SAINT DENIS LE VETU 

 CC 49.9 du canton de Cerisy La Salle

 
 NOTICE HISTORIQUE SUR SAINT DENIS LE VETU 30/40
     
 

Une paroisse Normande

Par l' Abbé E. Quinette

Paru en 1889

 

4° L'époque de la Révolution

    de 1789 à 1803 (1/4)

 
   I - Saint-Denis-le-Vêtu depuis 1789 à 1795 (1/3)

Nous arrivons maintenant à l'histoire de la paroisse de St-Denis-le-Vêtu pendant la grande Révolution. Mais nous ferons remarquer au lecteur que les documents écrits nous faisant à peu près défaut, nous nous sommes guidé principalement sur la tradition.

 

Le dimanche 22 février 1789, Mr J. Jean Fauchon, curé, lut au prône de la messe paroissiale et fit afficher à la porte principale de l'église la lettre du roi Louis XVI, avec le règlement du 24 janvier précédent, concernant la convocation des Etats-Généraux du royaume.

 

Le dimanche suivant, 1er mars, les paroissiens s'assemblent pour faire le cahier des Remontrances et nommer des délégués à l'assemblée des trois ordres, qui se tiendra à Coutances, le 16 du même mois. Les délégués du Tiers-Etat sont : MM. Nicolas Hercent-Lafresnaye et André Fauchon.

 

Le lundi 16 mars, M. Jacques-Jean Fauchon, curé, M. de St-Denis, seigneur de la paroisse, et les délégués du Tiers-Etat se rendent à l'assemblée générale de Coutances, pour élire les députés aux Etats-Généraux du royaume. Ceux-ci commencent, comme on le sait, le 5 mai 1789.

 

Le 4 août, l'Assemblée nationale sécularisa les biens ecclésiastiques et décréta qu'ils appartenaient à la nation. Par cet acte arbitraire et injuste, l'Abbaye de Blanchelande, le chapitre de la cathédrale de Coutances et le curé lui-même perdirent les dîmes qu'ils possédaient à St-Denis-le-Vêtu. Le curé de cette paroisse reçut pour vivre l'indemnité promise aux titulaires des bénéfices et des cures, c'est-à-dire environ douze cents livres par an [82].

 

Les autorités locales devaient surveiller les biens ecclésiastiques. Les autorités municipales de St- Denis-le- Vêtu ne furent nommées qu'au commencement de l'année 1790. Toutes les communes devaient comprendre un maire, un conseil général de la commune élu par tous les habitants, une commission d'officiers municipaux nommée par le conseil général et prise dans son sein, pour l'expédition des affaires, un procureur-syndic (ministère public) qui était entendu sur toutes les affaires et chargé de les suivre.

 

On vit alors se produire à St-Denis, comme bien ailleurs, du reste, un fait assez remarquable : il prouve que la noblesse n'était, au moment de la Révolution, ni aussi détestable ni aussi détestée qu'on a bien voulu le dire. Ce fait fut l'élection comme maire de la commune de M. Michel de Guillebert du Perron de Boisroger ; on sut ainsi reconnaître à St-Denis les services et la capacité de ce seigneur en le choisissant comme premier magistrat de la commune.

 

La commune de St-Denis-le-Vêtu fit partie du canton de Cerisy, du district de Coutances et du département de la Manche.

 

La nouvelle municipalité fit faire un registre contenant les déclarations des contribuables de la commune, de ce qu'ils payaient de rentes chacun sur leur fonds. Ce registre, que nous avons parcouru, est intéressant. On y voit que Mr de St-Denis, seigneur de la paroisse, possède dans la commune 1,050 vergées de terre et qu'il perçoit sur un très grand nombre de paroissiens, en tout, 289 livres 10 sous, 89 boisseaux, 7 demeaux, 117 pots-chopines et 44 pots-pintes de froment, 63 boisseaux, 25 pots-chopines et 10 pots-pintes d'avoine, 7 boisseaux et demi de sarrazin, deux chapons gras, huit chapons maigres, deux poules grasses et vingt-huit poules maigres ; il a droit en plus à une demi-charretée de tangue, à cinq pains et à quelques gélines.

