LES GRANDES PECHES

   
 

LA PECHE MORUTIERE AU PAYS BASQUE

         
 

Saint-Pierre et Miquelon, CPA collection LPM 1960

 
     
 

LA PECHE MORUTIERE AU PAYS BASQUE

ITSAS BEGIA - Carrassou

 

La morue, ou cabillaud, était communément pêchée et salée par les anciens peuples nordiques, et notamment par les vikings. Dès le moyen-âge, elle est convoitée par d'autres peuples marins, parmi lesquels les Basques qui l'exploitent au large de l'Ecosse. Ce poisson généralement très abondant offre une base alimentaire et commerciale intéressante, s'appuyant entre autres sur les jeûnes imposés par l'église. Un traité signé en 1354 entre le roi d'Angleterre et le roi de Castille, Comte de Biskaia, reconnaît aux Biscaïens le droit de pêche sur les côtes anglaise et Bretonnes. Bayonne, alors sous domination Anglaise, possède les mêmes droits sur la pointe de Bretagne et sur l'archipel de Guernesey. Il est probable qu'il s'agissait de pêche d'une espèce proche, comme le lieu jaune, plus abondant que la morue dans ces parages.

 

Les Basques, armant des navires de haut-bord et commerçant régulièrement avec les peuples du nord de l'Europe ont pu avoir connaissance des routes maritimes parvenant à Terre-Neuve via l'Islande et le Groenland.,

 

Ils ont aussi participé à l'évolution des techniques nautiques : nouveaux types de construction navales, amélioration du gréement, introduction du gouvernail d'étambot, développements d'instruments de navigation...

 

Sur les côtes sud et ouest de Terre Neuve, de l'Acadie et du Saint-Laurent, pendant près de quatre siècles, les Basques pratiquent essentiellement la pêche "sédentaire ", c'est-à-dire que la morue est capturée près des côtes, et salée puis séchée à terre.

 
         
 

On l'oppose à la pêche " errante " ou " à la morue verte ", uniquement salée, spécialité des ports de Normandie ou du Poitou... Jusqu'au dix-huitième siècle au moins, des navires baleiniers sont armés parallèlement aux morutiers.

 

Peu connue au Moyen-âge, la morue devient, grâce aux pêches lointaines, le poisson le plus consommé de France, aux dépens du hareng, le roi des poissons de l'époque.

 

Dès la fin du seizième siècle, de nombreuses communautés maritimes exploitent les bancs de morues de l'Atlantique nord-ouest : Picards, Normands, Bretons, Vendéens, Rochelais, Bordelais, Portugais, et plus tardivement Anglais.

 

Les Basques des provinces du Labourd, de Guipuzkoa et de Biscaye pratiquent cette pêche en même temps que la chasse à la baleine.

 

Au seizième siècle, le développement maximal de cette pêche donne un essor important à l'économie locale. Bien que troublées par des incursions, anglaises notamment, les relations des Basques avec les indigènes de Terre-Neuve et du Canada sont excellentes.

 

L'inquisiteur Pierre de Lancre, qu'on ne peut taxer de sympathie pour les Basque, écrit en 1590 : " les Basques y trafiquaient si bien que les Canadois ne traitaient parmi les Français qu'en d'autre langue que celle des Basques "

 

CPA collection LPM 1900

 
     
 

Au dix-septième siècle, le port de Saint Jean de Luz prend de l'importance grâce aux grandespêches lointaines.Mais la concurrence des Français et des Anglais se fait de plus en plus forte. Après le traité d'Utrecht (1713) qui prive la France de l'Acadie et de Terre-Neuve au profit des Anglais, les pêcheurs Basques se tournent vers Louisbourg et l'île Royale.

 

Les armements s'y maintiennent tant bien que mal au dix-huitième siècle, en particulier grâce à des primes offertes par l'Etat : on y compte vingt-six morutiers luziens ou cibouriens en 1738. Mais la concurrence britannique devient aiguë, en particulier sur le marché espagnol. En outre, la guerre de Succession d'Autriche (1740-48), puis la prise de Louisbourg et de l'île Royale portent un coup sévère à cette activité . Il faut attendre la fin de la guerre de Sept Ans (1763) pour assister à un véritable renouveau, jusqu'à la révolution. Le traité de Versailles à la fin de la guerre de l'Independance américaine (1783) redonne à la France Saint-Pierre et Miquelon et le droit de pêche à Terre-Neuve.

 

Au début du dix-neuvième siècle, la flotte du Pays Basque est dans un état de ruine presque générale. La pêche continue, mais dans des dimensions moindres, souffrant de pénurie de bateaux et de marins.

 

A partir de 1840, la plupart des morutiers traitent le produit de leur pêche dans les sécheries de Saint-Pierre et Miquelon. Les armateurs eux-mêmes commencent à armer leurs bateaux à partir de Saint-Pierre. Pendant la deuxième moitié de ce siècle, la famille Légasse, fondatrice de la compagnie " la Morue française ", permet la poursuite de cette pêche, à partir de ces dernières possessions en Amérique du nord. Le navire le plus communément utilisé est le trois-mâts goélette dorissier, introduit par les Fécampois. Le dernier morutier à voile de cette compagnie, qui a des attaches au Pays Basque par l'origine de ses armateurs, disparaît à Marseille en 1945 : le quatre-mâts " Zazpiak Bat " est détruit par un incendie.

