILLART, qu' ils trouvaient plus de débit qu’ils ne pouvaient fournir.

 

Mais la prospérité de l’industrie nationale fut de courte durée. Les guerres, la révocation de l’édit de Nantes, un protectionnisme exagéré, des mesures fiscales vexatoires vinrent diminuer la production des manufactures et ruiner notre commerce. Une période de décadence économique s’ouvre avec les successeurs de COLBERT, et se poursuit sans arrêt jusqu’à la fin du règne. On croit remédier au mal en frappant de taxes très élevées, les marchandises étrangères importées en France ; en réalité on ne fait que rendre plus forte la tentation de les introduire en fraude. La contrebande avec les Îles, mal endémique dans notre pays reprend alors plus active que jamais, et tous les efforts du fisc sont impuissants à l’empêcher.

 
         
   
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A Valognes, le Versailles de la Normandie, où toute la noblesse du pays se donnait alors rendez vous, ils possédaient un de ces hôtels silencieux, aux porches maintenant fermés sur des rues désertes, ornement de la vieille petite ville dont BARBEY D’AUREVILLY a sien bien dépeint le charme mélancolique : c’est  l’hôtel de BEAUMONT, qui, sous le nom de Maison de JALLOT, servit de maison de détention pendant la période révolutionnaire

 

Cette famille était alliée aux  BELLEFONDS, qui comptaient parmi les leurs, un maréchal de France. Commandant l’armée de terre rassemblée au camp de QUINEVILLE lors du désastre de la HOUGUE, aux CADOT, de SEBEVILLE, qui se distinguèrent au XVII è siècle sur les vaisseaux du roi et dans des missions auprès des cours Etrangères. Aux d’AMFREVILLE dont l’un s’illustra aux côtés de Tourville et devint chef d’escadre ; aux CASTEL, de ST PIERRE, qui fournirent à la marine des officiers renommés, et entre autres, le chevalier de ST Pierre, frère de l’abbé, compagnon de Jean BART dans ses croisières de la Mer du Nord, et plus tard Lieutenant général commandant les vaisseaux de la religion, dans la Méditerranée. Eux-mêmes étaient de hardis marins. Dans une pétition qu’il adressait au Roy, le chevalier de RANTOT pouvait s’enorgueillir d’avoir eu plusieurs de ces JALLOT qui avaient accompli, pendant la guerre de Hollande, des exploits remarquables.

 

La Manche était alors sillonnée de corsaires dunkerquois, boulonnais, dieppois et malouins. Les nôtres dont l’histoire officielle  a dédaigné les noms, n’étaient ni les moins heureux dans leurs entreprises, ni les moins braves au combat.

 
 
 

Un historien Cherbourgeois, Alexis GEHYN, dit VERUSMOR, a raconté les exploits héroïques d’Antoine de BRICQUEVILLE, Chevalier de BRETTEVILLE, qui appareilla du port de Cherbourg, vers la mi-mars 1674, avec un petit bâtiment de 10 canons et 60 Hommes d’équipage, et qui, pendant quatre mois, courut la mer, de la pointe de la Hague au Cap Gris Nez et des côtes de France aux côtes d’Angleterre, présent partout, insaisissable, jetant le grappin sur tous les navires de commerce Hollandais qu’il rencontrait, s’attaquant à des frégates d’une force numérique double de la sienne, les obligeant tantôt à lâcher leurs prises, tantôt  a amener leur pavillon. BRICQUEVILLE trouva finalement une mort glorieuse dans un combat à l’abordage contre un brick de 20 Canons, porteur de dépêches expédiées par l’Amiral TROMP aux Etats Généraux de la HAYE : combat opiniâtre, héroïque, qui, commencé le soir, dura la nuit en se termina dans la retraite du brick ennemi. Celui-ci, criblé de projectiles dans sa flottaison, n’ayant plus de voiles  ni manœuvres, s’en alla couler à quelques miles au large de Fécamp, avec tous les blessés qu’il avait à son bord. Et, le corsaire, si maltraité lui-même qu’il pouvait à peine se mouvoir, mit plusieurs jours à gagner LE HAVRE, où l’équipage reçu une distinction par le Duc de ST AIGNAN, gouverneur qui rendit à son capitaine les honneurs funèbres.


