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Cherbourg, rue de l'Ermitage CPA collection LPM 1900 |
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Mémoires de la Société Royale (Nationale) Académique de Cherbourg" CHERBOURG, IMPRIMERlE UK MARCEL MOUCHEL, 15 RUE CHRISTINE,1852.
LA S0C1ETE ACADEMIQUE DE CHERBOURG A EXE FOINDEE PAR LOUIS XV EN 1755.
NOTICE HISTORIQUE SUR LES DEUX ERMITAGES DU HAUT ET DV BAS DE LA MONTAGNE DU ROULE, A CHERBOURG,
Par Alexandre-Edouard LESDOS.
L'ERMITAGE DE NOTRE-DAME-DE-PROTECTION , ou DU HAUT DE LA MONTAGNE DU ROULE, A CHERBOURG.
L'illustre ecrivain , dont notrc siecle a vu naitrecl briller d'un eclat radicux les productions immortelles , et que la mort a enleve dernierement aux lettres qu'il cultiva pendant plus de quarannte annees, Chateaubriand, comme le savent scs justes admirateurs , a retrace , dans son Genie du Christianisme , avec un dessin et un coloris pleins de charmes , les sites des monasteres que la religion de Jesus-Christ offraitjadis comme lieuxde repos, de priere et d'etude. « Les premiers solitaires, dil-il, livres a ce gout delicat et sur de la religion qui ne Ironipe jamais lorsqu'on n'y mele rien d'etranger, ont choisi dans les diverses parlies du monde les sites les plus frappants, pour y fonder leurs monasteres. II n'y a point d'ermite qui ne saisisse,aussi bien que Claude le Lorrain ou Lc Notre, lc rocher ou il doit placer sa grolle
II ne faut pas aller bien loin pour Irouver quelque preuve qui vienne a l'appui des paroles du celebre panegyriste Chretien. Quelle conlree n'a pas a reproduire des souvenirs ou des ruines de ccs monuments de la foi ? Parmi nous , qui n'a pas enlendu dire qu'avant la Revolution de 89 il exislait aupres de la ville de Cherbourg deux modesles etablissements de ce genre? Qui ne sail encore qu'ils durent leur suppression , comme tous les autrcs, au fleau revolutionnaire?
Lorsque l’on parcourt le sommet de la montagne du Roule, dont la hauteur est de 550 pieds environ au dessus du niveau des basses mers d'equinoxe , on reconnait qu'il n'etait pas possible de renconlrer dans noire pays, pour rejouir la vue et agrandir la pensee , un site d'ou Ton put dccouvrir un panorama plus grand dans son ensemble et plus varie dans ses details. L'ermite qui eut l'idee d'y batir sa demeure, il faut bien le reconnaitre, n'etait pas depourvu de gout. C'etait un homme sensible aux charmes de la belle nature. Quand, plus tard, Vauban devina par son genie ce que devait elre Cherbourg a cause de sa position , deja Termite avait installe sa demeure pour en apprecier d'avance le magnifique coup-d'oeil.
C'est l'histoire de cet etablissement religieux, dont la forme primitive a tout a fait disparu , que je vais raconter d'abord a l'aide de documents imprimes ou restes en manuscril, de traditions conservces dans la memoire de personnes qui le visterent souvent, el qui ont bien voulu m'en inslruire , puis enfin d'etudcs locales qui m'ont ete facilities par le proprietaire actuel avec un louable empressement. Puisse ce reck donner a des fails d'une epoque qui csl passee sans retour, tout l'interet qu'ils meritenl , en ce qu'ils concernent particuliereraent noire contree.
Le reverend pere Elienne Duquesne , pretre , de l'ordre des ermites de Saint-Antoine , ne a Cherbourg le 11 fevrier 1626 , fonda l'erniitage du haut de la rnontagne du Roule , alors paroisse de Tourlaville, en 1630, et le placa sous les auspices de la sainteVierge, enl'appelantdunonuleNolre-Dame-de-Protection. II ne l'occupa que deux ans apres. Le pere Duquesne fut confirme dans la possession du lieu qu'il avail choisi pour sa residence, par le roi Louis XIV. II lui ful meme fait don d'une grande etendue de terre a l'entour, par acte enregislre au parlenient de Rouen.
Soit que l’ermite n'eut pas les forces suffisantes pour le travail opiniatre que le sol exigeait alin d'etre rendu arable, soil qu'il eut , comme cela est probable , des ressources aillcurs , et qu'il se livrat a d'autres occupations , il en diifriclia peu et n'entoura de murs qu'un jardin potager , sa cellule et sa chapelle. II choisit pour cimetiere Textremite de la rnontagne, ou Ton voit aujourd'hui le fort , et il y planta uu calvaire en bois. Le gout de ranachorete avail quelquc ressemblance avec celui de l'auteur des Martyrs, de Rene et d'Atala. Comme lui, il voulut un lieu solitaire, battu par les vents et les orages , pour y dormir son dernier sommeil , mais en vain ; on n'y a pas laisse sa cendre en repos. Et d'ailleurs en quel endroil les morts peuvent-ils n'etre pas troubles ! La religion du lombeau n'a qu'un instant de duree.
Le pere Duquesne pratiqua fidelemcnt la regie de l'iiistitut de Saint-Antoine qui se resumait en ccci : auslerite dans la maniere de vivre, obeissance aux superieurs et surtout a l'eveque, prierefrequenle, travail regie, meditation de la bible et desvies des saints, enfin renoncement total an monde pour ne songer qu'a l'eternite. L'ordre auquel il appartenait dut son etablissement dans les Gaules au grand eveque d'Alexandrie, saint Athanase, l'ardent defenseur de 1'orlhodoxie dans le lV e sieele de l'ere chrelienne. Etant exile pour la fo , pendant son sejour , soit a Rome, soit a Treves, il tit connaitre les ermites ou ascetes a l'eglise d'Occident. Ce fut lui qui ecrivit la vie d'Antoine, Termite centenaire de la Thebaide. Ainsi notre ermitage rappelait l'Orient avec sa foi vive, ses saints, ses deserts, ses fleuves, ses montagnes, en un mot avee toute sa poesie. Apres un sejour de -40 annees dans T ermitage de Nolre-Dame-de-Protection, le pere Duquesne mourut en odeur de saintele. Son corps fut depose au pied meme de la croix qu'il avait plantee, c'etait en 1692; il venait d'accomplir sa 66 e anuee. On grava sur une pierre qui existe encore ses noms et ses litres , puis on la mit au dessus de lui.
I1 fut remplace par un cordelier du couvent de Valognes. Ce nouvel bote fit construire deux cellules adossees a la chapelle , un refectoire et une autre piece. En 1727 il fit la remise de l'ermitage au seigneur de Tourlaville , et s'en retourna au couvenl de Valognes pour y mourir en parfait religieux.
Le seigneur de Tourlaville, bomme bienfaisant et pieux, au dire du chroniqueur qui me sert de guide dans mon recit , etablit a l'ermitage, en 1727, le frere Antoine Le Febvre , gentilhomme et de bonne famille du pays. 11 etait fils d'Etienne Le Febvre, eeuyer, sieur Du perron, de la paroisse de Morville. Cet ermite travaillait a la confection des ornements d'eglise, ce qui le faisait s'absenter frequemment de sa residence. 11 renonca a l'ermitage de Nolre-Dame-de-Protection en 1756, en faveur du frere Benoit Crey, ne en Savoie , et fils d'un maitre chirurgien. La renonciation eut lieu a ces conditions : que lui, frere Benoit se chargerait dc nourrir et entretenir un autre errnite nomme le frere Pierre , natif du Dauphine , et qui avait ete donne a la maison : qu'il serait decharge de toutes dettes jusqu'au jour de la prise en possession, et, qu'enfln il recevrait cinquante livres en argent. Cette affaire conclue , le frere Antoine partit pour l'ermitage de Saint-Sauveur , aupres de Mantes , et il y raourut.
Le frere Antoine avait bien renonce a tous les droits qu'il pouvail avoir, tant sur les nieubles que sur les irameubles de 1'ermitage ; mais cela n'etait pas suffisant pour en assurer la jouissance d'une maniere incontestable au frere Benoit. II fallait encore le consentement du seigneur sous la dependance duquel il se trouvait place. II l'obtint sans difficulte. Voici la teneur de cet acte :
« Donation dc I' Ermitage de Nolre-Dume-de-Proteclion, par M. dc Croville , seigneur de Tourlaville, au frere Benoit. Moi , soussigne , Jean-Daptiste de Croville , seigneur de Croville , Tourlaville , Biniville , Saint-Nazair et autres terres , conseiller du Roi en ses conseils , et president de la cour des comples , aides et finances de Normandie , donne par ce present, en qualite de seigneur et patron de la paroissede Tourlaville, y jouissant de tousles droits honoriliques et presentant aux deux ermitages de la montagne du Roule , haul et bas, a frere Benoit Crey , de la paroisse d'Ayme, en Tarentaisc en Savoie, ermite de I'ordre de Saint-Antoine , 1'ermifage du liaut de la montagne du Roule, drilir en l'lionneur de la sainte Vierge, sous l'invocation de Nolre-Dame-de-Protection , avee les jardins , enclos et toutes les autres appartenances , ledit ermitage vacant par la ctemissiou volonlaire que na'en a l'aile le frei'e Antoine, l.e Febvre, clerc, dc la paroisse de Morville, en me remettant entreles mains Facte de donation que je lui en avais faite le 20 e jour d'octobre I7°27, a condition que le dit frere Renoit vivra dans le dil ermitage dans la dependance de monseigneur l’evêque de Coutances , dans la pratique de loutes Ies vertusqui conviennent a son etat d'crmite. »
Fait ce 15eme jour de juillet 1756. De Croville.
