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St-Jean-de-Savigny, la Butte aux Romains
L'oppidum de Saint-Jean-de-Savigny
© Eric Leconte 2003
Oppidum : terme latin qui signifie originellement place fortifiée, et utilisé en archéologie pour désigner un site d'habitat en hauteur et fortifié. Il correspond au dunon celtique (forteresse). Bien qu'on trouve des oppida à l'époque du Hallstatt (850-500 avant JC environ), c'est surtout à l'époque de la Tène (500-50 avant JC environ) et plus particulièrement dans la période finale, au Ier s., que se multiplient les habitats fortifiés en hauteur. St-Jean-de-Savigny commune située au sud-est de Saint-Clair-sur-Elle, limitrophe de ce chef-lieu de canton, à 22,500 km au sud du littoral de la mer de la Manche. De nos jours partie intégrante du diocèse de Coutances, St-Jean fait face à peu de chose près au village de Baynes (sur la rive droite de l'Elle, dans le département du Calvados, diocèse de Bayeux) qui fut également chef-lieu de canton de 1790 à 1802. La limite des diocèses se calquait sur celles des provinces impériales romaines, elles-même héritées des pagi gaulois. C'est la Vire qui constituait la frontière entre les diocèses de Bayeux et de Coutances, et seul le territoire de St-Lô, qui dépend actuellement de ce second diocèse, se trouvait sur la rive droite de la Vire, dépendant donc du diocèse de Bayeux.
C'est ordinairement à l'épiscopat de st Lô (milieu du VIe siècle) que l'on fait remonter la possession par les évêques de Coutances de la baronnie qui avait pour chef-lieu l'antique Briovère. En effet, c'est au concile d'Orléans que Lô signe ainsi : episcopus ecclesiae Constantinae vel Brioverensis. Auparavant, Léontien, évêque de Coutances vers 511, se dit simplement : ex civitate Briovere. La ville et les localités environnantes, se trouvant sur la rive droite de la Vire, auraient été échangées avec l'évêque de Bayeux dont elles dépendaient, contre l'Éxemption de Ste-Mère-Église (constituée des paroisses de Ste-Mère-Église, de Neuville, Chef-du-Pont, Lieusaint et Vierville, paroisses qui furent bayeusaines jusqu'à la Révolution). De plus, on considère que le diocèse de Coutances, le plus récent de la province ecclésiastique de Rouen, est issu d'un démembrement de celui de Bayeux à une époque indéterminée. Ceci aura son importance dans les lignes qui vont suivre. Passons maintenant à la description du site. L'oppidum de St-Jean-de-Savigny se situe sur un plateau en forme de coin dont trois des côtés présentent des flancs abrupts. Le site est délimité au nord-est par la rivière d'Elle , au nord-ouest et au sud-ouest par le ruisseau de Branche. Ce site est connu localement sous le nom de La Butte des Romains. Son altitude est d'environ 60 mètres ce qui n'en fait pas le plus haut point de la région. Le plateau présente une surface très légèrement bombée et se divise en deux parties délimitées par une haie orientée nord-ouest sud-est. Le champ le plus au nord est légèrement moins haut que celui situé plus au sud. C'est ce qui explique sûrement que son sol soit constellé de pierres schisteuses sur presque toute sa superficie. Le site ne présente qu'un point faible : le seul côté ouvert, le sud-est. C'est pour cette raison que l'homme a édifié (à une époque inconnue) un rempart de terre long d'environ 250m (ce qui lui confère une superficie de 6,25ha) qui isole l'extrémité nord-ouest du plateau en le barrant de la vallée de l'Elle à celle du Branche. Cette levée de terre est haute d'environ 4m, large de 15m à sa base et de 7m à son sommet. Le rempart est protégé par un fossé à fond plat dont la largeur avoisine les 25m.
Si nous analysons ces éléments, nous pouvons en déduire que nous sommes en présence d'un oppidum de type Fécamps, autrement dit d'une fortification dite belge et que l'on retrouve essentiellement au nord de la Seine. Celles-ci sont caractérisées par :
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un éperon barré,
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un talus de terre (surmonté d'une plateforme),
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un épais vallum haut de 6 à 9 m,
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un large fossé à fond plat,
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une contrescarpe,
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une entrée souvent en chicane pourvue de flanquements puissants vers l'intérieur.
De plus les fortifications de ce type jalonnent le plus souvent soit la côte soit les cours d'eau. On le constate, tout milite pour que nous soyons en présence d'une fortification appartenant à cette classe. Par opposition à l'oppidum belge, la Basse-Normandie est le terrain des oppida de Tribus. Ceux-ci, comme le Montcastre à Lithaire, et le Châtelier au Petit-Celland, se trouvent au centre du territoire tribal (Unelles et Abrincates), ils sont de dimensions imposantes, disposent d'une enceinte quadrangulaire, leur rempart est constitué du fameux murus gallicus, enfin ils sont entourés de fossés périphériques à profil en V. Si nous connaissons les oppida utilisés par les Unelles et les Abrincates (Le Montcastre, le Châtellier) celui de St-Jean-de-Savigny soulève une question : à quelle tribu appartenait-il ?
On considère que chaque peuple disposait d'une forteresse où s'abriter en cas de danger. C'est le cas du Montcastre pour les Unelles, du Châtelier pour les Abrincates et du Camp Romain à Reviers (Calvados) pour les Baiocases. Chaque peuple avait une région déterminée en sa possession, en général délimitée par des cours d'eau. Ainsi le Thar devait constituer la limite nord entre le territoire des Unelles de celui des Abrincates. La Vire jouant vraisemblablement ce même rôle dans la délimitation des pays Unelle et Baiocase (comme nous l'avons vu plus haut). Si tel est le cas, il faudrait attribuer la fortification de la Butte des Romains aux Baiocases. Or comme nous pouvons le constater sur la carte ci-dessous, l'oppidum dont il est question se situe juste aux bords de la rivière d'Elle, rivière qui aurait très bien pu jouer ce rôle de frontière, et dans cette optique il faudrait attribuer l'édification de ce camp aux Unelles. En outre, la disposition générale des lieux fait plus penser à un dispositif défensif protégeant contre des agressions venant de l'est (et donc des baiocasses). En guise de conclusion :
Dans l'hypothèse ou ce site aurait été édifié à l'époque néolithique et que son occupation aurait perduré à l'époque celte, on pourrait éventuellement le mettre en relation avec le village voisin distant de quatre kilomètres vers le nord-ouest, Moon-sur-Elle, dont l'éthymologie serait d'origine gauloise (du gaulois dunon, agglomération sur la hauteur, précédé de l'élément sans doute gaulois mag- ou meg- qui évoquerait la grandeur). Village qui fait partie du même canton. Moon aurait ainsi constitué le centre de peuplement (d'une tribu ?) et St-Jean une position de repli, servant d'abri en cas de danger. On connaît le cas dans le Calvados où le modeste bourg de Vieux avait à l'époque gallo-romaine une importance non négligeable puisqu'il était le centre de la tribu des Viducasses, mais qui a périclité à la fin de l'empire romain. On pourrait d'ailleurs supposer une occupation romaine, dans le cadre du litus saxonicum. Ce lieu aurait été le cantonnement d'un détachement de la prima flavia gallicana constancia. Mais la rapide prospection menée au sol n'a pas permis de relever une trace quelconque d'occupation.
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