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Le château disparu de Néhou | ||||||||
Illustration 5 Ruines de l'ancien château de Nehou, collection CPA LPM 1900
D’après Julien DESHAYES, septembre 2002
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Note sur le château disparu de Néhou | ||||||||
Parmi les anciens châteaux forts du Cotentin, celui de Néhou est l’un de ceux qui a suscité le plus vif intérêt de la part des historiens et des archéologues. Les recherches inaugurées dans les années 1820 par Charles du Hérissier de Gerville ont été poursuivies au XIXe siècle par l’abbé Lebredonchel, et l’abbé Bernard, puis, au début du XXe siècle, par Lemarquand, qui fut l’un des derniers à en observer les ruines encore subsistantes. A la suite de Gerville, qui s’appuyait sur une prétendue charte originale de fondation rédigée en l’an 920, ces différents auteurs ont attribué la constitution du domaine à Richard, compagnon de Rollon, premier seigneur de la grande baronnie voisine de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Ce dernier aurait ensuite inféodé le domaine à son fils Néel, qui, pour s’y établir, construisit le château.
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I « Un bel et fort chastel » | ||||||||
D’après les sources vérifiables aucun seigneur de Saint-Sauveur n’est cependant attesté avant Roger le Vicomte, vivant à l’époque du duc Richard Ier (942-996). Si l’étymologie de Néhou désigne bien « l’île /le rivage de Néel », elle pourrait, de fait, aussi bien se rattacher au fils (Néel I), voir au petit-fils (Néel II) de Roger le Vicomte qu’à un ancêtre semi légendaire du même nom. Selon une tradition plus solidement établie, la constitution du domaine en baronnie indépendante serait consécutive à la bataille du Val-ès-Dunes, en 1046/47.
Guillaume le Bâtard, victorieux, aurait alors confisqué le château appartenant à Néel II le Vicomte pour le punir de son implication dans l’insurrection menée par Guy de Bourgogne. Le duc aurait ensuite fait don de Néhou à l’un de ses familiers, Baudoin de Meules, avec en dépendance une trentaine de fiefs nobles répartis dans toute la presqu’île du Cotentin.
Néhou est ensuite transmis à Richard de Reviers, seigneur de Vernon, puissant baron anglo-normand, qui dirigea en Cotentin le groupe des partisans de Henri Beauclerc lors des guerres consécutives à la mort du Conquérant. Le nom de Richard de Reviers est également attaché à la fondation de l’abbaye de Montebourg, où est conservée sa sépulture. Après le décès de Richard, intervenu en 1107, Néhou et les autres possessions normandes de la famille sont transmis au fils cadet, Guillaume de Vernon, tandis que Baudoin de Reviers, l’aîné, obtient les héritages anglais, situés principalement en Devon et dans l’Île de Wight. Baudoin et Guillaume figurent, dans les années 1136-1140, parmi les principaux partisans de Geoffroy Plantagenêt, particulièrement actifs en Cotentin lors du conflit de succession de Henri 1er.
Suite au traité d’Issoudun, en 1195, Néhou passe provisoirement sous tutelle royale, avant de revenir à la famille de Reviers-Vernon après l’annexion de la Normandie par Philippe Auguste. En 1283, à la mort de Guillaume II de Vernon, la baronnie est divisée entre trois héritières. Le château et les biens qui lui étaient attachés passent alors à la famille de la Haye et y restent jusqu’au milieu du XIVe siècle.
Le 4 juin 1366, Guillaume de la Haye cède Néhou au roi Charles V en échange du château de Metz-le-Maréchal, en Gâtinais. Comme l’a bien montré Anne Vallez, cette acquisition s’inscrivait pour Charles V dans une patiente politique de noyautage du Clos du Cotentin, alors dominé par le navarrais. Elle participait également d’une stratégie militaire d’encerclement de la garnison anglaise, établie dans la forteresse de Saint-Sauveur-le-Vicomte, suite au don qu’en avait fait Geoffroy d’Harcourt au roi Edouard III, à titre d’héritage.
Dès avant 1366, la château de Néhou avait été impliqué dans les événements de la Guerre de Cent ans. Son propriétaire, Guillaume de la Haye, était l’un des principaux officiers de Charles le Mauvais en Cotentin. Son capitaine, Guillaume aux Epaules, avait également servi Charles de Navarre, avant que d’être « tourné françoiz » à son détriment en livrant Néhou et le Pont-d’Ouve à Olivier du Guesclin, en 1364.