 

M. Nicolas Hercent-Lafresnaye payait à M. de St-Denis, chaque année, un pot-chopine et un pot-pinte de froment, plus un sol deux deniers en argent. Il faut avouer qu'il lui aurait fallu plusieurs vassaux comme celui-là pour devenir riche.

 

 NOTES    [82] D'après le décret de l'Assemblée nationale du 2 novembre 1789
 

 SAINT DENIS LE VETU 

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 NOTICE HISTORIQUE SUR SAINT DENIS LE VETU 31/40
     
 

Une paroisse Normande

Par l' Abbé E. Quinette

Paru en 1889

 

4° L'époque de la Révolution

    de 1789 à 1803 (2/4)

 
   I - Saint-Denis-le-Vêtu depuis 1789 à 1795 (2/3)

 

Le seigneur abbé de Blanchelande possédait dans la paroisse l'emplacement de la grange, les dîmes d'une grande partie de la paroisse et deux fiefs. Il percevait 2,860 livres diminuées de 430 livres payées à M. le curé de St-Denis ; les fermiers donnaient en plus douze boisseaux de froment aux pauvres de la paroisse.

 

Le chapitre de la cathédrale de Coutances possédait l'emplacement d'une grange dans la cour d'un sieur Néel, des grosses dîmes affermées 2,000 livres et trente-deux boisseaux de froment ; il payait deux cents livres à M. le curé de la paroisse. Celui-ci possédait un revenu de 1,450 livres.

 

D'après les déclarations, il y avait 6,990 vergées de cultivées [83]. Les possesseurs de ces 6,990 vergées payaient respectivement sur leur fonds, outre les dîmes et ce que nous avons dit précédemment :

 

    -   1° au trésor de l'église : 44 livres d'argent, 31 boisseaux plus 6 demeaux et 3 labeaux de fro-ment, une livre d'encens, deux livres de chandelles, une bêche et une houe pour faire les fosses ;

    -   2° au clergé de la paroisse : 71 livres, 3 chapons et trois boisseaux, plus trois demeaux de froment ;

    -   3° A l'Hôtel-Dieu de Coutances : 113 livres d'a rgent et 36 boisseaux de froment ;

    -   4° Au clergé de St-Nicolas-de-Coutances : 26 livres ;

    -   5° A l'église de Saussey : 2 livres, 2 boisseau x, 9 pots de froment ;

    -   6° Au clergé d'Ouville : 72 livres ;  

    -   7° Au trésor de St-Martin-de-Cénilly : 28 livres 12 sols ;

    -   8° Au trésor de la paroisse de Boisroger : 30 l ivres ;

    -   9° Au domaine : 14 boisseaux et demi de froment ;

    - 10° A l'abbaye de Hambye : 34 boisseaux de froment ;

    - 11° Au prieuré de Cottebrune : 26 boisseaux de froment ;

    - 12° Au prieuré de Guéhébert : 6 livres 10 sols ;

    - 13° Aux religieux Dominicains de Coutances : 40 livres ;

    - 14° A un nombre très considérable de particulie rs : 9,784 livres d'argent, 161 boisseaux, 34 demeaux, 9 labeaux et 12 pots de froment (ordinairement mesure de Coutances), et 58 chapons et poules [84].

 

Ainsi la charge foncière de la commune de St-Denis-le-Vêtu ne s'élevait pas à 20,000 livres.

 

Nous ne pouvons comparer cette charge à l'impôt foncier dû à l'Etat et à la commune : ce n'est plus le même système. Cependant nous pouvons dire, en toute certitude, que, choses égales d'ailleurs, l'impôt était moins considérable qu'à l'heure actuelle. L'impôt de la taille, qui pesait sur les roturiers, n'était pas élevé, et il avait le mérite d'établir la hiérarchie sociale. On vivait alors à moins de frais : il n'y avait point dans la société tant d'appétits à assouvir ; les esprits et les corps étaient même plus sains qu'avec le progrès moderne. Il y avait sans doute certains abus à détruire. Des droits seigneuriaux, tels que le droit de colombier, le droit de chasse, etc., devaient disparaître. Mais il ne fallait pas tout bouleverser. On est allé ainsi vers un avenir inconnu ; c'était une réforme à la Catilina, et on s'est plongé dans un abîme bien pire assurément que celui qu'on prétendait combler. Encore n'envisageons-nous que le point de vue temporel. Au point de vue moral, on s'est jeté dans un sensualisme effréné.

