| Petite mariée, petite héroïne de cette grande fête, dites-vous bien en vous levant que voici le jour destiné à laisser dans votre esprit une trace profonde entre tous les jours. Ce qui vous arrive est à la fois très heureux et un peu effrayant. Roulée durant plusieurs semaines de fiançailles parmi un tumulte d'occupations frivoles, vous vous trouvez en ce moment sur un seuil d'où vous commencez peut-être à découvrir un nouveau panorama de vie. Déjà, ô ingrate ! vous avez assisté froidement à la rupture de la plupart des fibres intimes qui vous reliaient à votre passé, à votre famille, à votre origine. L'installation, désormais parachevée, du nid où vous irez habiter ce soir, l'achat de vos toilettes de dame, l'élaboration de maints projets d'existence, la définition de toutes sortes de menus détails concernant votre futur train de maison ont préparé la scission définitive entre ce qui fut hier et ce qui sera demain. Regardez bien ce petit coin où vous serriez vos poupées ; cette table de bois noir où vous rédigiez vos devoirs d'écolière ; cette chaise qui fut pour vous l'espèce d'amie inséparable des heures de broderie, de pensers ou de chagrins ; ce lit vêtu de blanc comme doit l'être un lit de vierge... | | Leonnec | |
| Heurtez doucement la porte de la chambre de papa et de maman. Ne vous hâtez point d'entrer, afin qu'ils aient le temps de dissimuler quelque probable grosse bête de larme et de se composer vis-à-vis de vous un visage heureux. - Tu as bien dormi ? demande papa, comme si cela le préoccupait le moins du monde. Maman regarde, elle, et ne dit rien. Elle pense trop, sans doute. Ah ! en voilà une qui est l'immolée du jour ! Mais il ne servirait à rien que je vous l'expliquasse. Papa est sorti sans raison plausible. Maman vous embrasse longuement, lourdement, avec des caresses qui s'attardent et des balbutiements cherchant à exprimer des révélations très difficiles Peut-être ne distinguez-vous pas bien ? Cela n'a que moyenne importance. Vous vous mariez librement, n'est-ce pas ? Vous aimez d'avance votre mari, vous vous remettez aveuglément entre ses mains, il possède votre pleine, votre absolue confiance ?... Parfait : ne vous inquiétez de rien. D'ailleurs, vous avez peu de temps à sacrifier aux réflexions. Vite, vite, petite mariée, voici la couturière et voici le coiffeur... Celle-là s'efforce vers la hâte ; elle est à genoux derrière votre magnifique traine ; elle a des épingles plein les dents, raconte des histoires insipides et n'avance pas. Celui-ci vous donne la migraine : il sent trop l'odeur. - Germaine, ma chérie, tu ne seras jamais prête, les voitures arrivent !... C'est maman qui s'inquiète... « Lui » (Lui, c'est votre mari, petite madame) est entré, violant probablement des consignes. Longue pression de mains qui se joignent, baiser dans les cheveux, sitôt réprimandé par le coiffeur. « Il » est vraiment très bien en habit, vous ne trouvez pas ? Petit à petit, la chambre s'est emplie d'une foule d'amies ; vos compagnes d'hier, vêtues somptueusement de rose, de bleu ciel ou de blanc, vous contemplent avec des regards de jeunes suivantes devant une reine. L'air s'imprègne du parfum des lilas, des roses ou des tubéreuses. Il y a trop de bouquets. Vous voilà debout, parée... - On est prêt ?... - Oui, on est prêt... Papa a pris cérémonieusement votre bras... Chacun s'écarte avec de grands froufroutements de soie... Va, petite mariée, allez chère petite madame,.. Souriez au bonheur qui s'ouvre, et ne quittez pas un instant des yeux qu'il ne faut pas demander à la vie plus qu'elle ne peut donner | |