En 1418, le château est donné par le roi Henry V d’Angleterre au chevalier Jean de Robessart, puissant baron du Hainaut, également établi à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Après le départ des Anglais, Charles VII, renouvelant une ordonnance du 25 mai 1413, réunit la baronnie de Néhou à celle de Saint-Sauveur, et fait don de l’ensemble à André de Villequier. A compter de 1575, le domaine, revenu à la couronne, sera successivement cédé à plusieurs engagistes, avant d’être revendu après la Révolution. Il était en 1845 en possession de la famille Lefèvre de la Grimonière. L’établissement d’une minoterie, construite en 1907, achèvera de faire disparaître les dernières ruines qui subsistaient de l’ancienne forteresse.
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II – Sources relatives à l’édifice | ||||||||
Les sources écrites
Vers 1100-1107, Richard de Reviers fonde « in castello Nigelli humi » une chapelle dédiée à la Vierge Marie et y institue un collège de quatre chanoines, placés sous la direction du prêtre Richard. L’acte de cette fondation fourni la première référence totalement fiable concernant l’existence d’un château sur le site de Néhou. La chapelle, offerte à l’abbaye de Montebourg par Guillaume de Reviers-Vernon en 1152, est mentionnée dans plusieurs sources postérieures, notamment dans divers actes de confirmation des biens de l’abbaye. Par une charte de janvier 1268, Guillaume II de Vernon fit notamment don à la « capelle sancti Petri de castello de Nigelli-humo » d’une rente destinée à fournir en huile les lampes d’une chapelle ardente, dite « chapelle haute » (pro oleo habendo ad usum cujusdam lampadis nocte dieque continue ardentis in capella superius nominata]).
En 1195 des travaux de réparations d’un montant de 10 livres et 10 sols consacrés aux bâtiments du château, à ses moulins et sa chaussée, sont enregistrés sur les rouleaux de l’Echiquier de Normandie. La prise en charge de ces travaux sur les fonds du trésor ducal se justifiait par la confiscation provisoire du fief, suite au traité d’Issoudun, ayant placé le domaine de Vernon et son propriétaire, Richard II de Reviers, sous la dépendance de Philippe Auguste.
L’acte d’acquisition de la baronnie par Charles V, en 1366, offre de nouveaux détails. Il mentionne notamment le « castrum et fortabilium de Neauhou situatu (sic) in Constantino quod major pars ejusdem castri situatur in uno magno lacus (sic) aqua munito de baielle donjon et duobus paribus fossatorum et douvarum unde qualibet die per annum aqua in dictis douvis existit quorum minor ipsarum douvarum continet quater viginti pedes de apertura munita de turribus (…) ». En octobre de la même année, le roi fait exécuter des travaux sur la charpente de la chapelle ainsi qu’aux « guerniers sur la grande salle pour mettre les garnisons » et règle l’achat de quatre grandes échelles pour monter sur les murs du château. Léopold Delisle a également publié un certificat de l’année 1394, relatif à un paiement effectué pour la réparation des « guérites de dessus la porte du chastel de Neahou et du donjon ». Cet acte évoque aussi la réfection du pont « du bout de la chaucée devers Sainte-Colombe » et des travaux pour « estouper deux males brèques » rompues par les eaux sur la chaussée de Néhou et au « pont du Boile ».
Une autre description ancienne, plus détaillée que la précédente, est contenue par la « Prisée de la baronnie et vicomté et seigneurie de Saint-Sauveur-le-Vicomte » rédigée en 1473. Outre un état des biens et des droits relevant de la baronnie de Saint-Sauveur-le-Vicomte, cette prisée s’étend en effet au domaine de Néhou, qui en constituait une dépendance.
