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Phare du Trocadéro pendant le siege de Paris 1890 |
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Pour atteindre les objectifs qui lui étaient assignés, la Commission des phares s'est appuyée sur le travail d'ingénieurs des Ponts et Chaussées dont le concours s'agrégea au sein d'un Service des phares, installé à Paris, dans des bâtiments construits sur le quai de Billy, puis sur la colline de Chaillot
Pourquoi des ingénieurs de ce corps firent-ils, jusqu'aux années 1980, tout ou partie de leur carrière au Service des phares ? |
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La capacité d'un corps de techniciens à construire de nouveaux champs de spéculation intellectuelle, à trouver ou à conquérir une place dans les cercles de pouvoirs, politique et industriel, est sans doute l'une des conditions de sa survie au sein de l'appareil d'Etat.
Dans cette perspective, s'emparer du phare, et donc de la politique de signalisation maritime du pays, relevait de stratégies, individuelles ou collectives.
Le cas de Léonce Reynaud (1802-1880) est révélateur. Architecte et ingénieur, il trouve dans un domaine d'activité peu attractif - la construction d'un ouvrage isolé en mer - une opportunité de reconnaissance professionnelle et sociale.
Son parcours individuel, sa personnalité et son autorité de bâtisseur permirent au corps des Ponts et Chaussées d'étendre son emprise sur le réseau de signalisation maritime en renforçant l'institution que ce corps contrôle de manière exclusive, le Service des phares.
La singularité du parcours de Reynaud, qui se consacre longuement à l'apprentissage du métier d'architecte dans les années 1820, est intimement liée à la contestation du régime de la Restauration, son renvoi de l'École polytechnique en 1822 s'inscrit dans un climat d'agitation politique des étudiants parisiens, alors que les journées de juillet 1830 lui ouvrent les portes d'une carrière dans le corps des Ponts et Chaussées, qu'il rejoint avec l'appui de la députation de Moselle.
En avril 1831, il est nommé élève à l'école des Ponts, effectue deux séjours auprès d'ingénieurs ordinaires, dans le Cher et l'Ariège, avant de rejoindre le Conseil Général du corps, au printemps 1833.
Il y rencontre Léonor Fresnel, alors secrétaire de la Commission des Phares, qui veille à l'exécution d'un ambitieux programme de construction sur toutes les côtes du pays. Celui-ci lui demande de rédiger des avis sur les projets de phares proposés par les ingénieurs du littoral.
En avril 1834, Fresnel confie à Reynaud, alors âgé de 32 ans, la responsabilité du difficile chantier de Bréhat. |
Facade du dépot des services des phares, Paris |
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Projet pour les ateliers du service des phares quai de Billy 1848 |
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Léonce Reynaud |
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Il s'agit de construire un phare dit "de premier ordre" sur un rocher submergé à chaque marée. Dans ces conditions difficiles, comment le bâtisseur va-t-il maîtriser les tensions qui peuvent surgir entre esthétique, économie et technique ?
Reynaud s'attelle à la tâche et propose un projet ambitieux, où les contraintes de tenue à la mer de l'ouvrage stimulent l'ambition esthétique de l'architecte." Aucune œuvre ne fut plus personnelle que ce phare de Bréhat, dont il ne parle que sous la forme impersonnelle " écrit de Dartein dans la biographie posthume de son maître.
C'est dans cette perspective qu'il convient d'interpréter la césure du bâtiment en deux volumes distincts, l'un massif, engendré par la révolution d'un arc d'ellipse sur le modèle des phares britanniques d'Edystone et de Bell Rock, l'autre plaçant la lanterne à 50 mètres de la base du phare, au sommet d'un cylindre de construction plus légère. |
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Une question demeure cependant : pourquoi confier ce projet à Reynaud, alors que de nombreux ingénieurs, plus expérimentés dans les travaux maritimes, auraient pu en assurer la direction avec efficacité ?
S'agit-il pour Fresnel d'éprouver les compétences du "jeune" ingénieur ? Aucune trace des motifs de cette décision n'est parvenue jusqu'à nous, mais il est sûr que la réussite, humaine et technique, plus qu'économique, de Bréhat décide Fresnel : dès le début des années 1840, il indique sans ambiguïté qu'il souhaite transmettre ses fonctions à Reynaud, sur lequel il se repose désormais pour certaines tâches administratives, dont l'inspection des travaux en cours.
La volonté de rendre exemplaire le récit de la construction des Héaux de Bréhat a gommé plusieurs épisodes douloureux (la noyade d'un entrepreneur chargé de l'extraction des pierres, la pension versée à un tailleur de pierres, dont les crises d'épilepsie ne seraient pas sans rapport avec les conditions de travail en mer ) et les nombreuses difficultés financières rencontrées.
Au printemps 1837, les travaux confiés à l'entrepreneur breton Lemonier sont placés en régie, sous la responsabilité directe de l'ingénieur chargé du chantier.
C'est donc dans une phase critique du chantier que l'école Polytechnique l'appelle aux fonctions de professeur d'architecture.
Le 7 novembre 1837, alors qu'il ne s'est pas officiellement déclaré, le conseil d'instruction souligne que son statut d'ancien élève, sa connaissance du "langage des mathématiques", sa carrière d'architecte, et ses fonctions d'ingénieur des Ponts font de lui le candidat idéal. |
Plan du phare des Héauts de Brehat |
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Le phare pendant sa construction |
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Il est très facilement élu et combine cette activité d'enseignement avec l'achèvement des travaux du phare, dont il délègue pour partie la conduite à Jules de La Gournerie, ancien marin et jeune aspirant ingénieur, qui souhaitait rejoindre un service maritime, si peu recherché par ses condisciples de l'école des Ponts.
Au printemps 1837, Reynaud s'est marié avec Mademoiselle Duhost, fille d'un colonel du 2ème de ligne, si bien que le souvenir de Bréhat condensera, bien des années plus tard, le succès professionnel et la fondation d'une famille : C'est par ces mots que Reynaud achève, pendant le siège de Paris, les notes autobiographiques qu'il rédige à l'intention de ses deux enfants.
Nous sommes à la fin de l'année 1870 et Léonce Reynaud a derrière lui une brillante carrière à la tête d'une direction des phares. En 1867, dans un dossier de candidature à l'Académie des Sciences, il indique que " sur 291 phares de divers ordres actuellement allumés sur les côtes de France (...), 131 ont été établis sous ma direction, et la plupart d'après mes plans ". |
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Phare des Héauts de Brehat |
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