LE TRAIN DANS LA MANCHE
  DE PARIS A CHERBOURG EN CHEMIN DE FER
   
  II   - DE MANTES A ÉVREUX  -2/3
         
 

L'hôtel de la gare de Mantes  CPA Collection LPM 1900

 
     
 

     Henri IV l'habita et la dota de deux fontaines, qu'il chargea M. D'O, un nom qui semble prédestiné, de faire élever. Ces fontaines existent encore. C'est à Mantes que Louis XIV vint pour apaiser les troubles de la Fronde. A ce moment, le grand roi ordonna la reconstruction du pont, qui passait pour un des plus beaux de France. Le pont moderne qui le remplace à cette heure, mérite également d'être cité.

 

     On voit que Mantes, qui à ces époques possédait un château royal, pouvait, à bon droit, faire la grande dame. Sa prévôté, son baillage, son présidial, sa collégiale, ses trois paroisses, ses couvents et son hôpital, n'avaient-ils pas eu, de tout temps, l'honneur de sonner, à toute volée, la bienvenue aux rois de France en visite chez elle ?

 

     Notre vaniteuse se pique, du reste, d'une origine qui vaut bien des quartiers. Le gui de chêne, qui figure dans ses anciennes armoiries, donne à penser qu'elle date du temps des Druides. Charles VII, à ce blason, ajouta la moitié de ces armes composées d'une seule fleur de lis.

 

     Les Célestins et les Cordeliers étaient les deux principaux couvents de Mantes. La fondation des Cordeliers remontait au règne de Saint-Louis. Les Célestins ne dataient point de si loin, mais ils avaient des mérites fort appréciés des gourmets du temps passé : ils possédaient un clos, et de ce clos dit des Célestins, sortait un vin dont le Mercure de 1726 proclame l'excellence. Plus tard encore, les Nouvelles recherches sur la France, de 1766, disent que « les vins qu'on recueille dans le clos des Célestins sont ceux de France qui résistent le plus facilement aux longs transports par mer. On en a porté en Perse, ajoute l'auteur, sans qu'ils eussent souffert la moindre altération. »

 

     Les temps sont bien changés. J'ignore ce que peut être le vin de Mantes aujourd'hui, mais on n'en porte plus en Perse, et j'ai bien peur qu'il n'ait quelque parenté compromettante avec le crû de Suresnes. Ce n'est pas à dire qu'il faille sourire du palais de nos pères, ils l'avaient tout aussi délicat que nous : Henri IV, dont les lèvres goûtèrent le jurançon avant le lait de sa nourrice, s'y connaissait en bouteilles, et ne méprisait pas le Suresnes. Ces vins ont dégénéré, et peut-être n'en faut-il pas chercher la cause ailleurs que dans ce fait : les meilleurs vins sont récoltés dans les terres légères, sur les terrains pierreux : les forts engrais donnés aux vignes des environs de Paris ont gâté le terroir.

 
         
 

La gare de Mantes coté cour CPA Collection LPM 1900

 
     
 

     Mantes est sans fabrique et sans autre industrie, nous l'avons dit, que celle de la minoterie. Elle compte néanmoins de 4 à 5,000 âmes et se trouve le chef-lieu d'un arrondissement du département de Seine-et-Oise, dont la population monte à peu près à 80,000 habitants, et tend sans cesse à s'accroître : aussi, par un décret récent (1er mai 1858), la sous-préfecture de Mantes a-t-elle été élevée à la deuxième classe.

 

     Quoiqu'il en soit, si l'on ne va point aux environs visiter Rosny et la Roche-Guyon, m'est avis que deux heures bien employées suffisent et au-delà pour savoir Mantes par coeur. Le train du matin vous aura amené, le convoi suivant pourra vous conduire à Evreux, en brûlant les stations peu importantes de Breval, Bueil et Boisset-Pacy.

 

     Avant de monter en wagon, un mot encore pourtant sur ces grands bois qu'on aperçoit devant soi, du quai de la station. C'est le parc de Magnanville, dont le château fut jadis vendu par un M de Vindé, à la condition singulière que l'acquéreur le démolirait, ce qui fut fait. Avec les matériaux du château on a construit le pavillon qui remplace actuellement la demeure seigneuriale.

 
     
 

Mantes place de la gare CPA collection LPM 1900

 
         
   
  LE TRAIN DANS LA MANCHE
  DE PARIS A CHERBOURG EN CHEMIN DE FER
   
  II   - DE MANTES A ÉVREUX  -1/3
         
 

De Paris à Cherbourg en chemin de fer,

contenant l'historique complet des travaux

de la digue et du port de Cherbourg

 

Auteur : Henri Nicolle

Publication Caen : Alfred Bouchard, 1860

CPA Collection LPM 1900

 

PREMIÈRE SECTION

DE PARIS A CAEN  -239 KILOMÈTRES

DEUXIEME  SECTION

DE CAEN  A CHERBOURG -133 KILOMÈTRES

HISTORIQUE DE LA LIGNE

 

I PARIS A MANTES

II MANTES A EVREUX

III D'EVREUX A BERNAY

IV BERNAY A LISIEUX

V LISIEUX A PONT-L'EVEQUE

VI PONT-L'EVEQUE A CAEN

 

VII CAEN BAYEUX

VIII BAYEUX VALOGNES

IX VALOGNES CHERBOURG

 
         
 
 
     
 

MANTES

 

     Entrons dans la ville.

