LE LITTORAL NORMAND

ET LA GUERRE EN 1792-1793                                    7/7

         
 

Gare de Courliboeuf, CPA collection LPM 1900

 
 
 
 

Les décisions de la Convention, assurant une priorité absolue aux besoins de la marine de l'Etat, avaient l'inconvénient de réduire les possibilités de la marine de commerce et aussi de ces corsaires dont faisait mention en termes ambigus une de ses adresses : « Tout Français est libre de suivre à l'égard de la course ce qui lui sera suggéré par son patriotisme ». Dans de telles circonstances, et compte tenu du désordre dans la marine de l'Etat et de la désorganisation des circuits commerciaux dans le pays, sans omettre l'investissement massif de bien des économies privées dans l'achat de biens nationaux, les armateurs étaient dans une situation difficile, très peu favorable à la reprise des armements en course, bien moins en tous cas que pendant les guerres maritimes précédentes. Les conditions d'armement des petits corsaires étaient rendues plus difficiles par les progrès de la technique navale, évidemment réservés par priorité aux navires de guerre, comme par exemple le doublage des coques en cuivre qui assurait une meilleure vitesse, et réduisait le nombre et la durée des longues escales pour radoubage. L'augmentation du poids de l'artillerie posait de redoutables problèmes aux armateurs désirant modifier l'armement des bâtiments construits initialement pour le commerce ou pour la grande pêche, si nombreux de Granville à Dieppe. Un dernier point, sans précédent lors des guerres antérieures, était celui des approvisionnements des corsaires : il était difficile, sinon impossible, de les constituer. Ainsi la population de Granville, après que les Vendéens et républicains eussent vécu sur le terroir environnant, était réduite à compter sur les avisos assurant la navette entre Saint-Malo et Cherbourg et surveillant les îles anglo-normandes pour les ravitailler en biscuit. Cette pénurie entraînait inévitablement d'innombrables compromissions et prévarications au point que Forfait s'indignait dans une lettre sévère au Comité de Salut public : « La République est volée, pillée de toutes parts avec une impudence scandaleuse». Cette pénurie fournissait également d'innombrables prétextes aux querelles entre les administrateurs locaux plus ou moins poussés par des éléments louches où les démagogues, les spéculateurs et les agents royalistes se confondaient à l'occasion, comme dans les démêlés entre les administrateurs ha vrais et le turbulent maire d'Ingouville Musquinet-Lapagne. Mais l'ensemble du littoral souffrait de conditions matérielles difficiles, sinon catastrophiques, et le marasme économique était tel, dès avant la menace vendéenne, que les armateurs de Granville avaient, faute d'argent liquide, renoncé à tout armement en course. Les relevés de la marine ne mentionnent pour l'époque aucune prise dieppoise.

 

Les débuts de la guerre, contre les seules puissances continentales en 1792, puis en 1793 aussi contre les puissances maritimes, avaient été marqués, en Normandie comme dans le reste de la France, par un effort militaire d'une ampleur sans précédent, dépassant de très loin les levées pour la milice aux temps les plus difficiles de l'Ancien Régime. La province avait de plus retrouvé ces guerres civiles dont elle avait été dispensée depuis la Fronde et la révolte des Nu Pieds ; et là encore il n'était plus question d'effectifs limités, comme lorsque le futur maréchal de Gassion venait avec son seul régiment rétablir l'autorité royale dans la province agitée, mais d'armées réunissant des dizaines de milliers d'hommes, qu'elles fussent fédéralistes, conventionnelles ou vendéennes. Si les opérations de « l'armée de pacification » contre les fédéralistes n'avaient guère fait de dégâts, même aux poulaillers, il en avait été tout autrement dans le sud de la Manche et dans les régions voisines mises en coupe réglée tant par les Vendéens ou leurs amis que par les républicains. De tels prélèvements n'avaient pu qu'accentuer la crise des subsistances qui avait été une des causes du mécontentement en 1789. Les nécessités de la défense du nouvel ordre établi, les innombrables prélèvements sur la main-d'œuvre existante tant par les gardes nationales sédentaires ou par les gardes-côtes que par les unités de volontaires appelés à combattre plus loin de leurs pays d'origine, avaient pareillement réduit le personnel disponible pour les moissons, et pour les battages, accentuant une disette que les opérations de 1' « armée révolutionnaire» cherchant en priorité à assurer l'approvisionnement des marchés de la capitale et le sien propre, avaient encore accentué. La guerre maritime avait repris ses méthodes traditionnelles, mais avec des effectifs réduits, un certain nombre d'inscrits ayant préféré s'engager dans les formations de volontaires, où les conditions de solde et surtout d'avancement étaient bien supérieures. Seules les déconvenues des opérations amenèrent certains de ces volontaires à refluer vers une marine où les escadres de haut bord regroupées dans quelques grandes rades, restaient à attendre une occasion favorable sous la surveillance des croisières britanniques, et la disparition de l'escadre de Toulon incitait à la prudence des escadres encore moins bien placées par rapport aux bases ennemies...

 

Les escadres légères avaient réalisé quelques opérations limitées analogues à celles des corsaires, qui allaient cependant rester la partie la moins décevante des efforts français pendant les guerres. Certes il fallut attendre plusieurs années pour voir jeter sur les côtes irlandaises la seule expédition française ayant réussi à débarquer dans les îles britanniques, mais elle s'acheva dans une débâcle, les Irlandais n'ayant pas plus apporté les renforts escomptés que la marine les compléments indispensables aux unités bénéficiaires d'une surprise exceptionnelle. Le nombre des corsaires n'allait pas cesser de se réduire par suite des pertes au combat comme en raison de l'épuisement des ressources des armateurs, comme au cours des guerres maritimes antérieures. C'était, il est vrai, après celle de Sept Ans qu'avait été tracée la carte de Cassini qui portait en face du Havre dans la baie de la Seine la désignation sans équivoque « Mer Britannique ».

 
     
 

Noyers Bocage le marché, CPA collection LPM 1900