Le château comprenait alors : « une motte où souloit avoir un bel et fort chastel et sont les fossés doubles plain d’eau tout à l’entour de la dite motte un dos d’asne au milieu et à l’entrée ou souloit être le portail a encore debout tout un tenant deux costés de murailles à chaux et à sablon chacun de cinquante pieds de long et soixante pieds de haut ou viron et entre lesdits deux costés a la première porte de l’entrée à deux grands piliers de franc carrel de la hauteur de soixante pieds ou viron et quatre pieds de large et est la voûte de la dite porte et tout le costé devant jusques au fest semblablement de franc carrel et la seconde porte de la dite entrée a deux pilliers de franc carrel de la dite hauteur et sont les jambes litheaux et costés de la dite porte de franc carrel.
Item y a à l’entrée encore deux autres portes toute de franc carrel et par dessus y a muraille à chaux et sablon allant jusques au fest de la hauteur dessusdite et a aux dits deux costés de murailles quatre huis ferys deux cheminées huit fenestres vingt-cinq corbeaux tout de franc carrel et est tout le costé des murailles par dedans ledit chastel jusques au fest de la hauteur dessusdite tout de franc carrel.
Item au joignant de la dite entrée au dedans dudit chastel souloit avoir un donjon et y a encore muraille à chaux et à sablon d’environ cent et cinquante pieds de haut et soixante pieds de long et au costé de ladite entrée a deux piliers de franc carrel de ladite hauteur et en ladite muraille a quatre huis feryes de franc carrel et y a apparence d’un vis de l’autre costé où il y a encore dix pas de degré de franc carrel et une grande muraille de l’essence et hauteur de l’autre devant dicte en laquelle muraille a dedans incorporé une ceinture de franc carrel de quinze pieds de long et le bas d’un pillier de six pieds de haut ou viron de franc carrel.
Item audit chastel a une chapelle fondée de saint Pierre l’un des bouts de laquelle est abattu et n’y a que murailles où il y a deux huisseryes et une fenestre de franc carrel et l’autre bout est entier et couvert et a environ quinze pieds de long et autant de lay et ont les costés de la muraille environ quatorze pieds de hault et un pignon environ de vingt pieds de hault le tout à chaux et sablon et y a deux huis feryes deux grandes fenestres un lavatoire trois petites fenestres et une armoire le tout de franc carrel et un autel de pierre dont le dessus est de franc carrel et y a une liaison de bois et de mesrain à ce appartenant et est ladite chapelle couverte de pierre ardoise et de tuille et y a dedans une petite cloche pendue. Item et au millieu dudit chastel a une huis ferye de franc carrel et dit-on que c’estoit l’entrée des caves que l’on dit qui sont soub terre et auprès une grande muraille environ de cinquante pieds de long et vingt pieds de hault à chaux et sablon où il y a une cheminée de franc carrel et est tout le surplus du dit chastel tant de murailles qu’édifice chu et demoly ».
Au devant du château, en direction de Sainte-Colombe, se trouvait une chaussée encadrée de murs menant à un « pont dormant de bois de quatre-vingt-dix pieds de long ou viron portant sur deux piliers faits à chaux et sablon ». Une chapelle Saint-Eloi, anciennement affectée à l’hôtel-Dieu de Néhou, occupait le bord de la chaussée et avoisinait un vivier seigneurial dont la retenue d’eau alimentait les moulins. Enfin, « assez près la motte dudit chastel » était un clos contenant « un colombier volant de cent pieds de tour et soixante pieds de haut ».
En 1473, l’édifice était déjà, comme on le constate à la lecture des lignes précédentes, dans un état de délabrement avancé. Curieusement, un aveu rendu en 1528 par Baptiste de Villequier attribue cette ruine à « la démolition et abbatement que fit faire icellui roi Jehan du chasteau dudit lieu de Néhou, pour la proximité d’icellui du chasteau et place forte du dit lieu de Saint-Sauveur, pour le bien et l’utilité du pays ». Cette affirmation devrait logiquement se référer à une ordonnance de Jean le Bon ; ordonnance qui ne fut pas suivie d’effet puisque nous avons vu Charles V effectuer l’acquisition de Néhou en 1366 et y faire exécuter des travaux sur des bâtiments encore en fonction. C’est avec vraisemblance que l’abbé Lebredonchel estimait que la ruine du château remontait à l’occupation anglaise de la première moitié du XVe siècle.