Des exploits de ce genre excitaient l’émulation, et nombreux étaient les marins qui brûlaient de marcher sur les traces du Chevalier de cette ville.  A Cherbourg, dans ce temps là, s’il faut en croire l’éminent historien de la Marine Française, M  de  LA RONCIERE, presque  tous les habitants étaient « de la cabale des armateurs » et commanditaient les armements des chevaliers de BEAUMONT, de RANTOT et d’OUVILLE. Ils suivaient l’exemple de la maîtresse du Roy, Madame de MONTESPAN qui avait armé en course trois navires, dont les captures devaient quelques années plus tard défrayer, LA FAYETTE, d’un bâtard Royal, futur amiral de France sous le nom de, Louis Alexandre de BOURBON, comte de TOULOUSE.

 

Le 7 Novembre  1672, sortait  du Havre de Cherbourg, le navire « LA FRANCOISE », du port de  80 canons, armé en course avec trois canons et 55 hommes d’équipage.

 
Madame de MONTESPAN
     

Il appartenant, pour la plus grande part, à un armateur de la ville, Jacques de LONLAY, sieur de la VARENGERE, et il avait comme capitaine, Pierre JALLOT, sieur de RANTOT, que son frère, le chevalier de BEAUMONT, accompagnait en qualité de lieutenant

 

Le lendemain étant par le travers d’Omonville, nos corsaires aperçoivent une frégate de 4 canons, arborant le pavillon Français, qui vient sur eux. L’ayant reconnue pour Hollandaise, ils la laissent approcher à porter de mousquet, lui envoient une décharge et s’en rendent maîtres après un vif combat.

C’était " LA LOUISE ou LUOISE " de MILDEBOURG, capitaine Jacob FRANCK, ayant une commission du Prince d’ORANGE.


A bord on trouva toute une cargaison d’armes , mousquets, coutelas, pistolets, haches d’abordage, piques et deux pavillons en plus du pavillon Français, l’un d’Angleterre l’autre de Mildebourg

 

La même année, Le chevalier de BEAUMONT JALLOT, figure sur » la liste des officiers choisis par le roi pour commander les vaisseaux que sa majesté  fait armer en ponant pour la campagne de 1672 ». Lieutenant en second sur le « SANS PAREIL », vaisseau de 66 canons et de 400 hommes, que commandait Mr de la CLOCHETTERIE, il prit part, en cette qualité, le 7 Juin 1672, à la bataille navale de SOLEBAY, dans laquelle on vit la flotte anglaise du duc d’York  et la flotte Français du comte d’Estrées  se réunir pour combattre la flotte hollandaise de RUYTER. Trente un vaisseaux Français tinrent en échec pendant toute une journée 43 vaisseaux Hollandais «  L’escadre  de France à combattu avec une bravoure extraordinaire » des capitaines anglais qui avaient quitté le champ de bataille pour sauver leur bâtiment tout délabrés de coups. Mais la victoire resta indécise, et des trois flottes en présence, la moins éprouvée fut encore celle de l’homme que COLBERT appelait «  le plus grand capitaine assurément qui ait jamais été en mer » Michel Adrien de RUYTER


     
 

Le "Sans Pareil"

 
 
 
   
  CORSAIRES et FRAUDEURS

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Photographies aériennes Ile de Guernesey

 
     
 

Dès 1670, Colbert recommandait à l’Intendant de faire mieux surveiller activement le littoral, afin de saisir les marchandises débarquées et de mettre la main sur les fraudeurs. Mais les espions de l’Intendant ont beau être aux aguets : ils ne voient que des navires suspects, croisant au large des côtes Françaises, parfois plusieurs jours de suite, et disparaissant un beau matin, comme s’ils avaient renoncé à débarquer leur cargaison, en réalité, les bas, le tabac, les étoffes de velours et de taffetas, sont introduits sur des petits bateaux, montés par des marins de l’un ou l’autre pays. Ces barques accostent la nuit au pied des falaises de JOBOURG ou de FLAMANVILLE. Là par des sentiers connus d’eux seuls, où tout autre qu’un contrebandier se casserait le cou, ces hommes sûrs viennent chercher les ballots de marchandises.

