HISTOIRE DE PECHES
  VIVIERS A CRUSTACE DE LA HAGUE
         
 
 
     
 

Article issu du site

Archéologie, Histoire et Anthropologie de la presqu’île de la Hague

 

Les viviers à crustacés à la pointe de la Hague

Enquête d’Eric Marie et de Gérard Vilgrain, texte d’Eric Marie

Genèse des viviers

 

L’usage des viviers à la Hague semble n’avoir intéressé que la conservation des crustacés, les poissons, plus difficiles à maintenir en vie jusqu’au retour au port, étant immédiatement vendus à l’issue de la pêche. Seuls les petits poissons capturés le long du rivage avec des «sennes» pour servir d’appâts sur les lignes pouvaient être «mis à vivre» dans des «gouges» en osier jusqu’à leur utilisation (éperlans, lançons par exemple). Mais cette pratique n’intéressait que les pêcheurs spécialisés dans la pêche aux cordes (lignes de fond destinées à la capture des raies, turbots, congres… ).

 

L’utilisation de bassins en eau, à terre et à l’abri, est très récente ici. Si cette pratique est attestée très anciennement comme chez les Romains dès l’Antiquité, elle ne s’est développée chez nous que parallèlement aux techniques qui permirent aux restaurateurs de présenter en aquarium les crustacés. À la Hague, du moins pour ce que l’on en sait, au XIXe et jusque vers les années 1970-80, la pêche côtière avec des embarcations de tailles modestes et des engins en nombre limité dans une zone réduite, ne générait que des apports de faibles tonnages et chaque équipage ne visait, au travers de l’utilisation de viviers, que la conservation temporaire des crustacés jusqu’à la vente qui avait lieu, majoritairement, à intervalles réguliers lors du passage des mareyeurs.

 
     
 

Par ailleurs, la nature des espèces commercialisées peut varier non seulement en fonction des périodes de l’année mais également d’un lieu de pêche à l’autre même à peu de distance. Ainsi, si l’on compare les trois ports de Goury, Saint-Germain des-Vaux et Omonville-la-Rogue

 
 
         
 

Durant la première partie du XXe siècle, on peut noter que la pêche des araignées de mer (maïa squinado), les crabes, selon la terminologie locale (et au féminin !), concerne surtout les deux derniers ports au même titre que la pêche du «bouquet» ou crévette (palaemon squilla) qui, elle, n’a jamais été pratiquée à Goury. Par contre ce dernier port a toujours été réputé pour le homard qui représentait la part la plus importante de ses captures, cependant que la langouste rouge (espèce aujourd’hui en voie de totale disparition suite aux pratiques de pêche intensive) n’était pratiquement connue qu’à Saint-Germain. Cette distinction peut sans doute, du moins en partie, expliquer l’évolution des pratiques de la conservation du produit de la pêche, les espèces «nobles» étant, en dehors des événements ponctuels comme les mariages ou communions, commercialisées surtout par l’intermédiaire des mareyeurs ou des restaurateurs, cependant que les espèces communes et d’un prix plus abordable pouvaient être proposées directement à la population locale.

 

Selon les témoignages que j’ai pu recueillir vers la fin des années 1960 auprès de marins pêcheurs âgés, principalement à Goury, la pratique la plus ancienne qui a perduré encore au début du XXe siècle était celle du câsi. Le câsi était le plus souvent un très grand claé, sur le modèle des nasses en vannerie servant à la capture des crustacés (voir «La pêche au casier», Le Viquet n°126), mais plus haut et spécialement conçu pour remiser la pêche, dont la goule était fermée par un morceau de liège, une planche de bois ou un morceau de filet mobile. Les câsis servaient donc de viviers et ils étaient mouillés à proximité du port voire dans le port si celui-ci était en eau de façon permanente.

 

Sans doute la précarité de tels viviers fit-elle abandonner cette pratique au profit des caisses en bois. Il faut noter que le câsi primitif en vannerie, bien que confectionné selon les mêmes principes que le cllaé était le seul à porter ce nom de câsi alors que le français désigne, lui, toutes les sortes de nasses destinées à la capture des coquillages par le terme général de «casier». C’est également ce câsi qui va donner son nom à la caisse en bois qui lui succède et jamais le mot «vivier», sous quelque forme phonétique que ce soit, ne sera utilisé pour les désigner.

 
 

 

 
 

Le câsi en bois est généralement confectionné par les pêcheurs eux-mêmes. Il est fabriqué à partir de planches de bois flottant comme le sapin car il devra rester en surface en supportant son contenu. Lorsque gorgé d’eau et alourdi par les algues, il commence à couler on doit le mettre au sec et le remplacer par un autre qui a recouvré son pouvoir de flottaison. Chaque bateau possède donc plusieurs câsis afin de pouvoir procéder à ces permutations jusqu’à ce que les plus usagés doivent être remplacés par des neufs.

 

Les dimensions (et donc la contenance) sont variables et s’avèrent le plus souvent dictées par leur destination.

 
 
         
 

D’une façon générale un câsi est plus long que large et moins haut que large, ce qui assure sa stabilité (il n’est pas recommandé qu’il soit trop carré car il doit pouvoir se comporter correctement dans la houle si du mauvais temps survient). Il peut être divisé en compartiments destinés à séparer les espèces, certaines d’entre elles devant impérativement ne pas être mélangées si l’on ne veut pas essuyer des pertes. Les planches sont clouées avec des pointes galvanisées mais il n’est pas rare que l’on doive au cours de la vie d’un câsi en remplacer un certain nombre. L’assemblage est souvent renforcé par des tasseaux placés à l’intérieur des angles sur toute la hauteur des côtés, voire, si le câsi est de grandes dimensions, à plusieurs autres endroits. Les planches qui composent la partie inférieure de l’ouvrage, donc immergée, peuvent être disposées à claire-voie mais on préfère en général les percer de trous dont le diamètre peut aller d’une dizaine de millimètres (crevette principalement) à 25 ou 30mm surtout dans le fond et la partie basse, ceci afin de favoriser la circulation de l’eau à l’intérieur. Sur le dessus du câsi une planche n’est pas clouée, elle reste mobile pour servir de trappe afin d’accéder à l’intérieur. Cette trappe est pourvue de garcettes passées au travers d’elle-même et des planches qui lui sont contiguës. Du côté opposé au bord de l’ouverture ces garcettes sont d’un seul tenant, au nombre de deux, et servant de charnières (certains câsis possédaient des charnières en laiton ou en acier galvanisé, mais c’était rare, voire exceptionnel) cependant que quatre autres placées deux par deux face à face permettent de maintenir la trappe fermée en les nouant au moyen d’un nœud plat. La trappe pouvait également être pourvue d’un porte-cadenas, de conception artisanale plus ou moins personnelle, permettant de sécuriser le contenu du vivier au moyen d’un cadenas propre à résister à la corrosion. Par ailleurs cette planche mobile servant de trappe présentait souvent, cloués sur sa face interne, deux tasseaux plats ou planchettes qui, dépassant la largeur du côté pivotant, venaient assurer le maintien de la trappe en position fermée.Un cordage frappé de part et d’autre de la caisse, sur la face

de l’extrémité située généralement à gauche de l’ouverture de la trappe, servait à retenir le câsi sur son mouillage cependant qu’un autre cordage, d’environ une brasse, passé au milieu d’une planche supérieure du côté contigu à l’ouverture de la trappe, permettait de maintenir la partie supérieure du câsi hors de l’eau le long du bord du bateau lors des opérations effectuées dans ce vivier.

 

Avant d’être mis dans le câsi, les homards étaient couégnis, c’est-à-dire qu’on bloquait l’articulation de chaque pince au moyen de petits coins de bois taillés à la demande (selon la taille des pinces) afin d’empêcher qu’ils se battent entre eux dans le vivier. (L’utilisation des élastiques est venue avec le développement de la pêche intensive).

 

Pour les mêmes raisons les clopouengs (clos-poings – cancer pagurus), eux, étaient énerquis en passant dans leurs pinces ouvertes, serrant un objet quelconque, la lame d’un couteau sur leur articulation interne, les rendant ainsi inoffensifs.

 

Quant aux «crabes», langoustes et crevettes elles n’avaient aucun traitement particulier à subir avant d’être mises dans le câsi.

 

Les avaries, surtout lors de violentes tempêtes, les vols de plus en plus fréquents ont fait abandonner cette pratique mais, le plus souvent, en adoptant la solution des bassins en eau qui permettent aux pêcheurs d’avoir accès directement, et pour certains à leur domicile, au produit de leur pêche rendant possible une commercialisation à tout moment sans les aléas des marées et surtout de la météorologie qui pouvait parfois et durant de longs jours empêcher l’accès aux câsis livrés aux éléments déchaînés sur leur mouillage.