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La Manche Numéro spécial Supplément au numéro du 28 août 1926 de l'Illustration économique et financière Publication : Paris 1926 | ||||||||||
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Je me suis tracé un programme. Faire connaître, d'une part, les colonies de la France et leurs possibilités économiques ; étudier, d'autre part, la politique d'expansion commerciale de notre pays, en montrant comment par l'exportation, nous arriverons à donner à ce pays son plein essor. J'ai fait de la propagande en faveur du cidre, en faveur du vin, en faveur du blé, en faveur des produits de la France.
Comment n'en ferais-je pas aujourd'hui en faveur du tourisme, qui est une force nationale ? Comment n'en ferais-je pas surtout en faveur du département de la Manche, de ce département aux mille nuances du beau, où j'ai eu le bonheur de naître. Ils furent bien inspirés ceux qui conçurent l'idée de consacrer un numéro spécial à la Manche... et il faut remercier l'Illustration Economique et Financière de l'oeuvre qu'elle poursuit avec tant de méthode et de succès, puisqu'elle encourage et facilite la connaissance de notre pays beaucoup trop ignoré dans les forces innombrables qu'il recèle. Faire mieux connaître la France, n'est-ce pas mieux la faire aimer ? | ||||||||||
Puissé-je, dans les lignes qui vont suivre, indiquer ici quelques-unes des beautés de notre département pour que les touristes y viennent nombreux, y séjournent le plus longtemps possible et pour que certains d'entre eux s'y fixent.
La Manche est un département riche, très riche. Son sol est fertile, d'une extrême fertilité. Situé aux marches de la Normandie et de la Bretagne, il est le trait d'union entre ces deux provinces. Le bassin parisien vient s'enfoncer jusqu'au centre du Cotentin, tandis que les roches armoricaines lui donnent son aspect granitique et bocager.
Les flots sur la plus grande partie de son étendue l'ont battu depuis de longs siècles. Après la Corse et le Finistère, la Manche est le département le plus maritime de la France. La mer âpre et rude lui a ménagé deux ports de premier ordre : Cherbourg et Granville ; elle lui a laissé une multitude de petites plages variées, exquises, qui s'alignent de Cherbourg, l'escale des grands transatlantiques, jusqu'à la pointe de Carolles, sur la baie du Mont-Saint-Michel. | ||||||||||
La mer a façonné la côte. La forêt, cette autre grande force de la nature, comme dit M. Edouard Herriot, dans son livre excellent sur la forêt normande, donne à la Manche son aspect varié. | ||||||||||
Ecoutez M. Edouard Herriot parler de la Normandie :
« De ce pays l'arbre est roi. Son climat, presque constamment humide, favorise le bois et la prairie , selon le rythme qui associe la forêt et le pays de pâture. Où l'herbe demeure verte, la forêt prospère. »
Surtout la forêt de pommiers.
La riche Normandie s'épanouit entre les arbres et les fleurs. La Manche, c'est le feu d'artifice des pommiers en fleurs, ce sont les roses, ce sont les gras pâturages.
C'est « la mer, avec sa forte houle et son grand souffle amer ». Ce sont les villages blottis autour de leur église. Ce sont les petites fermes, avec leur courtil. La Manche..., mais je ne savais pas que c'était tant de choses.
Face aux îles anglo-normandes et à la Cornouaille d'Angleterre, le département de la Manche s'allonge, tel un long fuseau, entre Cherbourg et Mortain.. | ||||||||||
Cherbourg est sa grande ville, avec une rade magnifique, un abri sûr pour nos flottes comme pour les nombreux navires qui s'y réfugient ou y font escale
En 1925, Cherbourg a compté 876 escales pour 172.641 passagers de cabines et de toutes classes, et en 1926, le change aidant, Cherbourg aura vu un nombre plus grand encore d'Américains et d'Anglais.
Trait d'union entre deux régions très distinctes : le Val de Saire à l'Est, la Hague à l'Ouest.
Cherbourg est pour le touriste un centre d'attraction. La Hague est rude et sauvage, le Val de Saire est onduleux, calme, d'une fertilité sans pareille ; c'est un pays d'élevage et de culture maraîchère qui approvisionne les gens du pays, les Parisiens et aussi les Anglais...
Si vous voulez avoir du Nord de notre département une impression rapide et vive, lisez les lignes que lui a consacrées récemment M. Jacques Fuster, inspecteur d'Académie de la Manche...
« La côte Ouest (de la Manche), battue des courants et des vents, où la pluie tombe plus horizontalement que verticalement, se termine face au passage de la Déroute et au raz Blanchard, sur l'âpre et belle presqu'île de la Hague - résurrection de la Bretagne avec ses granits et ses landes, entassements rocheux dominant de plus de cent mètres une mer infinie qui est, par ici, une mer peuplée.