 

La fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième voient disparaître l’importance économique et sociale d'une industrie morutière jusque là florissante. Le remplacement des voiliers par les chalutiers ne modifie pas cette situation.

 

Même après 1945, l'arrivée d'une flotte moderne de bateaux chalutant par l'arrière ne peut enrayer la disparition graduelle de la grande pêche, mise à mal une fois de plus par la concurrence étrangère et le nouveau droit de la mer, mais aussi par les fluctuations des stocks ou encore les changements des goûts des consommateurs.

 
     
 

Poste de pêche sédentaire sur les côtes des terres neuves, ca 1698

Crédit : Archives nationales du Canada

 
     
 

Une présence assurée au Labrador


Lorsque Jacques Cartier arrive dans le détroit de Belle-Isle en 1534, il signale, sans cependant le clamer trop fort, une présence basco-espagnole dans les eaux qu’il sillonne.

 

Les noms de lieu, comme Cap de Bonavista, et plus loin de Cap Pratto, parlent d’eux-mêmes. Des documents d’époque livrent aussi le nom des havres fréquentés par les gens de l’Euskarie : Puerto de los Hornos, Butus, Ballenne, Puerto Breton.

 

Toute la côte ouest du Pays Basque envoie des navires pêcher outre Atlantique, dont Bayonne, Ciboure et Saint-Jean-de-Luz. San Sebastian, Bilbao et Santander, en Espagne, fournissent également leurs contingents de pêcheurs. En 1571, la Guipuzcoa envoie à elle seule douze navires à la chasse à la baleine en Amérique et onze autres à la pêche de la morue sur les bancs de Terre-Neuve. Red Bay (Butus), dans le détroit de Belle-Isle, voit débarquer 600 pêcheurs chaque année alors que d'autres morutiers basques pénètrent à l'intérieur du golfe Saint-Laurent. En 1587, Charles Leigh trouve ainsi 150 pêcheurs de Ciboure en train de travailler aux Iles-de-la-Madeleine. Mais ce mouvement de population, outre le fait qu'il est saisonnier et ramène les pêcheurs à leur port d'attache, n'affecte que la main-d'œuvre masculine et ne favorise pas encore le développement de colonies permanentes.

 

C’est plutôt au plan professionnel que les Basques s’intègrent au Nouveau Monde

 
     
 

Saint-Pierre et Miquelon, CPA collection LPM 1960

 
     
 

Des maîtres d'école

 

La compétence des Basques dans les activités halieutiques a toujours fait l'unanimité. Les connaissances qu'ils affichent leur valent l'estime d'entrepreneurs qui leur reconnaissent une supériorité en ce domaine. D'autres personnes en pensent autant de bien, comme c’est le cas de François-Marie Perrot, plus tard gouverneur de l'Acadie, qui entretient avec eux de nombreux contacts professionnels. Envisageant, au début des années 1680, d'établir des pêcheurs sur le littoral atlantique, il propose de faire « venir de France 1 000 jeunes gens, dont il auroit deux cents capables d'instruire les autres à la pesche que l'on prendroit à Bayonne. »

 

À cette époque, les autorités de la Nouvelle-France veulent jeter les bases d'une industrie de la pêche dans la vallée du Saint-Laurent, mais les Canadiens ne possèdent pas encore les qualifications nécessaires pour qu'elles puissent compter sur leurs seules capacités. Denis Riverin, un marchand et haut fonctionnaire que le roi encourage à investir dans ce secteur de l'économie, demande au souverain français de lui fournir des instructeurs basques pour montrer à ses compatriotes comment chasser la baleine. Il veut développer une basse de chasse des cétacés à Gaspé, mais le roi, qui réserve ce secteur de la péninsule aux pêcheurs des côtes françaises, refuse de lui donner sa permission. Riverin revient à la fin des années 1680 avec un autre projet, de pêche de la morue cette fois-ci, pour le Mont-Louis, sur le versant nord de la péninsule. Il réitère sa demande d’instructeurs basques et un contingent lui est aussitôt envoyé.

 

Ces travailleurs de la mer que sont les pêcheurs basques ont de la sorte aidé à la mise en place des premiers jalons de notre industrie maritime. Ils sont présents sur les côtes de la Gaspésie pendant tout le siècle suivant. Leur compétence sert particulièrement bien l'entreprise de pêche que le munitionnaire du roi, Joseph Cadet, a développé au Mont-Louis dans les années 1750 et dont ils contribuent à faire la plus riche expérience canadienne en ce domaine pour le temps de la Nouvelle-France. Cadet, qui s’approvisionne d’abord auprès d’équipes comme celle de Joseph Caillabet, engage en plus des hommes comme eux pour encadrer et soutenir ses opérations.

 

Ainsi, de simples exploitants du milieu qui retournent chez eux après la saison de pêche, les pêcheurs basques deviennent au cours des années des habitués de la côte gaspésienne et partagent leur savoir-faire avec les coloniaux soit en les accompagnant dans les opérations de pêche, soit en les encadrant.

 
         
 

Saint-Pierre et Miquelon, CPA collection LPM 1960