LES ARMES D'HAST 1/2
   
         
 

Les vieilles armes d'hast

Janine Cacciaguerra. 1951

 

Les vieilles armes, font la joie des collectionneurs, le bonheur des érudits et le charme ornemental des foyers décorés avec art. Cependant, il leur arrive de faire le désespoir des archéologues et historiens, car tout le XIXe siècle fut la proie des copistes et faussaires et, actuellement, plus des trois quarts des pièces offertes ne sont pas authentiques. D'un autre côté, les besoins du cinéma pour ses figurations historiques ont fait fabriquer d'une manière massive armes et armures, le plus souvent avec du vieux fer, et il en résulte que l'on n'arrive plus que très difficilement à découvrir de belles pièces offrant toutes garanties.

 

Trois sortes de pièces constituent les vieilles armes : celles blanches, insignes de la chevalerie et de la noblesse ; celles de harnois ou armures, et enfin celles d'hast ou de hampe, qui, durant des millénaires, armèrent la masse de la troupe, de la « ribaudaille » selon le terme médiéval.

Chronologiquement, les armes d'hast sont les plus anciennes qui soient, car essentiellement défensives et tirant leurs origines du simple bâton

 

Historiquement, l'arme d'hast sert à retracer toute l'histoire de l'armement individuel, et, par ses modifications, ses changements, ses créations, retrace toute l'évolution du combat.

On trouve les armes d'hast dans les mains des croisés, des chevaliers, des gens d'armes, comme dans celles des piétons de la guerre de Cent Ans, des mercenaires des grandes compagnies, à l'époque de la Jacquerie, aux temps des Maillotins, et même au cours de certaines sanglantes journées de la Révolution.

 

Ce sont elles aussi qui armèrent pendant des siècles les brillants champions des tournois, des joutes et des pas d'armes. Toutes les guerres de l'Empire et du XIXe siècle, celle de 1914 à 1918 ont même connu l'emploi de quelques-unes d'entre elles, comme la lance et la baïonnette.

 

Certaines proviennent de l'adaptation d'un outil civil à des fins militaires, lors de levées en masse, comme le trident et la faux.

 

Toutefois, l'arme d'hast utilisée essentiellement par la troupe fut en général « uniforme » aux périodes normales. Mais l'invasion des Francs, surclassant avec l'angon et la framée les piques de la phalange gallo-romaine, rompit cependant ce principe.

 

Les Carolingiens adoptèrent la framée, plus courte que la pique romaine. Elle évolua avec l'adjonction de deux ailerons. Mais lances et piques restèrent toujours les meilleurs armements.


Certaines armes d'hast furent spécialisées pour la chasse et la pêche, avec des caractéristiques modifiées.

 

La tapisserie de Bayeux, les figurations des croisades prêchées par Pierre l’Ermite montrent certaines évolutions et multiplications de variétés par l'obligation d'armer avec des moyens de fortune. Paysans et serfs, manants et vilains formaient la grande masse des croisés. On fit appel à leurs outils habituels avec de simples adaptations militaires : la fourche, la serpe, le coutre de charrue, la hache, la faux, le fléau se métamorphosèrent en armes redoutables.

 

Durant deux siècles, les croisades généralisèrent ces emplois. Il en fut de même au moment de la Jacquerie. C'est ainsi que de l'antique pique on passe aux maniements en taille et en estoc, c'est-à-dire utilisant le tranchant ou la pointe, simultanément, avec des hampes devenues plus courtes. Puis il y a spécialisation de certaines de ces armes pour que chaque homme d'arme puisse mieux utiliser ses aptitudes spéciales ou personnelles.

 

Aux XVe et XVIe siècles, les types archaïques disparaissent et d'autres évoluent : pique, masse, épieu, fauchard, hallebarde, pertuisane, vouge, guisarmes, espontons compliquent à plaisir leurs formes, et l'on aboutit alors à l'arme décorative gravée, ornée, guillochée, damasquinée.

 

On arrive alors, avec certaines cours princières, la papauté et la cour royale, à l'arme de grand apparat pour les gardes du corps, les Cent Gardes, la garde suisse, etc., etc. On la trouve encore actuellement au Vatican, pour les suisses d'église et dans la marine, selon la vieille tradition pour le « hallebardier de l'amiral ».

 
 
       
   
 
     
   
 
     
   
 
     
   
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Si les épées, sabres et dagues étaient fabriqués par les armuriers, les armes d'hast étaient un monopole des couteliers pour leurs fers et des boîtiers et coffriers pour les hampes.

 

La classification des armes d'hast est extrêmement compliquée, surtout en ce qui concerne certains modèles hybrides aux formes chevauchantes. 

Historiquement, on peut les réunir sous deux grands types :

 

D’un côté pertuisane, masse, corsèque, dérivés de la pique et toujours symétriques ; d'un autre, hallebarde, vouge, couteau de brèche, etc., dérivés de la hache, du marteau, de la serpe, et toujours dissymétriques. On préfère toutefois la classification d'après l'usage. On a alors six catégories :

  -1° pour combattre à pied avec de longues hampes, servant à l'attaque, avec parfois des crochets ou ailerons pour désarçonner l'adversaire

  -2° pour se saisir uniquement de l'ennemi ;

  -3° pour compléter une arme à feu ;

  -4° pour combattre à pied et à cheval ;

  -5° pour le jet et enfin,

  -6° pour le combat à cheval.

 
 
         
 

On arrive ainsi à 41 catégories, qui ont été étudiées par un savant érudit, Charles Bouttin, rédacteur d'autant de notices. Trois collections sont particulièrement et justement célèbres, celles du Musée des Invalides et du musée Masséna, à Nice, avec en plus la collection personnelle d'un Toulousain devenu Parisien : Georges Paulhac. Mais il y a aussi de petites collections qui, si elles ne représentent pas plusieurs milliards de francs comme les précédentes, restent toutefois très remarquables.

 

 

Il y a aussi les armes d'hast d'apparat, ou même simplement ornées, ou de caractères aberrants. Elles méritent des mentions spéciales.

 

Les plus belles sont incontestablement certaines pertuisanes. Hélas ! leurs formes similaires à certains glaives du XVe siècle, beaucoup plus prisés des amateurs, a tenté d'habiles faussaires.

 

C'est une lame d'épée large, avec, à la base, deux crocs, et parfois quatre. En France, donnée aux soldats d'élite, elle devint, après 1670, l'insigne des officiers.

 
 
         
 

Mais, dès Henri IV et Louis XIII, elles deviennent l'armement spécial des gardes de la Cour, assimilés aux officiers par préséance.

 

Les pertuisanes des gardes de la Manche de Louis XIV sont de véritables oeuvres d'art, frangées d'argent à la hampe et aux fers à lames damasquinées et richement ornées, repercées à jour et ciselées en haut relief, gravées de devises et de figures du char d'Apollon, de la tête de la Renommée, de couronnes de lauriers, de mappemondes fleurdelisées.

 

Toutes les cours d'Europe imitèrent alors Versailles, avec la duchesse Christine, les rois Victor-Amédée II, Charles-Emmanuel III, mais resteront de magnificence inférieure à ce que donnèrent celles des gardes du corps de Louis XVI et de la Garde royale des Cent Suisses. Ces dernières sont armoriées en or. Ces pièces rarissimes valent plusieurs centaines de milliers de francs. La hallebarde est, à l'inverse de la précédente, une arme dissymétrique rappelant la forme de la hache avec un « bec de faucon » du côté opposé.

 
 
         
 

Les plus anciennes datent de 1481, commandées par Louis XI, qui les emprunta aux Allemands. Mais elles subirent une certaine influence du « vouge » suisse.

 

Dans les modèles d'apparat, le tranchant de la hache s'incurva de plus en plus, jusqu'à devenir un croissant, et se hérissa de pointes, de crochets d'ornements à jour, le tout presque toujours accompagné de gravures. Le bec se compliquera également de toutes sortes d'ornements aux formes parfois bizarres.

 

Hormis le désarçonneur, qui est une fourche à trois pointes, en forme de lyre, il n'y a guère que trois armes d'apparat que l'on trouve décorées : le fauchard, le vouge et le couse, ou couteau de brèche. Tous les trois affectent la forme d'un coutre de charrue et ne diffèrent en quelque sorte que par le système de monture.

 

Le fauchard est monté en bout de hampe, et le couse également ; il diffère toutefois du premier en ce qu'il est totalement désaxé et comporte une pointe vers le bas, à l'inverse du fauchard, presque symétrique et souvent avec deux ardillons à la base.

 

Le vouge est surtout d'origine suisse, et sa lame se trouve fixée par deux bagues sur la hampe.

 

Tous les décors usuels des hallebardes et pertuisanes s'y retrouvent.

 

Il est heureux que, par les temps actuels de modernisme à outrance, les armes d'hast semblent reprendre une certaine faveur dans la décoration des studios, cabinets de travail et halls modernes. Un fait curieux freine cependant cet essor ; certaines régions de la France surabondent de ces armes dans les vieilles familles, et d'autres n'en peuvent trouver. Le marché de ces pièces historiques s'en trouve alors déséquilibré et elles sont sans valeur en quelques contrées et surpayées en d'autres.

 

On ne saurait terminer cette fresque sans rendre hommage à l'effort de diverses associations d'amateurs pour faire connaître ces documents du passé, les faire aimer et estimer. Elles sont le témoignage concret de la gloire militaire de la France.

 

On doit aussi marquer une gratitude spéciale à ce producteur de figurines historiques, Jacques Mignot, historien et archéologue, dont les petits soldats de plomb servent merveilleusement à enseigner l'histoire militaire, celle du costume, et aussi à charmer maints collectionneurs.