La Nuit de Noël

Notre-Dame de Rancoudray

 

Légendes Normandes par M. Hippolyte Sauvage - Huitième Edition - 1927.

 
         
 

C’était la nuit de Noël ! Déjà les sons argentins de la cloche de la petite église de Notre-Dame de Rancoudray, perdue au milieu des immenses étendues de la forêt, se faisaient entendre, rappelant que depuis bientôt vingt siècles, à pareil jour, un petit enfant était né dans une pauvre étable.

 

Elle conviait de sa faible voix la population vers le temple divin, pour y célébrer la messe de minuit. Les fidèles se hâtaient avec une certaine précipitation, car la neige tombait à flocons, menaçant de faire disparaître les sentiers tracés à travers les bois.

 

A peu de distance un tout jeune enfant allait mourir, âgé de quatre ans à peine. Il allait succomber bientôt sous les étreintes terribles du croup, dont n’avait pu le garantir une chaumière mal close et sans feu depuis longtemps. Depuis la mort du père, un rude bûcheron de la forêt, écrasé dans la chute d’un arbre, la misère régnait au foyer et les travaux de sa veuve n’avaient pu suppléer au salaire du chef de famille disparu.

 

La mère est là, priant à genoux sur le berceau de son fils André, suppliant le Ciel de le lui laisser pour toujours. Le vieux docteur qui est entré chez elle dans la soirée, lui a laissé comprendre à son regard attristé qu’il n’y avait que peu d’espoir et qu’elle ne pouvait compter sur aucun secours humain. L’enfant lui-même, le front et les membres brûlés par la fièvre ardente, semble avoir perdu jusqu’à la force de laisser sa main penchée vers sa mère. Il a la langue enflée, sortie à demi de la bouche et il paraît râler.

 

Tout-à-coup la mère se relève, comme obéissant à une inspiration céleste. Elle court chez sa voisine, une pauvre vieille, presqu’impotente et qui ne peut marcher jusqu’à l’église, pourtant assez proche.

 

— Vous seriez bien bonne, lui dit-elle, de venir veiller mon pauvre enfant, tandis que j’irai quelques instants à la crèche du petit Noël, prier pour lui.

 

La voisine est pieuse. Mais quand elle entend cette mère parler de quitter son fils moribond elle ne peut s’empêcher de songer que le désespoir lui fait perdre la raison car assurément elle ne le trouvera pas vivant lorsqu’elle va rentrer. Cependant elle n’ose ajouter à cette grande douleur par un refus. Et sans mot dire, elle se traîne à la maisonnette, jusqu’au petit lit d’André.

 

Puis, pendant que la mère, sous la neige qui tombe toujours et plus fort, se rend à l’église, elle allume du feu et y fait chauffer des briques qu’elle place aux pieds de l’enfant, pour y rappeler une chaleur bienfaisante. Enfin elle lui donne à diverses reprises des tisanes, du miel cueilli dans son jardin, et lui plaçant autour du cou des compresses bouillantes de fleurs de sureau, elle ramène la circulation du sang et une transpiration généreuse.

 

A l’église, près de la porte, a été dressé une crèche où est couchée une petite statuette en cire. Les personnages qui l’entourent rappellent d’une façon un peu sommaire le grand événement de la naissance de l’enfant Jésus. Mais cette scène est reproduite dans une image à larges dimensions, qu’un vieux prêtre a placée en évidence et qui apparaît dans un fond de branches de sapin et de verdure. Quelques flambeaux allumés donnent à l’ensemble un certain coup d’œil.

La malheureuse femme ne va pas plus loin ; elle se précipite agenouillée sur les dalles humides, et elle égrène avec ardeur son chapelet, mêlant ses sanglots à ses prières et parlant à la Sainte Vierge, mère de Dieu, qui peut guérir son enfant. Et tandis que montent vers le ciel ses supplications ardentes, enthousiastes, inspirées, il lui semble que, sous le rayonnement d’une petite lampe, figurant l’étoile des Mages, elle a vu la statuette de l’enfant Jésus s’animer sous son regard anxieux et lui répondre par un sourire.

 

Elle croit à une illusion d’abord ; elle regarde avec plus d’attention. Mais non ! c’est vrai, le fils de Marie, de la mère de douleurs, a souri à l’infortunée qui pleurait en silence.

 
     

Alors elle se lève ! et s’enfuyant à une vitesse vertigineuse, elle accourt vers son humble demeure, toute heureuse, sans savoir pourquoi, et songeant aux sourires de l’enfant divin.

 

Son fils lui sourit également ... dès que la porte s’ouvre. La mère bondit à son berceau et tombe dans les bras de la vieille voisine, qu’elle serre dans une étreinte pleine d’émotion et de reconnaissance. L’enfant sourit encore, et tour à tour à sa mère ainsi qu’au crucifix de bois qui est suspendu au pied de son lit. Il est guéri et sauvé.

 

Bientôt, il ira lui-même à la crèche, remercier le petit Noël et Notre-Dame de Rancoudray qui l’ont rendu à sa mère parce qu’en anniversaire de cette nuit, où naquit le sauveur du monde il ne faut pas que les mères pleurent jamais