« Car elle tient prisonnières des terres qu'elle montre à la fois et qu'elle cache. On peut sur l'horizon du couchant dans l'imprécis du large, découvrir les Ecrenous, et aussi, vague, vaporeuse, énorme pourtant, s'allongeant sur la mer jusqu'à n'en plus finir, la grande île de Jersey ; on croirait un gigantesque, un invraisemblable « vaisseau-fantôme » porté sur ces flots harmonieux qui toujours reprennent leur refrain, le modulent plus fortement et s'approchent avec des volutes d'écume, dans la simplicité rayonnante du beau absolu. »
Et M. Jacques Fuster continue :
« De la Hague au cap Lévy, le rivage s'incurve pour enserrer le grand port qui est comme une tête de pont entre deux mondes : Cherbourg. Puis la côte qui s'étend du cap Lévy à la baie de Saint-Vaast-la-Hougue, limite l'un des pays les plus verts, les plus riants, les plus riches de la Manche : le Val de Saire. »
Pourquoi ne dirait-on pas du monde, M. Fuster ? | ||||||||||
C'est la vérité. Comme il est vrai que la plaine basse qui entoure Carentan et qui rappelle les polders des Pays-Bas est une des plus fertiles du monde.
Ainsi que vous l'écrivez avec votre plume d'artiste :
« En pleine Normandie, c'est une sensation exquise, parce qu'inattendue, de Hollande, et rien n'est plus frais que cet aspect verdoyant et doux, cette platitude idyllique et tendrement ensoleillée de cette longue plaine basse, bordée, au loin, par des feuillages pleins de jeux d'ombre et de lumière, - un immense espace du vert le plus tendre, dans un cadre de verdure plus accentuée, dans les attouchements de la lumière molle et de la brise de la mer... »
Vous avez raison, M. Fuster. J'ai visité la Hollande, si calme, si reposante : j'ai revu ensuite cette partie de Normandie, cette Normandie hollandaise, comme vous l'appelez, et je me suis demandé pourquoi les vrais touristes étaient si nombreux là-bas et si peu nombreux ici. |
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Voyez-vous, on ne le connaît pas assez, notre département. On n'en sent pas toute la poésie.
Venez donc goûter le charme mélancolique qu'on éprouve à Valognes, ville morte sans doute, mais pleine de souvenirs. J'évoque, en m'arrêtant près des nobles hôtels, la vie brillante, fastueuse, élégante qu'on y connaissait au temps où ils abritaient les riches seigneurs du pays. Ce n'est plus qu'une toute petite sous-préfecture, prospère grâce à son agriculture. Mais c'est une petite ville à qui il reste quelque chose de la gloire passée, de cette gloire qui est gravée dans les maisons de chaque vieil hôtel.
Si Valognes et Cherbourg sont des centres de ce pays qu'on a appelé le Cotentin, Saint-Lô est, en même temps que le chef-lieu administratif de la Manche, la capitale de ces bocages qui occupent le centre du département. Mais là encore, si le lecteur veut bien y consentir, nous laisserons la parole à M. Fuster. « C'est partout le même aspect, mais avec tant de nuances variées ! Des prairies closes de haies et cernées d'arbres, des collines sans grandes hauteurs, mais délicieusement agrestes. »
Il faut parcourir tout ce Bocage, devenir intime avec ces vergers qui sentent l'idylle et la bonne humeur, respirer ces parfums de terre herbeuse et fleurie, côtoyer ces métairies, ces jardins, ces hameaux à l'odeur fraîche, cette campagne où partout on sent l'eau sourdre, où partout on l'entend gazouiller pour savourer vraiment toute la beauté féconde et tranquille de la terre normande.
La vallée de la Vire, en particulier, vaudrait d'être plus connue. La rivière s'est frayé, à travers schistes et phyllades, une vallée délicieusement virgilienne où tout concourt à enchanter les yeux.
Au creux du vallon, la Vire coule, sinueuse, avec, au long de ses berges, comme un damier de verdure : les herbages séparés par des haies ; sur les pentes, des taillis et des bouquets de bois ; parfois des rochers à nu, et, comme pour rendre plus pictural ce paysage, des châteaux plus ou moins archaïques. | ||||||||||
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Et voici Saint-Lô, cette vieille ville au long passé ; une ville qu'on a pu comparer à un vaisseau immense dont les mâts seraient ses deux églises... une ville très traditionaliste, qui respire la richesse par tous ses pores, comme il sied d'ailleurs au chef-lieu d'un département très agricole et au sol presque trop fertile.