En 1835, Lebredonchel signalait aussi qu’ « une partie du donjon existait encore dans le siècle dernier. C’était une grosse tour carrée, qui s’élevait jadis à une grande hauteur. Mais, minée peu à peu par le pied à force d’en extraire la pierre de taille dont elle était construite, elle s’écroula tout à coup, pendant une tempête, le lundi d’avant les cendres, en l’année 1771 ». Vers 1820, Gerville n’avait pu observer que « des retranchements avancés et des fossés », ainsi que des « restes considérables mais informes, de maçonnerie, que le propriétaire actuel fait démolir et convertir en de nouveaux bâtiments ».
Les sources figurées
Les sources écrites sont fort heureusement complétées par plusieurs documents figurés permettant de mieux comprendre les dispositions de l’ensemble castral disparu.
L’identification de l’aspect général du château médiéval de Néhou est notamment facilitée par l’existence d’un plan levé en 1788, aujourd’hui conservé aux Archives de la Seine-Maritime (Ill. 1). Celui-ci fait apparaître, plus précisément que le cadastre de 1829 (Ill. 2), la topographie du site, implanté en bord de rivière, dont le cours se subdivisait en plusieurs bras artificiels formant douves. Les deux chapelles Saint-Pierre et Saint-Eloi sont visibles, ainsi que l’emplacement des moulins, permettant d’associer la retenue d’eau alimentant le bief, le vivier seigneurial et les douves à un passage routier. La motte citée dans les sources médiévales figure à l’intérieur d’une combinaison complexe d’enclos tangents limités par la route, la rivière, et des fossés en eau. Ce vaste ensemble était précédé à l’ouest par un tertre triangulaire formant éperon (n° 15 du plan), encore discernable aujourd’hui.
Un dessin de la collection Gerville effectué vers 1820 (Ill. 3) montre un pan de mur ouvert d’une brèche prenant appui sur un massif de maçonneries ruinées assez informe. La retenue d’eau du bief des anciens moulins, visible au premier plan, permet d’établir l’orientation de cette vue, dessinée depuis le sud-ouest, en direction du bourg de Néhou, dont le clocher apparaît à l’horizon.
Illustration 3 Dessin de la collection Gerville effectué vers 1820 L’imposant massif de maçonnerie que Gerville avait encore pu voir en 1819 avait été démoli avant 1872 puisqu’il ne figure plus sur une photographie prise à cette date selon une orientation sensiblement identique (Ill. 4). Les indications fournies par la vue de 1872 se retrouvent en revanche sans grandes différences sur une carte postale datant du début du XXe siècle (ill. 5). Les deux clichés montrent les ruines d’une épaisse muraille affectant l’amorce d’une courbe, accolées sur la gauche d’un bloc de maçonnerie rectangulaire percé d’une brèche, correspondant à l’ancien ouvrage d’entrée. Le talus de l’ancienne motte est bien identifiable sur la photographie de 1872, qui laisse aussi apercevoir le clocher du village situé à l’arrière plan.
Le hasard de mes prospections m’a permis d’identifier une représentation plus ancienne, datant probablement de la seconde moitié du XVIIe, qui montre encore l’édifice en élévation (Ill. 6). Il s’agit d’un détail de peinture à thème paysager décorant le manteau de la cheminée de la salle haute de la Cour de Rauville-la-Place, manoir des XVe et XVIIe siècles tout proche de Néhou. Si la perspective atmosphérique des hautes montagnes bleutées de l’arrière-plan n’est guère cotentinaise, le large fleuve où naviguent des gabares, un cygne et des canards géants, correspond bien en revanche à la topographie du site de l’ancien château, édifié en bordure de la rivière d’Ouve.
Illustration 4 Photographie de 1872
Le corps d’entrée, identifiable à la grande porte en plein cintre figurée sur la peinture de Rauville, renvoie à l’ouverture échancrée visible sur le dessin de la collection Gerville (Ill. 3) et sur les photographies plus récentes (Ill. 4 et Ill.5). L’enceinte de forme arrondie à base talutée, située sur la droite du portail, se rapporte également au massif de maçonnerie de la vue du fonds Gerville. L’édifice voisin du château, avec sa fenêtre percée dans le mur pignon, figure sur les représentations postérieures et sur le plan de 1788 (n°3), où il est identifié en légende comme étant la propriété du meunier de Néhou. L’aspect du château peint sur la cheminée de la Cour de Rauville coïncide aussi avec les descriptions médiévales. