LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

La paille et les alumettes -Mai 1914
         
 

Les parents vigilants multiplient envers Bébé les conseils de prudence : Surtout, ne joue pas avec les allumettes, c'est très dangereux, tu mettrais le feu !

Pour complément de sûreté, ils éloignent de la boite d'allumettes les objets parti­culièrement combustibles, comme le pa­pier, la paille, parce qu'ils savent bien que la moindre étincelle échappée risque d'alluruer un incendie.

Mais les années se passent. Bébé est de­venu un jeunehommee. Il a vingt ans. Un jour, on introduit à la maison une fillette de seize ans que nous supposons insigni­fiante : petite parente pauvre, jeune ins­titutrice, etc., etc. Bien entendu, notre vieux Bébé est sérieux. Peut-être jouera­t-il avec la petite parente, comme ils fai­saient tous deux lorsqu'ils étaient enfants ; peut-être encore, frais émoulu de l'école et donc un peu pédant, paraîtra-t-il pren­dre plaisir à échanger des idées avec la jeune institutrice. Cela n'engage à. rien. Papa et maman dorment sur leurs deux oreilles.

Un jour, coup de foudre ! Le plus bête des hasards (vous savez comme ces choses-­là arrivent quand on y pense le moins) déchire la taie que papa et nranrail avaient devant les yeux. Miséricorde, « ils » s'aiment !

 

SAGERS 1910 Paris la nuit

 
 
 
 

Comment cela s'est-il fait ? Quel malheur ! On gronde, on ob­jurgue, on menace... Peine perdue. Les allumettes ont pris feu auprès de la paille.

 

Tout ça, brûle en un brasier formidable qui défie les pompiers, on vous le garan­tit ! Si le mariage est possible, il n'y a qu'à se dépêcher d'admettre la conjonc­tur e; s'il ne l'est pas, en route pour la cassure nette de l'amour filial. L'imprévu est inextricable. Le diable seul sait comment vous en sortirez

Voilà ce que c'est, parents, que d'avoir un vieux coeur amorphe. Vous avez oublié la jeunesse incandescente, vous ne vous êtes pas doutés... La faute revient à vous seuls, entendez-moi bien. Un jeune homme auprès d'une fillette, c'est la suscita­tion presque forcée de l'amour passionnel. Il voltige de l'un à l'autre comme le pol­len vers la fleur attendant la féconda­tion. Notez que, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, la jeune fille est prête à ai­mer le premier qui lui dit : Je t'aime... Un mot, un seul mot tombé des lèvres du garçon, et voilà l'irrémédiable créé.

C'est charmant, mais c'est périlleux. Un bon conseil à vous donner est de ne pas attendre qu'il y ait à guérir. Ne ces­sez jamais de prévoir !