 

Mais revenons au récit des faits accomplis à St-Denis-le-Vêtu pendant la Révolution.

 

D'après un décret de l'Assemblée Constituante, en date du 24 août 1790, tous les membres du clergé devaient prêter le serment schismastique appelé serment constitutionnel. La Révolution demandait aux prêtres, par ce serment, de reconnaître, même en matière de religion, l'autorité de l'Etat, au détriment de l'autorité du Pape ; par ce serment, elle tendait à faire de la France un pays schismatique.

 

Au commencement de l'année 1791, M. le curé Jacques-Jean Fauchon monta un dimanche en chaire et prêta d'abord le serment à la Constitution civile du clergé. Mais le dimanche suivant, il remonta en chaire, et disant qu'il n'avait pas suffisamment apprécié la portée de l'acte qu'il avait fait, il se rétracta, et les larmes aux yeux il demanda pardon à ses paroissiens du scandale qu'il leur avait donné. Après avoir si noblement réparé sa faute ou plutôt son erreur, il partit pour l'exil le 21 mai 1791. Il mourut en Angleterre, quelque temps après son départ.

 

On ne connaît aucun détail sur les derniers moments de ce vieillard ; ce furent certainement ceux d'un saint prêtre et d'un confesseur de la foi.

 

Le 22 mai, son successeur assermenté prit possession de la cure de St-Denis-le-Vêtu. Ce dernier était Jean- Baptiste Bellais d'Ouville. C'était un tout jeune prêtre qui avait succédé, comme vicaire à St-Denis, à Mr Amy, originaire de la paroisse, décédé le 20 juillet 1789. D'après tous les renseignements et toutes les probabilités, le vicariat de St-Denis-le-Vêtu était le premier poste de Mr Bellais. Il prêta serment, comme son curé, à la Constitution civile du clergé ; mais, malgré les vives représentations de M. Jacques Fauchon, il n'eut ni le courage ni le bonheur d'imiter son repentir. Il succéda alors à son curé : intrus, il occupa la place du pasteur légitime ; mercenaire, il se chargea de conduire un troupeau dont Dieu ne lui donnait pas la garde ; il ne le préserva en effet d'aucun égarement et d'aucune perte. Comme il était tout jeune prêtre et qu'il ne s'occupait pas de grand'chose, il n'eut presque aucun prestige dans la commune ; on le laissa tranquille. Il semble qu'il n'a pas longtemps cessé de dire la messe. Il n'est demeuré de lui, durant ce temps, presqu'aucun souvenir et aucune trace ; on ne trouve son nom qu'à l'occasion de réparations locatives au presbytère. Mais aucun registre ne fait mention de lui à partir de1792. On est porté à croire qu'il négligea absolument d'écrire les actes de son ministère, si on peut l'appeler un ministère.

 

 NOTES  

[83] La vergée est le 1/5 d'un hectare

[84] Ces dettes de particuliers à particuliers étaient, soit des dettes pour fiefs, soit des dots dues par des parents et affectées sur la terre.

 

 

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 NOTICE HISTORIQUE SUR SAINT DENIS LE VETU 32/40
     
 

Une paroisse Normande

Par l' Abbé E. Quinette

Paru en 1889

 

4° L'époque de la Révolution

      de 1789 à 1803 (3/4)

 
 I - Saint-Denis-le-Vêtu depuis 1789 à 1795 (3/3)

 

Dès qu'il fut devenu curé intrus, il eut pour vicaire un autre prêtre assermenté, Jean-Baptiste Fauchon, originaire de Quesney ; cette paroisse ancienne, actuellement réunie à celle de Contrières, avait pour seigneur, avant la Révolution, Mr de St-Ebremond : le château de Quesney était un des châteaux les plus renommés de la contrée.

 

Jean-Baptiste Fauchon, vicaire intrus, suivit exactement l'exemple et imita l'attitude de son curé.

