LE ROI DAGOBERT                                                   5/14
  Où il est question de Chlother II et de son humeur farouche.
 
     
 

Chacun était frappé d’épouvante en songeant à ce que Chlother allait dire lorsqu’il serait de retour. On savait que Sadragésile jouissait de toute sa faveur et on avait tout à redouter de sa colère. Chlother II était en effet un roi sans miséricorde. C’est ici le lieu de rappeler deux traits de son histoire.

 

Quelle ne fut pas sa fureur le jour où il apprit que ses lieutenants avaient été battus du côté de la forêt Noire par le farouche Acrol, roi des Boiares ou Bavarois ! Jamais tempête ne se leva plus impétueuse. En un instant les jeux sont suspendus dans la métairie royale à Clichy ; la corne appelle cavaliers et fantassins ; on part ; sur toute la route l’armée remuante et bruyante voit ses rangs se grossir : bientôt l’ennemi est atteint, il est vaincu. Ivre de joie, Chlother oublie Dieu qui lui a permis de vaincre ; il n’a qu’une pensée, il veut que le bruit de sa vengeance retentisse à jamais dans la postérité.

 
 
         
 

On amène devant lui trente mille prisonniers ; il leur annonce qu’ils méritent la mort et qu’il ne fera grâce qu’à ceux d’entre eux dont la tête ne s’élèvera pas au-dessus de son épée.

 

Sur un signe du roi, les prisonniers sont amenés un à un devant l’épée terrible, que maintient à sa droite un des principaux leudes. Le chef de l’armée vaincue s’avance le premier ; il est d’une taille élevée ; sa belle tête attire les yeux ; son regard plonge fièrement dans les rangs de ses vainqueurs ; il va, d’un bond rapide, se placer à côté de l’épée qui, haute de cinq pieds six pouces, n’atteint guère que ses lèvres : il sourit ; un soldat lui tranche la tête et Chlother reste immobile. Un à un, mille prisonniers passent ; trois cents vaincus sont décapités. Quand la nuit vint, dix mille prisonniers avaient été mesurés ; trois mille vaincus, d’une taille élevée, avaient été frappés de la hache.

 

Un seul, entre tous, arrivé devant l’épée, s’agenouilla. Chlother, avec un sourire de mépris, accorda la vie à cet homme sans cœur.

 
         
 

Le lendemain, la fête sanglante se prolonge. Dès la première heure du jour, les vingt mille prisonniers qui restaient défilèrent un à un, le front haut, devant Chlother et devant l’épée. Six mille têtes tombèrent, pas un homme ne fut lâche. Voilà quelles étaient, après la victoire, les réjouissances du fils de Frédégonde. On sait aussi quelle est la manière dont il punit Brunehauld, reine d’Austrasie fille, femme, mère, aïeule de tant de rois, du crime d’avoir été la rivale et l’ennemie de Frédégonde sa mère. Brunehauld fuyait devant son armée. On la découvre, on l’arrête, on l’amène devant lui. Ni les soixante-treize ans de cette reine, ni ses cheveux blancs, ni sa faiblesse, ni son courage, ni sa gloire n’obtiennent grâce. Trois jours durant, placée sur un chameau venu d’Asie, on la promène dans son camp au milieu des huées et des outrages. Trois jours entiers la vieille Brunehauld supporte sans murmurer son supplice.

 
 
         
 

Au matin du quatrième jour, Chlother fait amener un cheval fougueux : par son ordre on saisit la malheureuse reine d’Austrasie ; on l’attache à la queue du cheval par les cheveux, par un bras et par un pied. Puis, d’un coup de fouet, Chlother chasse le cheval dans la plaine. Il part traînant le fardeau qui l’irrite, et, dans sa course furieuse, il traverse bientôt les champs ; il franchit les buissons qui l’arrêtent, il disparaît. C’est ainsi que Brunehauld avait péri. Chlother n’avait cessé de suivre de l’oeil son cadavre ensanglanté que lorsque le cheval avait disparu entièrement. On se rappelait ce tableau terrible, et on tremblait.