 

     Ce n'est pas sans raison que Mantes à été nommée Mantes-la-Jolie. Rien de plus gracieux que le coup d'oeil qu'elle présente, inclinée sur son coteau et descendant jusqu'à la Seine, qui semble, tout exprès pour la parer, avoir arrêté des îles verdoyantes à ses pieds. Mais, pour jouir de ce coup d'oeil, il faut descendre sa grande rue et traverser le pont auquel elle aboutit. La ville alors s'étage en amphithéâtre, montrant ses toits, pour la plupart entrevus à travers le feuillage des jardins ; une vielle tour carrément assise les domine sur la droite ; c'est le dernier vestige de l'ancienne église de Saint-Maclou. On conserve ce monument à cause de son architecture, qui n'est pas sans prix, et aussi, disent les gens de Mantes pour servir d'antiquité à la ville... Qu'est-ce en effet, qu'une cité qui n'a pas quelque ruine à offrir, à expliquer aux étrangers

 
         
 

     Vers la gauche s'élève le vaisseau de l'église Notre-Dame qu'on embrasse dans toute sa longueur, et ses deux tours dont la restauration s'achève en ce moment. Les piliers du choeur sont remarquables, la voute a 30 mètres de hauteur et les tours de 66 à 70 mètres ; on voit par là que cette église, fort ancienne d'ailleurs, offre de grandes dimensions.

 

     Au dire de certains chroniqueurs Guillaume-le-Conquérant en serait le fondateur ou plutôt le restaurateur. Ils rapportent qu'en 1096 il mit le feu à la ville de Mantes, qui lui était rebelle, et brûla jusqu'aux églises. L'ardeur du feu dont il s'était approché l'ayant mis au lit de la mort, il voulut réparer sa faute et donna de l'argent au clergé de Mantes pour rebâtir sa cathédrale.

 

     Cette cathédrale, puisque les vieux livres l'appellent ainsi, cette cathédrale vit encore un autre héros. Celui-là ne la brûla pas,mais il menaça d'y faire grande boucherie d'hommes : c'était messire Bertrand du Guesclin. Il s'agissait déjà depuis deux siècles de disputer notre sol aux Anglais, et les bons Français, à cette époque, n'y allaient pas de main morte.

 

    Tant il y avait qu'alors, le roi Jean étant en Angleterre, le Dauphin avait fort à faire de dégager Paris qui ne recevait plus de vivres par la Seine et menaçait de mourir de faim ; l'étranger, tenait Rolleboi-se, Mantes et Meulan ; le fleuve était bien gardé.

 

     Bertrand du Guesclin venait de clore ses premiers exploits, en Bretagne, par la prise de Rennes, et déjà son renom le proclamait aussi brave que fin matois. Le Dauphin le manda, et le Breton apporta son courage et ses bons tours au service du régent de France. Ce que penseraient aujourd'hui nos stratégistes des ruses de messire du Guesclin, je ne sais ; si elles lui réussiraient, j'en doute. De fait, voici celle qu'il employa avec succès devant Mantes.

 

     On se trouvait sous les murs de Rolleboise ; l'on résolut de prendre Mantes par surprise.

 

     Trente soldats travestis avaient été d'avance envoyés dans la ville, disant, comme de raison, pis que pendre du Dauphin, et témoignant grand zèle pour le Navarrois, afin de mieux dissimuler et de n'être point suspect : ils sont là pour préparer les voies et attendre l'évènement. Au jour dit, vingt autres soldats se déguisent en vignerons, et les voilà qui se présentent, avec des armes cachées sous leurs vêtements, aux portes de la ville.

 

La Tour Saint Maclou. CPA Collection LPM 1900

 

Cathédrale de Mantes. CPA Collection LPM 1900

 
         
 

     Il était matin, les portes s'ouvraient, et nos gens jouaient si naturellement leur rôle de vignerons allant en ville chercher de l'ouvrage, que les hommes d'armes préposés à la garde de la poterne ne firent nulle difficulté de les laisser passer. Il en passe dix, et pendant que ces dix premiers vont rejoindre leurs camarades à l'intérieur, et que les gardes urbains, comme de bons portiers qu'ils étaient, allaient s'asseoir dans leur poste sans plus songer à rien, les dix autres surviennent et bravement par derrière les terrassent ; puis sonnent du cor pour avertir du Guesclin que le tour est fait. Le capitaine s'en était venu par les petits chemins, étouffant le bruit de sa troupe ; il entre dans Mantes au moment où tout dormait encore.

