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Petite Mademoiselle qui avez ou allez avoir dix-huit ans, gardez-vous de dire : « Moi, je n'épouserai qu'un ingénieur qui soit brun, grand, avec une fine moustache » ; ou « Moi, je veux un officier blond, dans la cavalerie, avec une grosse voix ». | Sagers 1910 Paris la nuit | |||||||||
La différence est insondable et je pense que j'y reviendrai. Je me borne pour aujourd'hui à constater qu'un monsieur qu'on déteste bien est tout près de devenir le monsieur qu'on aime : d'où nécessité de se garder du catègorisme dans les prévisions d'avenir.
Et puis, autre chose que vous ne savez pas : c'est que les goûts d'une jeune fille sont précaires. L'expérience y manquant, ils s'édifient sur fond de sable. Le plus souvent, on les appellerait mieux et « fantaisies » ou « caprices » : et ceci même chez les natures sérieuses à qui il manque l'étude de la vie pour se faire un jugement ordonné. Il est très possible qu'à dix-huit ans, vous ayiez d'irrésistibles penchants pour les bonbons, le bal, les jeunes hommes bruns, et qu'à vingt-cinq, devenue l'épouse chérie d'un excellent homme chauve, vous ne souffriez plus de manger des sucreries ni de quitter le soir votre coin de feu. Qu'en savez-vous à présent ? Rien. Vous conjecturez, vous délibérez, vous arrêtez... Oui mais, ce n'est pas vous qui tenez la destinée, c'est la destinée qui vous tient. Avez-vous songé à cela ? Je n'exagère pas l'importance du jeu. Mon Dieu, si on ne parlait plus de mariage entre jeunes filles, ce serait à désespérer de l'existence ! Tout de même, les natures subjectives feront bien de se revêtir de bonne heure d'une chape de scepticisme en ce qui touche notre sujet. N'a t-on pas vu de petites rêveuses se forger un idéal dont l'inaccessibilité les jeta, au célibat ? Certaines entêtées, férues d'un type d'homme, n'ont-elles point mis un sot amour-propre à repousser des partis qui eussent été loin de leur déplaire, parce qu'elles craignirent de se déjuger au regard de leurs amies ? Voulez-vous un conseil, Mesdemoiselles ? Abordez la période capitale de la vie qui s'ouvre devant vous avec bonne humeur, sans vous encaquer dans les définitions. Tirez à la courte paille, effeuillez des marguerites, pour savoir s'Il sera grand ou petit, épicier ou colonel, mais ne jurez point devant telle ou telle fontaine : Toi, je ne boirai jamais de ton eau ! Car « jamais » est une grande chose. En tout cas, c'est une chose que vous ne tenez pas dans vos mains. | ||||||||||