 

Durant la Révolution, les paroissiens se divisèrent en trois partis bien tranchés.

 

Un petit nombre demeura fidèle à la pureté de la foi. Obéissant à l'Eglise privée de pasteurs légitimes, ils refusèrent d'assister aux offices célébrés par l'intrus. Dès qu'un prêtre qui avait donné lui-même bien des scandales, mais qui s'était rétracté avant les autres, Mr Amy, de Contrières, recommença à dire la messe dans une des salles du château de Quesney, le petit troupeau fidèle de St-Denis-le-Vêtu s'empressa autour de cet autel improvisé.

 

L'antique famille Le Conte d'Ymouville était à la tête de ces chrétiens qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal ; aussi fut-elle exposée à la persécution et victime de fréquentes tracasseries : un jour, on pénétra dans son manoir de Bosville pour briser les fleurs de lys et les autres emblêmes coupables de sentir l'aristocratie. Un autre jour, quatre hommes portèrent de force à la messe schismatique le chef de la famille. Cependant, si on ajoute à cela quelques attaques personnelles, quelques vols et pillages, on a le résumé de ce que cette maison et les autres qui l'imitèrent eurent à souffrir pour leur fidélité.

 

Mr de St-Denis, seigneur de la paroisse, et son fils, Mr de Tracy, moururent avant la Terreur.

 

M. Michel de Boisroger fut obligé de s'exiler en 1792. Ses filles, Mlles du Perron de Boisroger, allèrent se cacher à Coutances, et, grâce à un serviteur fidèle, nommé Folliot, elles purent échapper aux poursuites et retrouver après la Révolution une grande partie de leurs biens.

 

Mlle de la Benserie, du manoir de Brucourt, s'exila, après avoir vendu ses terres à un sieur Delarue.

 

Il y eut à St-Denis-le-Vêtu quelques révolutionnaires plus ou moins violents, dont aucun néanmoins ne semble avoir eu le goût du sang. Ils assistaient à la décade, à laquelle ils étaient, du reste, peu fervents et peu réguliers.

 

Cette réunion, qui ne fut pas de longue durée et n'obtint jamais grand succès, avait lieu dans l'église.

 

Celle-ci ne cessa que peu de temps d'appartenir au culte, quoique pendant quelques mois on y ait fait de la poudre.

 

Malgré cette profanation, on commit à St-Denis moins de dévastations que dans bien d'autres paroisses.

 

Pourtant plusieurs statues furent renversées et brisées, les petits-autels détruits, le rétable du grand-autel arraché et vendu à vil prix, ainsi que plusieurs autres objets. Une honnête famille, la famille Le Conte, les acheta et se hâta de rendre tout, quand des jours meilleurs furent revenus.

 

Les cloches furent enlevées et converties en canons ; on n'en laissa qu'une pour sonner les décades et la messe schismatique.

 

La croix du cimetière fut abattue et vendue à un paroissien de St-Denis, qui se servit des débris pour bâtir une charretterie. Trois ou quatre autres croix, qui étaient dans la paroisse, furent arrachées, entre autres la Croix fériale, près Roncey, la Planche-Croix et la Croix des Iles. On ne rapporte rien de frappant qui ait accompagné ces sacriléges.

 

Mais un homme de la paroisse, demeurant au Pont-de-St-Denis, répondant à l'appel du cynique Lecarpentier, était allé à Coutances pour renverser dans la cathédrale une statue de la Sainte Vierge : il eut les jambes prises dessous et fut grièvement blessé. On vit dans ce fait un châtiment divin.

 

Pendant la Révolution, la majorité de la paroisse fut ou abusée ou indifférente : les uns fréquen-taient les offices du curé intrus, les autres restaient chez eux, ne prenant part ni aux décades ni au culte schismatique, ni aux gémissements et aux regrets des gens de bien.

 

La Révolution ne fit à St-Denis aucune victime sanglante. Les seigneurs disparurent bien vite : quelques-uns vendirent leurs biens à vil prix et partirent ensuite pour l'exil.

 

Statue de Saint Denis à

l'abbaye Saint Germain d'Auxerre

 

 NOTES