LES FABLES DE LA FONTAINE
   
  LE CHENE ET LE ROSEAU
         
 

Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;
Un Roitelet  pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ;

tout me semble zéphir
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent. 
La Nature envers vous

me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'Arbuste ,
Part d'un bon naturel ;

mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins

qu'à vous redoutables. 
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin.

Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants

  

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,

 

Illustration de Gustave DORE

 
       
   

Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.