RECITS ET CONTES

DES VEILLEES NORMANDES

   
  Le bras de saint Ernier
 
     

Récits et contes des veillées normandes

Marthe MORICET

Cahier des Annales de Normandie 1963

Volume 2

 

Le taureau de Ia Bauquencée

Le bras de saint Ernier

La légende de saint Gerbold

L'assassinat de saint Godegrand

Le lac de Flers

Ganne

Gauchelin

Voeu d'un marchand

Duel de Legris et de Carrouges

La fileuse

 
 
     
 

Le bras de saint Ernier

 

Un voyageur qui suivait un jour le chemin conduisant à Domfront et paraissait très affligé, fit rencontre d'un inconnu, d'une physionomie respirant la bonté , qui l'arrêta pour lui demander la cause de sa peine . Le voyageur lui répondit qu'il était un pauvre laboureur chargé de famille, que la sécheresse qui sévissait depuis trop longtemps mettait ses moissons futures en péril , et menaçait de la ruine lui et les siens . Touché d' une tendre compassion , l'inconnu, qui n'était autre que saint Ernier, et qui se fit connaitre, lui dit : " Allez à Céaucé, prenez dans l'église mon bras, trempez-le dans l'eau , et vos craintes se dissiperont ". Après en avoir obtenu la permission , le laboureur fit ce qui lui avait été ordonné , et des pluies abondantes, survenant aussitôt, vinrent rendre la fraicheur à la terre, faire renaitre et prospérer les moissons qui, cette année-là, donnèrent des épis à pleine faucille, des gerbes à pleins greniers.

 

Lors de la tourmente révolutionnaire , l' image sculptée de saint Ernier fut enterrée dans le cimetière pour la soustraire aux mains sacrilèges qui l'auraient impitoyablement brisée . Mais quand vinrent des jours plus cléments , le bon saint fut oublié dans le champ des morts , et l'église demeura veuve de l'image révérée de son patron.

 

Une calamité , une affreuse sécheresse qui désolait les campagnes, en fit souvenir toutefois . La statue du protecteur de la paroisse fut exhumée , processionnellement portée à 1' église , et réintégrée à la place que durant des siècles elle avait occupée. Les cataractes du ciel s'ouvrirent, les pluies abreuvèrent largement la terre, lui rendirent sa fécondité et les moissons furent sauvées.

 

(Jules Lecœur, Esquisses du Bocage Normand, t. II, p. 189-190)