 

     Les bourgeois sautent à bas du lit, en humeur de courir sus aux assaillants. Mais l'on ne prend point le Breton sans vert. Des charrettes habilement renversées embarrassent les rues par où les Mantais auraient pu se lever contre lui, en sorte que, se voyant réduits, ils n'eurent d'autre parti à suivre que de s'enfermer dans l'église pour se soustraire à la fureur du soldat et tenter la défense. Bertrand s'y présenta et leur dit qu'il ferait d'eux de la chair à pâté s'ils ne désertaient la cause du roi de Navarre pour crier : A bas les Anglais ! et vive la France ! ce qu'ils firent incontinent, suppliant ensuite le vainqueur d'aller chasser les Anglais de Meulan. Tant que l'étranger serait maître de cette ville très voisine, ils pouvaient craindre sa vengeance du Guesclin leur répondit que c'était bien son affaire et qu'il l'entendait ainsi.

 

     Mantes, depuis, retomba aux mains des Anglais, et fut reprise par Charles VII.

 
     
 

La gare de Mantes coté cour CPA Collection LPM 1900

 
         
   
  LE TRAIN DANS LA MANCHE
  DE PARIS A CHERBOURG EN CHEMIN DE FER
   
  II   - DE MANTES A ÉVREUX  -3/3
         
 

La gare de Breval coté cour CPA Collection LPM 1900

 
     
 
 
 

 La gare de Breval coté intérieur CPA Collection LPM 1900

 
     
 

BREVAL, BUEIL et BOISSET-PACY

 

     Nous quittons Mantes avec une rampe de 9 millimètres.


     Jusqu'à Breval, la voie à mi-côte domine le cours de la Seine masquée par des collines relevées, sur le plateau desquelles s'étend jusqu'à l'horizon lointain la plaine partagée en grandes bandes de différentes cultures, manteau diapré où la lumière met ses harmonies pour qu'à l'idée de richesses en sac que sa vue inspire aux bons paysans, un peu de rêverie moins positive monte au coeur de l'artiste.

 

     Le tunnel de Breval précède la station de ce nom ; il a 1,000 mètres environ de longueur et passe à travers des terres de glaise qui rendent les infiltrations abondantes. La voûte ruisselle, les rails sont dans l'eau. On dirait un tuyau de drainage ; par le fait c'en est un, et de belle dimension. On ne s'attendait guère à voir le drainage en cette affaire.

 

     Voici Breval, Bueil et Boisset, trois communes qui ne comptent pas ensemble huit cents âmes, mais dont le marché est important.

 
         
 

Bueil Avenue de la gare  CPA Collection LPM 1900

 
         
 

La gare de Bueil coté interieyur CPA Collection LPM 1900

 
     
 

     La station de Boisset porte le nom de Pacy, qu'elle dessert, et s'intitule Boisset-Pacy. Pacy est une ville ancienne ; elle garde le souvenir de Philippe-Auguste, de Charles V et de saint Louis ; son commerce de grains est considérable ; elle tient le 3 novembre une foire où se vendent surtout les jeunes vaches.

 

     Du paysage qu'on traverse actuellement je n'ai pas grand'chose à dire ; ce n'est point encore la Normandie ; il est maigre ici, plus loin plantureux ou boisé, quelques vaches y paissent. Mais le train file, l'aspect change. Une route cotoie la voie, une charrette s'y traîne ; l'homme qui la conduit, assis, les jambes ballantes, sur le brancard, regarde les wagons de l'oeil mélancolique d'une tortue qui suivrait le vol d'un aigle. Le train file. Une autre route glisse sous le remblai ; une autre encore passe sur le viaduc, tandis que rapide comme la flèche nous franchissons son arche : Le train file, il s'enfonce dans la tranchée profonde ; il revient au jour : un pêle-mêle de toits de chaume apparaît, c'est un hameau. On distingue une ferme ; des poules picorent sur un fumier, des oiseaux flottent sur la mare ; un chien, le cou tendu, la gueule ouverte, semble aboyer ; un enfant se précipite hors de la maison.

 
 

 

 
 

La gare de Bueil coté intérieur CPA Collection LPM 1900

 
     
 

La gare de Boisset coté intérieur CPA Collection LPM 1900

 
     
 

     On voit encore dans le jardin voisin la servante qui, d'un arbre à l'autre, sur des cordes tendues, suspend son linge ; et le kiosque prétentieux, la cascade et le petit bassin pourvu d'un jet d'eau, qui dénoncent l'habitation d'un petit bourgeois retiré. Heureuses gens dont les eaux de Versailles tiennent dans une cuvette !

 

     Mais le train file, le hameau est déjà loin. Si jamais vous avez rêvé le calme des champs et le sommeil du juste, repassez par là vers neuf heures, à la nuit noire, vous devinerez comment on y dort et vous pourrez croire à la réalité de votre idéal ; quelques points rouges à peine, perdus çà et là, dans la masse confuse, comme des feux de ver luisant dans un buisson, vous attesteront l'existence du village.

 

     Le train file. Ce sont des saulaies au bord d'un ruisseau, des rangées de peupliers qui fuient avec la même rapidité que les poteaux du télégraphe électrique, puis des champs qui succèdent aux collines, et maintenant quelques jardins, des maisons aux toits d'ardoise. Le train file, il siffle, il s'annonce à la station prochaine et ralentit sa marche.

 

    Voici Evreux.

 
     
 

La gare d’Evreux coté cour CPA Collection LPM 1900