Aussitot qu'il fut installe dans l'ermitage, le frere Benoit songea a le restaurer, sans cependant y rien faire qui semblat donner, en quoique ce tut, la moindre apparence de luxe. Il fit agrandir la chapelle, lambrisser, peindre et paver le chceur. II l'orna aussi d'une maniere convenable. Le jardin potager, ainsi que je l'ai dit precedemment, etait le seul enclos que possedat l'ermitage; le frere Benoit fit entourer demurs tout le terrain qui avait ele donne par Louis XIV au pere Duquesne. II defricha le sol, planta des pommiers et d'autres arbres qui pussent abriter et orner sa residence. II agrandit aussi les batiments. Un frere du nom de Bruno vint se mettre sous son obeissance. II lui resta toujours fidele, et lui aida activement a rendre 1'ermitage plus commode et le sol plus productif.
En 1750 , le frere Pierre Jacques , age de 60 ans , et novum vraiment solitaire , comme le porte une inscription gravee sur la pierre sepulcrale du pere Duquesne, mourut apres vingt annees de sejour a l'ermitage, et en 1759, un frere Bernard, age de 44 ans. La ceremonie funebre du premier fut faite par M. Baptiste Yarin , cure de Tourlaville , assiste de MM. Jacques De la Haye et Guillaume Dancel , pretres. Celle du second, par le meme cure et MM. Le Febvre, pretre, el Marest , diacre.
On rencontre encore les noms suivants d'ermites qui habitercnt a Notre-Dame-de-Protection : les freres Anquety,Pacome, Jean-Baptiste , Antoine , Bazile et le pere Collin. lis en trerent et ils s'en retournerent a des epoques que je n'ai pu preciser.
Madame de Chantereync , epouse do M. Avoine-de-Chantereyne , l'un des fondateurs de la Societe Academique de Cherbourg en 1755, contribua a orner la cliapelle. Elle donna le linge de l'autel ct un missel. Un sieur Anquety, qui , sans avoir prononcc de voeux , vivait avec les ermitcs, et portait le nom de frere Arsene, donna des ornements pour offieier, une lampe, un benitier et des meubles. Le calice avait ete legue par le pere Duquesne, et le crucifix d'ivoire qui se voyait sur le milieu de l'autel , par un pretre nomme le pere Collin , qui fut chapelain de Notre-Dame-de-Protection pendant cinq ans , et dont le nom a deja ete cite. La statue de laVierge qui etait placee au dessus de l'autel , venait du frere Benoit , ou avait ete restauree par lui , ainsi que les flambeaux.
En ce temps la 1'ermilage etait frequemment visite par les personnes pieuses de Cherbourg. Dans la belle saison , les jours dedimanches et de fetes, on s'y rendait pour assister aux offices. Quelquefois des marins y allaient en pelerinage pour remercier Dieu de les avoir preserves de la fureurdes flots, par l'entremise de Marie, qu'ils saluaient comme l'c toile de la mer. Apres avoir entendu la messe du chapelain et depose leur offrande pour l'entrelien de 1'ermilage, ils s'en retournaient l'ame remplie de joie et d'esperance. Iln'etaitpas rare d'y voir la mere de famille, inquiete pour la sante d'un epoux ou d'un enfant, implorer avec ferveur le secours de la Reine des cieux.
On verra plus loin comment se faisaient ces pelerinages.
La croix de bois que le pere Duquesne avait erigee dans son cimeliere ayant ete brulee par la foudre , les freres Benoit , Bruno et Pacome en placerent une autre Ires belle en pierre quia subsisle jusqu'a la Revolution. Cettc croix, placee en 1757 un peu en avant du fort actucl, ne fut benite par M. Varin, cure de Tourlaville, qu'en 1764.
