MAIRES ET CURES BAS NORMANDS
  LE VIN DES AMES DU PURGATOIRE
         
 

Par
Jean Des Sablons
Ancien Procureur

 

Le Curé d’un de nos Saint-Germain recommandait souvent à ses paroissiens de faire prier et dire des messes pour délivrer les âmes du purgatoire.


Maître Jacques Brunot qui venait de perdre sa femme, se souvenant des pieuses recommandations du Curé et étant d’ailleurs fort dévot de sa nature s’en alla un après-midi au presbytère pour demander des messes pour sa pauvre défunte.


Le Curé le reçut à bras ouverts, le félicita sincèrement sur sa piété et finalement lui offrit de se rafraîchir.


Comme bien vous pensez, Maître Brunot n’eut garde de refuser : on ne trinque pas tous les jours avec son Curé et surtout quand c’est aux dépens de celui-ci. Voilà donc nos deux amis en train de déguster la bouteille que le Curé est allé lui-même chercher au meilleur de son caveau.

 
 
 
     
 

Le nectar leur déliant la langue ils en dirent de belles ; le Curé s’oublia même à demander à son paroissien comment il trouvait son vin.


« - Ma foi, M. le Curé, je le trouve bien bon et je voudrais bien en avoir un tonneau du pareil dans ma cave.

 

- Hé bien ! dit le Curé en se rengorgeant, ce vin là, mon père Brunot c’est du vin des âmes du purgatoire.

- Vraiment ! M. le Curé.
- Ah bien, ajouta-t-il, après une pause de réflexion, si les âmes du purgatoire ont de si bon vin, ce n’est pas la peine de leur faire dire des messes ; je remporte mon argent. »


Et, joignant le geste à la parole, Maître Brunot remit dans sa poche la pile de pièces de cent sous qu’il avait comptées sur la table du Curé.


Pauvre Curé ! il avait eu la langue trop longue ; cela lui coûta une bouteille de vin et une commande de messes.