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LA NORMANDIE ANCESTRALE Ethnologie, vie, coutumes, meubles, ustensiles, costumes, patois Stéphen Chauvet. Membre de la Commission des Monuments historiques Edition Boivin, Paris.1920 |
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Eau-de-vie de cidre.
Lorsque la récolte des pommes a été très abondante, et que le fermier normand a plus de cidre qu'il n'en a besoin pour l'année en cours et même les deux ou trois années suivantes (en prévision des mauvaises récoltes ou bien, lorsqu'au moment où il commence à utiliser le nouveau cidre, il lui reste du cidre des années précédentes, il fait bouillir tout ce cidre de supplément ou de réserve pour obtenir de l'eau-de-vie de cidre. Cette coutume et ce privilège des bouilleurs de cru sont causes que tous les fermiers normands ont une large réserve d'eau-de-vie de cidre, et c'est là une véritable calamité pour la belle race normande. Dans les temps anciens, en effet, cette eau-de-vie de cidre n'était consommée qu'avec le café du dimanche, ainsi que les jours de marché ou de foire et à la fin des moissons. Depuis quelques années, malheureusement, les « journaliers » ont imposé l'habitude d'avoir du]café tous les jours, au repas du midi. Et ce café est largement arrosé d'eau-de-vie de cidre. Le fermier qui ne consent pas à ce sacrifice, ne peut pas trouver d'ouvriers. Depuis quelque temps, certains fermiers, pour s'assurer une main-d'œuvre qui se faisait de plus en plus rare et que la guerre a encore raréfiée, vont même jusqu'à offrir, après le « guichon » de soupe du soir, une tasse de café et de l'alcool. Cette augmentation de la consommation de l'eau de-vie de cidre a déterminé : a) une diminution générale de la taille et de la force physique des Normands; b) l'apparition de nombreuses malformations congénitales chez les enfants ; c) l'augmentation considérable de la mortalité par la tuberculose.
Tels sont les méfaits de l'abus de cette eau -de -vie de cidre (méfaits qui ne sont d'ailleurs pas particuliers à elle, puisque ce sont ceux de l'alcool en général) qui, quand elle était prise raisonnablement, était un des charmes des repas normands. Cette blonde eau-de-vie de cidre est, en effet, délicatement parfumée, grâce à sa richesse en éthers aromatiques qui lui donnent, au bout de quelques années, un bouquet très fruité. Cette véritable eau-de-vie de cidre ne peut être dégustée comme le bon cidre que chez les riches fermiers. Ceux-ci, faisant bouillir chaque année une certaine quantité de « pur jus », ont de vieilles eaux -de- vie de cidre qui, après s'être faites et colorées, pendant quelques années, dans un petit tonneau, ont été mises soit clans des « dames-jeannes » de grès, soit dans de grosses bouteilles de 2 ou 3 litres; ces bouteilles de vieille forme à long goulot et en verre grossier, de couleur verte, sont particulièrement jolies. Ces eaux-de-vie de cidre, provenant de pur jus de bons crus, bien soignées et vieilles de douze à quinze ans, ont perdu une partie de leur force en alcool et acquis, par contre, un arôme exquis. Le calvados que Ton sert dans les cafés des villes, ne peut donner aucune idée de ce que peut être une vieille et bonne eau-de-vie de cidre.
Pour terminer, il nous faut signaler que quand il fait très froid, ou les jours de réjouissance, les paysans normands boivent ce qu'ils appellent « un flip », c'est-à-dire du cidre pur jus chauffé et additionné d'eau-de-vie de cidre et de sucre, mélange qui est fort grisant. |
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