Les freres Benoit et Bruno , devenus vieux et soufTrants , ne pouvaient plus s'occuper avec fruit du travail qu'exigeait l'ermitage. En 1786, ils adresserent conjointemenl a Monseigneur de Talaru , eveque de Coutances , une lettre dans laquelle ils exposaient leur etal , en le priant de permeltre qu'un religieux de l'ermitagede Saint-Sever, vint a leur aide. Ayant recu l'autorisation de le demander eux-memes , le chapitre leur envoya le sous-prieur, appele frere Dorolhee Fouche.
Ce sous-prieur etaitdoued'une grande activite. II se hata de reparer tout ce qui , dans la maison et dependances , s'etait trouve neglige depuis que les deux ermites avaient perdu leurs forces. Le frere Dorolhee etaitpieux, doux et Ires complaisant pour les freres Benoit et Bruno qui, touches de ses merites, firent parvenir a l'eveque la lettre suivante :
A Monseigneur I'lllustrissime et Reverendissime de Chalmazel, de Talaru, eveque de Coulances el superieur des ermites de son diocese.
Monseigneur,
Les deux freres religieux et solitaires de l'ermitage de la montagne du Roule , paroisse de Tourlaville, pres la ville de Cherbourg, prennent la liberte de representer tres humblement a voire Grandeur que se voyant avances en age et infirmes , ils ont demande a Saint-Sever, autre ermitage de votre Diocese , un sujel pour les assisler dans leur vieillesse et infirmite , ce qui leur a ete accorde par Monsieur le Superieur et tous les freres de la dite maison; depuis que nous, freres Benoit et Bruno , possedons le frere Dorothee Fouche , nous sommes contents de lui , tant pour sa piete que sa regularity , obeissance et exactitude a remplir tous les devoirs de son elat. Commc il est dit dans_l'obedience"que Monsieur le Superieur lui a donnee , qu'il le rappellera a sa volonté , nous vous supplions , Monseigneur , de lui permeltre dc rester avec nous, en nous rendant lous les services etles secours qu'il pourra jusqu'a la fin de nos jours , et ensuite jouir dudit ermitage ainsi (pie tons ceux a qui voire Grandeur voudra bien permetlre d'y entrcr , ce qui evincera tons ceux qui pretendent etre en droit de s'emparer de la dite maison apres notre mort. Ce considere , Monseigneur , il vous plaise jeter un regard favorable sur les pauvres reclus qui ne cesseront d'elever leurs voeux et prieres au ciel pour la conservation des jours precieux de votre grandeur.
Frere Benoit, superieur local. Frere Bruno.
L'cvequc repondit aux deux crmites scion leur desir et en ces termes :
Ange-Francois dc Talaru , de Chalmazel , par la misericorde divine et la grace du saint siege apostolique , eveque de Goutances , conseiller du Roi en ses conseils :
Vu la presente requele , et desirant seconder les desseins qu'ont les suppliants de conserver parmi eux le frere Dorothc'e Fouche , et jugeant que sa residence dans le dit ermitage ne peut qu'etre tres utile , nous lui avons permis et permettons de rester et de se fixer a tonjours dans cette maison pour y vivre conformement aux statuts et a la regie, ainsi que les autres ermites.
Donne a Coutances , en notre palais episcopal , sous notre seing, le sceau de nos amies , et le conlrc-seing de notre secretaire ordinaire, le29 e jour de join 1786.
ANGE-FRANCOIS , eveque de Coutances.
De par Monseigneur , Caillard.
Le frere Benoit allait bientot atteindre sa 78 e annee quand il fut pris de la maladie qui devait le conduire autombeau. C'etait cn 1787. II recut les sacrements de l'Eglise avec une foi ardente , et mourut le 20 du mois d'aout. Le lendemain son corps fut porte au pied du calvaire apres que Ton eut celebre le sacrifice de la messe et chante l'office consacre aux ceremonies des morts, selonles usages si sages et si consolants du culte catholiqueromain. Etaient presents : MM. Le Vacher , curede Cherbourg, Esline, cure de Tourlaville, Delacour, pretre de Cherbourg , Dupont , pretre de Sottevast , Le Gentilhomme , pretre de Tourlaville, etLeBrun, pretre de 1'ermitage de Nolre-Dame-de-Grace.