 

Ils les cachent dans des cavernes inaccessibles à marée haute, comme le trou BALIGANT, retraite mystérieuse, qui se prolonge, d’après la légende, jusqu’à sous l’église de FLAMANVILLE.

 

Ou bien ils les enfouissent dans des champs voisins, avant de les porter chez quelques paysans des environs, dont la complicité leur est acquise ; et celui-ci par l’intermédiaire d’un voiturier, mis lui-même dans le secret, les faisait passer à Cherbourg, à Caen, à Rouen ou à Paris. Tous n’ont pas l’audace de ce fraudeur, que mentionne à cette époque la correspondance des contrôleurs généraux des Finances : sachant que, pour ne pas retarder les courriers, on s’abstenait de les visiter, il avait pris le parti d’expédier ses colis par la malle-poste ; et pour plus de sûreté, il les adressait à la femme même du contrôleur, Madame de PONTCHARTRAIN ; qui naturellement ne les touchait jamais. Son avidité le perdit : il fit des colis si lourds que les maîtres de poste s’en plaignirent. On donna l’ordre de les visiter ; et les colis ouverts, qu’y trouva t’on ? Du tabac, des étoffes d’or et d’argent et des livres défendus. Cependant quelques années auparavant, l’administration prévoyante s’était munie contre la fraude  d’une ordonnance qui défendait les maîtres de « coches, carrosses et messageries » d’avoir des doubles fonds à leurs voitures.

 

 
 

Cette fin de siècle est vraiment l’âge d’or de la contrebande. Tout le monde s’y adonne sur les côtes de la Hague, nobles et paysans, pêcheurs et Officiers du Roi. A côté des gens de mer, habitués à exposer leur vie dans ces parages et pour lesquels c’est un jeu d’échapper aux gardes des fermes, nous trouvons des gentilshommes appartenant aux meilleurs familles du pays, des religieux, des artisans, des soldats, et jusqu’aux fonctionnaires charger de réprimer la fraude.

 

J’ai des avis  presque certains de Cherbourg, écrivait PONTCHARTRAIN aux fermiers généraux, que le sieur RENAU (REGNAULD), contrôleur général des fermes fait commerce avec les habitants de JERSEY et de GUERNESEY …

 

En effet, une instruction ouverte par l’amirauté de Cherbourg contre ce fonctionnaire nous le montre délivrant de sa propre autorité des permis de circuler aux bateliers de JERSEY, SERK et AURIGNY qui fréquentent le port de DIELETTE, s’opposant à la saisie de leurs marchandises par les commis de fermes, facilitant l’échange des liaisons anglaises contre les toiles du cotentin, et s’efforçant  de prélever sur la vente de ces dernières une commission de quatre sous par aune.

 


Louis Phélypeaux, marquis de Phélypeaux

(1667), comte de Maurepas (1687),

comte de Pontchartrain (1699),

dit aussi le chancelier de Pontchartrain,

né en 1643 et mort en 1727.

 
 

 

 
 

Ce que PONTCHARTRAIN réprouvait-, il est assez curieux de le constater, c’était la participation des Officiers du Roi au commerce de fraude, beaucoup plus que le commerce lui-même, il écrivait en effet, le même jour à l’Intendant FOUCAULT,

 