Un paysage différent. Car il est dit que la Manche doit présenter dans ses sites la variété la plus complète. La lande de Lessay. Elle s'étend sur 5.000 hectares, morne, désolée, sous son mantelet de brume, triste et grande comme la mer.
Une ville maintenant : Coutances, centre religieux, universitaire, siège de la Cour d'Assises. Arrêtez-vous. Visitez la cathédrale, les églises et le jardin public, dont les roses encadrent l'image de Rémy de Gourmont...
Puis retournez vers la côte. Gagnez l'Avranchin en suivant le cordon de hautes et longues dunes qui s'aligne de Carteret à Granville. | ||||||||||
A Carteret, vous avez laissé des falaises aux aspérités farouches, aux rudesses pourtant harmonieuses, où comme le dit encore M. Fuster, les sentiers dévalent vers de petites grèves comme étriquées entre les rochers.
A présent, c'est une longue série de dunes, un peu monotones et plates, aux havres nombreux, aux petits ports naturels : Port-Bail, Surville, Regnéville.
Et nous voici à Granville. Une autre région. Là c'est le roc, la falaise abrupte. Le port et la ville se dressent fièrement face à la Bretagne, devant les îles Chausey. Normand de race, Breton d'aspect, selon l'expression de Michelet, Granville a été le témoin des grands mouvements historiques. Il fut pendant la guerre de cent ans une citadelle anglaise ; plus tard, il résista à deux attaques des Huguenots. Les Vendéens s'y heurtèrent en 93, et depuis lors Granville s'appelle la Victoire ! Il pourrait aussi bien s'appeler Granville-la-Liberté, puisque Charles VII en avait fait une ville libre, exemple d'impôts, de corvées et de tailles. Et l'on vit accourir dans cette ville franche « les déshérités de l'Occident et même de l'Orient ». Ne cherchons pas ailleurs l'origine de l'esprit libéral qui caractérise le Granvillais. Indépendant, gai, gouailleur, attaché fortement à sa petite patrie, il a fait de Granville un port très important, et pour les baigneurs un séjour délicieux.
C'est que ce n'est pas seulement Granville qui attire. L'arrondissement d'Avranches est un des plus beaux qui soient. Il a Granville et Donville et aussi les îles rocailleuses et sauvages de Chausey. Il a aussi l'abbaye de la Lucerne d'Outremer, dans un des coins les plus calmes et les plus reposants que je connaisse. Il a cette côte qui va de Granville à Avranches et qui abrite les petites plages qui sont en train de devenir célèbres, et qui s'appellent Saint-Pair, Jullouville-Bouillon, avec sa mare, sa rivière et ses arbres ; Carolles, avec sa vallée des Peintres et son port de Lude ; Saint-Jean-le-Thomas, où la douceur du climat et l'exubérance de la végétation font songer aux coins les plus charmeurs de notre Méditerranée. Et Dragey, et Genêts, et Vains-Saint-Léonard...
Et il possède aussi, l'arrondissement d'Avranches, la ville d'Avranches. On a dit qu'Avranches était un des plus beaux sites du monde. Au cours de mes voyages en Europe, je m'en suis rendu compte. La vue sur la baie du Mont-Saint-Michel est unique.
Comme l'a écrit le poète Eugène Le Mouël, « Nul passant, si peu enclin qu'il soit à s'émouvoir d'un paysage, ne retient un cri d'enthousiasme devant l'incomparable panorama qu'on aperçoit du Jardin des Plantes. » | ||||||||||
Je n'ai pas à décrire ici la baie du Mont-Saint-Michel, non plus qu'à parler du Mont. Ils sont trop connus. Mais je voudrais simplement indiquer l'oeuvre qu'accomplit la « Société des Amis du Mont-Saint-Michel ».
Elle est l'adversaire résolue de tout ce qui menace le caractère artistique de la Merveille. Elle a élaboré un plan d'ensemble des travaux à exécuter pour enrayer efficacement l'ensablement du Mont, car le Mont-Saint-Michel au péril de la mer est menacé de s'ensabler. Il faut qu'on écoute les « Amis du Mont-Saint-Michel », qu'on fasse les sacrifices nécessaires pour garder au Mont son caractère insulaire. On ne doit pas reculer devant quelques millions quand il s'agit d'une merveille « dont la vue nous évoque ce que les paysages de France ont de plus grandiose, ce que le patriotisme a de plus inviolé, ce que la religion a de plus saint.
Faisons confiance à la Société des Amis du Mont Saint-Michel et à son président, M. J. Levatois. Le Mont restera une île. Du seul point de vue artistique, l'arrondissement d'Avranches présente bien d'autres attraits J'ai parlé de l'abbaye de la Lucerne-d'Outremer. | ||||||||||
Pourquoi ne citerais-je pas l'humble église de Saint-Loup, les châteaux de Brécey et de Ducey, et aussi en passantles deux jolies rivières près desquelles ils sont bâtis, la Sée et la Sélune, et leurs vallées si pittoresques ?
