LE ROI DAGOBERT                                                   4/14
  Comment Dagobert se vengea de Sadragésile.
 
     
 

Sadragésile ne cessait de dire à Chlother que son fils perdait tout son temps à la chasse et qu’il fallait l’empêcher de vivre dans les forêts. Si le gouverneur de Dagobert n’avait eu, en parlant ainsi, que le désir de ramener son élève à l’étude, il ne serait pas trop coupable ; mais c’était, de tout point, une fort vilaine et fort méchante personne.

 

Il ne manquait pas d’esprit toutefois, et, né dans un rang peu élevé, il avait su faire vite son chemin. Sadragésile était évêque lorsque le roi lui fit quitter l’Église, ainsi que cela se pratiquait quelquefois en ce temps-là, et lui confia l’éducation de son fils en lui recommandant bien de lui enseigner tout ce qu’il convient que sache un grand prince. Sadragésile, afin d’avoir plus de crédit, s’était fait investir du duché d’Aquitaine. Cette élévation rapide lui avait tourné la tête, et il nourrissait en soi le désir de renverser du trône le roi son maître, ou tout au moins, lorsque l’heure en serait venue, le jeune prince son élève.

 

Il cachait bien ses secrètes pensées devant le roi, mais il n’épargnait pas à Dagobert les marques de sa haine ;

 
 
         
 

Il imaginait chaque jour quelque mauvais traitement, sous le prétexte qu’il fallait humilier sa jeunesse orgueilleuse ; il le punissait durement dès qu’il le surprenait en péché de paresse ou d’intempérance. Ce personnage à double face accablait le roi Chlother de flatteries continuelles : il vantait son courage, sa générosité, même sa rudesse, et il finissait toujours ses compliments par un soupir. Le roi lui demandait régulièrement quelle était la raison pour laquelle il soupirait, et il disait que c’était parce qu’il ne voyait que trop visiblement l’inutilité de ses soins pour lui assurer un digne successeur. Chlother II aimait assez ce genre de discours et il donnait à Sadragésile maintes preuves de son affection. C’est ce qui le rendit assez osé pour enfermer Dagobert lorsqu’il faisait de beaux temps de chasse. Sa méchanceté alla même jusqu’à blesser le bon chien Souillart pour que Dagobert fût bien malheureux. Celui-ci supportait son mal sans se plaindre haut, parce que l’amitié que Chlother avait pour le duc d’Aquitaine l’intimidait ; mais il sentait qu’il ne pourrait pas toujours contenir sa colère.

 

Un jour que Chlother était allé au loin à la chasse et que Dagobert était resté au logis avec son gouverneur, Sadragésile, voyant le roi parti, accabla Dagobert des plus sanglants reproches, l’appelant méchant garçon et détestable écolier ; il lui ordonna de s’accuser à haute voix de toutes ses fautes devant quelques domestiques de la maison royale et lui défendit de s’asseoir sur un siége aussi élevé que le sien.

 

Dagobert, à l’âge qu’il avait alors, n’était plus un adolescent ; c’était presque un homme ; il sentit son sang bouillir dans ses veines, il se rappela ce qu’il avait enduré de mauvais traitements, il ne put cacher entièrement son émotion. Comme il ne quittait pas son siége, Sadragésile voulut le prendre par un bras ; Dagobert se lève, prompt comme l’éclair, menaçant comme la foudre, et, marchant vers Sadragésile, se jette sur lui. Sadragésile, pâle de surprise et de rage, fit un faux pas et tomba. Comme il était grand et fort, il se releva, saisit Dagobert et fut sur le point de le renverser.

 

A ce moment, le bon chien Souillart, qui était accouru au bruit de la voix de son maître, entra dans la salle. Il saute à la gorge du gouverneur. Dagobert, profitant de la diversion faite par son chien, se redresse entre les bras de Sadragésile, le maîtrise à son tour, lui lie les mains derrière le dos, et lui coupe les cheveux et la barbe ; c’était la plus grande honte qu’il lui pût faire en ce temps-là. Puis il ordonne qu’on le fouette comme un esclave et se retire.