« J’ai vu l’information que votre subdélégué a fait à Cherbourg sur le commerce qui s’est fait jusqu’à présent entre quelques habitants de cette ville et ceux des Iles de JERSEY et de GUERNESEY. La manière dont ce commerce ce fait n’est pas dans l’ordre et mérite  d’être réprimée, ne convenant pas à des gens employés pour le service du Roy de faire cette sorte de commerce, mais au fond ne me paraît point désavantageuse, au moins en ce que j’ai vu de cette information, dans laquelle il parait que les Anglais ont donné lieu à la lettre qui m’a été écrite ont apporté  des laines et qu’ils ont remporté des toiles ; et bien loin d’interdire ce commerce, je voudrais qu’il pu s’établir et qu’il put devenir bien considérable. Un témoin avait vu dans la chambre de l’hôtel qu’il occupait à Valognes «  environ 2000 aunes de toiles en paquets roulés, chiffrés et numérotés par chaque bout. Et comme il demanda au dit REGNAULT ce qu’il voulait faire des dites toiles, il lui répondit que c’était pour envoyer aux Iles d’Angleterre. Sur quoi, le témoin lui répartit que si ces Messieurs, les fermiers Généraux savaient ce trafic là, qu’ils ne seraient peut être pas contents .Et, le dit REGNAULT lui répartit qu’il ne se mettait point en peine d’eux, n’en tenant pas  sa commission, mais bien au Roy qui l’en avait pourvu…

 
 
 
   
  CORSAIRES et FRAUDEURS

de LA HAGUE au XVIIè siècle   3/17

   
         
 

Photographies aériennes Ile de Jersey

 
   
 

Le commissaire de Marine de Cherbourg, Monsieur de MESNILVILLE, est également accusé de connivence avec les fraudeurs Sa nomination à ce poste remontait au 6 Avril 1618. Il avait remplacé H.RACINE, passé au Port de BREST (Archives de Cherbourg. AA 56 – et EE 15. Il y a de vraies bandes organisées, l’une opère du côté de Jobourg et Auderville, l’autre dont les exploits ont pour théâtres Diélette et Flamanville. La première entretien des rapports avec Aurigny et Guernesey, la seconde correspond avec Jersey  et Serk ; l’état de guerre avec l’Angleterre augmente les risques de ce commerce clandestin, mais quelques fois aussi le favorise. Les mariniers de la grande Ile, qui viennent renseigner Monsieur de MATIGNON, sur les mouvements de la flotte ennemie apportent des bas ou du tabac ; et les petits bateaux Français envoyés à la découverte, qui sillonnent en tous sens le raz BLANCHARD et le passage de LA DEROUTE, font souvent un transit secret de marchandises sous le couvert du service du Roy. (2))

 

(2 Archives de la marine B3, 67 Foliot 196 et B.E 78.Folio 655) Mr de MATIGNON avait même demandé l’autorisation du commerce de contrebande pour des barques qu’il enverrait à la découverte

 

Le 7 Avril 1691, il écrivait à PONTCHARTRAIN…

 

"A l’égard des Iles, pour ôter tout sujet de défiance aux habitants, il faut absolument que les personnes que j’y envoierait  y aillent sous prétexte de commerce, ce qui ne se pourra faire qu’en prenant de leurs marchandises, qui d’ailleurs sont de contrebande, comme des bas et du tabac. Si vous approuvez cette conduite, qui est la seule que l’on peut tenir pour savoir des nouvelles de ce pays à, vous donnerez s’il vous plait, vos ordres aux fermiers de la douane sur l’usage que vous souhaiteriez que l’on fasse à ces marchandises là. Et, de mon côté je réponds qu’il ne se passera rien dont leurs commis ne soient informés." Mais, le ministre avait refusé ce commerce ayant paru au Roy « trop dangereux pour le permettre pour quelque raison que se soit ».



 

Des fermiers généraux éprouvent de ce trafic un préjudice si sensible qu’en 1691, d’accord avec l’Intendant FOUCAULT, ils proposent à Monsieur DE PONTCHARTRAIN d’armer à leurs frais une patache, qui croisera depuis ST MALO jusqu’à Cherbourg.