Chaque village, chaque hameau a son caractère. L'Avranchin, comme la Manche d'ailleurs, c'est le pays des vieilles églises, autour desquelles sont groupés les hameaux, les villages. C'est un pays où la foi est vive, la tradition respectée... Notre paysan est réservé et froid... Mais quand il a donné sa confiance, il reste fidèle...
L'Avranchin, c'est le pays de la sapience, c'est aussi celui de la critique. Et le peut-être bien que oui, peut-être bien que non prouve surabondamment que l'habitant de la Manche ne veut s'étonner qu'à bon escient.
Mais je n'ai pas à philosopher sur le caractère normand. Je jette par hasard quelques notes sur la Manche ; et bien que Normand, très indépendant de caractère, assez peu enclin à l'admiration, force m'est bien de dire que l'Avranchin, sauf les grandes montagnes, offre tout ce qui charme et tonne : la mer, les falaises, les estuaires, les baies, les briques, les dunes, les vallées abruptes...
Ai-je besoin d'ajouter que dans ce pays, qui est celui du Pré-Salé, du bon cidre, du bon lait, des bons fruits et même du bon « Calvados », le gastronome (et la mode est à la gastronomie) se sent à l'aise... qu'il est encore de bons hôtels et de bonnes auberges - que je voudrais pour ma part les voir se moderniser un peu du point de vue de l'hygiène et du confort, mais à la condition qu'elles gardent leurs vieilles traditions...
D'autre part, les fêtes d'Avranches ont valu à cette ville une réputation amplement méritée. Les touristes qui ont eu l'occasion d'y séjourner au cours de ces manifestations, ont gardé dans leur mémoire le souvenir le plus agréable des cortèges, concours, fêtes des fleurs qui sont organisés depuis de très longues années | ||||||||||
En dehors d'Avranches, il est d'autres petites villes, assez vivantes, qui sont des centres agricoles, commerciaux ou industriels. Tels la Haye-Plesnel, Brécey, Pontorson, Ducey, Sartilly, Saint-James, Villedieu-les-Poêles, la ville des marteaux, à l'industrie de laquelle, vers la fin de cet ouvrage, une bonne place a été consacrée.
Touristes, qui me lisez passez dans ces coins... Vous y ferez bonne chère et vous les trouverez agréables. Surtout, séjournez un peu à Avranches. Goûtez-en le charme mélancolique... et le repos bienfaisant.
Et ensuite, quand vous aurez visité notre Avranchin, sur lequel j'ai peut-être insisté un peu trop (et je m'en excuse ; mais la Normandie n'est-elle pas la plus belle province de France, la Manche le plus beau département de cette province, et Avranches n'en est-il pas le plus bel arrondissement ?), quand vous aurez visité, dis-je,notre Avranchin, voyez Mortain et le Mortainais, ses cascades et ses cailloux, ses montagnes, ses vallées et son Abbaye-Blanche.
Celle-ci, dit l'histoire, fondée en 1118 par Sainte-Adeline, fut d'abord un couvent de Bénédictines. | | |||||||||
Fermée pendant la Révolution en 1790, elle devint propriété de l'Hospice de Mortain et fut rachetée en 1820 par un prêtre, M. l'abbé Dary, pour y installer le Petit Séminaire qui y resta jusqu'en décembre 1906
Je ne saurais vous dire : allez ici ou là. Je vous dis simplement : traverses le Mortainais. Vous découvrirez un nouvel aspect de la Manche, de cette Manche aux mille nuances du beau.
J'ai essayé de la parcourir avec vous à vol d'oiseau, ou mieux à bord d'avion. Je me suis, de ci de là, arrêté dans quelques endroits qui m'ont paru devoir retenir vos regards ou votre attention.
J'aurais certes mieux aimé en dire la puissance agricole et économique, mais d'autres avant moi en ont pris soin.
Je l'aurais fait peut-être avec plus de compétence.
Il m'eût été aussi agréable de signaler les poètes, les écrivains, les artistes qui ont illustré notre département.
Mais ce n'était pas le sujet dont je m'étais chargé. D'un coup d'oeil rapide, j'ai embrassé la Manche pour avoir le droit de répéter aux touristes : Venez dans ce département. Voilà ce que vous pourrez y apercevoir. En rédigeant ces lignes trop brèves, je me suis rendu compte une fois de plus que la Manche était un monde. Non, vraiment, je ne me serais jamais imaginé que la Manche c'était tant de choses. ANSELME-LAURENCE |