Le frere Benoit etait dans la cinquante-deuxieme annee de sa vie eremitique sur la montagne du Roule , et son engagement dans l'institut datait de plus loin. Toutes les personnes qui le connurent oni ete unanimes pour louer la saintete de sa vie. Voila l'oraison funebre la plus eloquente. Je me rappelle que dans mon enfance, mon aieule et d'autres personnes agees me parlaient quelquefois des ermites de la montagne du Roule, et s'arretaient avec complaisance a faire renumeralion des vertus des freres Benoit et Bruno, qu'elles avaient eu l'occasion de voir souvent.
La mort du frere Benoit frappa vivement son vieux compagnon. Le frere Bruno croyait, c'etait la sa consolation, que bientot aussi sa derniere heure viendrait, et que son corps serait place a l'ombre de la croix , aupres de celui de son ami , mais il en devait etre autrement.
C'etait une separation douloureuse, evidemment, quand on songe a la longueur des annees que les deux vieillards avaient passe ensemble. Le frere Dorothee, il faut ie dire a sa louange, prit un soin tout particulier de celui qui restait. L'ermitage fut remis dans un parfait elat, grace a son ordre. Travail interieur, travail exterieur, rien ne fut omis. Comprenant que le meilleur moyen, et le plus honorable pour vivre, etait dans le bon emploi de ce que la nature metlait a sa disposition , il so procura du betail , fit confcclionner des instruments de labour, et il se mit a culiiver le sol avec courage et perseverance. Mais bientotcela allail devcnir inutile.
En J 789, M. Esline, cure de Tourlaville, muni des pouvoirs de M. Grave de la Rive , cure official de Valogues et vicaire-general du diocese de Coutances , donna l'habit de l'ordre de Saint-Antoine a deux jeunes gens qui eurcnt la pensee de se rendre a I'ermitage ; mate au bout de liuit jours, l'un d'eux qui avait pris le nom de frere Bernard , degoule de ce genre de vie, s'en retourna; l'autre , appele frere Hilarion , ne tarda point a deposer egalement l'habit, aussi bien que les freres Dorothee et Bruno, car le jour de proscription etait venu. C'en etait fait de l'ermitage. La revolution francaise avait recu son impulsion, et l'arret qui devait condamner toutes les institutions religieuses, sans exception, commencait a produire son effet. Le principe etait adopte en attendant l'heure ou la loi qui devait detroner la Diviniteelle-meme, serait promulguee comme le dernier mot de la science morale. Les legislateurs du XVIH e siecle pretendaient affranchir par la les consciences, et apprendre au peuple a se mettre au dessus de ce qu'il avait cru jusqu'alors digne de son respect. Us dirent comme Lucrece, mais non pas avec le meme droit :
« Nous voulons arracher les esprits a la puissance des religions. Relligionum animos nodis exsolvere pergo.» (De nat. rer. Liv. 1. v. 951).
On en a vu les resultats. La societe moderne en ressenl encore les tristes consequences.
Ce fut un jour bien penible pour le pauvre frere Bruno que celui ou il lui fallut se depouiller de son froc de Iaine blanche, rcprendrc l'habit seculicr, abandonner sa cellule, sa chapelle, les restes de ses freres et le sol qu'il avait arrose de ses sueurs pendant pres d'un demi-sieele. Avant de quitter l'ermitage, aide de plusieurs personnes pieuses, il fit disparaitre tous les objets du culte afin qu'ils ne tombassent pas entreles mains sacrileges dcs ennemis de la religion. Ensuite offrant son sacrifice a Dieu, il descendit de la montagne pour n'y plusremonter. Quelle que flit sa resignation, il ne laissait pas de trouver heureux le sort du frere Benoit, auquel la providence avait epargne ces epreuves.
Le frere Bruno ne vecut pas longtemps apres etre sorti de l'ermitage.
Une dame qui le connut beaucoup m'en a trace le portrait suivant :
« Le frere Bruno etait d'une douceur, d'une amabilite et d'une simplieile remarquables. Les enfants 1'aimaient parce quMl savait se faire enfant avec eux.H prenait volonliers part a leurs innocenles recreations, mais a une condition qui montre toute la piete naive de ce solitaire , c'etait d'aller avec lui auparavant reciter une dizaine dc ehapelet, on chanter une stance de cantique a la Vierge, dans la chapelle de rermitage. Apres cela il etait d'une gaile excessive , et lout a fait dans le genre des enfants. On lui faisait quelquefois des malices, soit en le tirant par son vetement , soit en contrefaisant sa psalmodie ; mais ces espiegleries ne produisaient rien autre chose sur son caractere que d'en developper davantage la douceur et la patience. » |
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