 

 
 

Le ministre y consent et, le 13 Juillet 1691, Gilles TORCAPEL, sieur de LA LONDE, bourgeois de CAEN, fait enregistrer à l’Amirauté de Cherbourg une commission de capitaine qui lui a délivrée le comte de TOULOUSE, amiral de France, « pour commander une Frégate patache «  LA SAINTE GENEVIEVE, que les 20 Tonneaux ancrés dans le havre de Cherbourg,  que les intéressés ont fait armer et équiper, disent-ils afin de courir sus aux ennemis de la couronne ».

 
     

En réalité, Gilles TORCAPEL, n’était autre chose qu’un commis ambulant des fermes, et les ennemis de la couronne, en l’espèce c’étaient les fraudeurs. Les peines édictées alors contre ces derniers sont terribles. Un des bateaux contrebandiers ayant été saisi à cette époque, une partie de son équipage est condamnée aux galères.

 

Vers la fin de l’année 1692, celle qui vit le désastre de la Hougue, les plaintes des fermiers généraux étant devenues plus vives, PONTCHARTRAIN ordonna à l’Intendant FOUCAULT de « faire une recherche exacte des particuliers habitants de la côte de Basse Normandie qui font un commerce ouvert avec  les Iles de JERSEY, GERNESEY et AURIGNY pour en faire telle punition que de raison ». FOUCAULT, ayant pris l’affaire en main, la mena assez rondement. L’enquête confiée à Monsieur de MONTHUCHON, lieutenant civil et criminel au présidial de COUTANCES, révéla l’existence d’une bande organisée, qui pratiquait le commerce surtout avec Aurigny.

 

Le 10 Février 1693, l’Intendant rendait compte en ces termes au contrôleur général :

 

"Monsieur, vous aurez agréable de voir par la copie de l’information que j’ai fait faire contre les particuliers de Cherbourg et des Iles qui font commerce de marchandises avec des habitants des Iles Anglaises, que le Sieur Chevalier de RANTOT, est un des principaux auteurs de ce commerce. Il est Monsieur très difficile d’avoir des preuves contre lui, parce que c’est un homme violent  et redouté dans le pays ; qu’il n’est presque pas possible de surprendre ces fraudeurs qui font des feux sur les bords de la mer, pour avertir ceux qui apportent les marchandises le long de la côte, où ils savaient que les gardes de la ferme ne sont pas, dont ils sont informés par leurs espions. Le moyen qui me paraît , Monsieur le plus sur, est de faire  arrêter le Chevalier de RANTOT, qui constamment conduit tout le commerce, ce qui facilitera les preuves, au lieu qu’étant en liberté, il détournera les témoins, dans un pays reculé, où l’autorité de la justice est peu connue. Si vous jugez Monsieur à propos de faire rendre un Arrêt, qui commette le Sieur de MONTHUCHON, qui a fait cette information, pour continuer ce procès, et moi pour le juger au présidial de CAEN, j’espère que nous pourrons voir les preuves, pourvu que le Chevalier de RANTOT soit en prison"

 

Henri- Robert JALLOT de RANTOT, chevalier de MALTE., que l’information de Monsieur de MONTHUCHON mettait si nettement en cause, appartenait à l’une des plus anciennes et des plus nobles familles du Cotentin.

 

Grands propriétaires fonciers, seigneurs ou patrons de Beaumont, Herqueville, Omonville la Petite, Digulleville, les premiers, parmi cette noblesse turbulente de la Hague dont les noms patronymiques sonnent comme des comme des noms de guerre, LA FOUQUE, FEUARDENT, DUREVIE, les JALLOT exerçaient dans ce coin de la presqu’île éloigné de tout centre et fermé aux influences du dehors, une prédominance Incontestée.

 

On les trouve, dès le XVIe siècle, parmi les principaux bienfaiteurs de l’Eglise du Vœu, à Cherbourg, et ils étaient inscrits de temps immémorial, sur les registres de la célèbre confrérie de Notre Dame de Mort Christ, en l’Eglise de Jobourg, où ils remplissaient tour à tour le rôle d’échevin

 
     
 

Valognes Hotel de Beaumont CPA collection LPM 1900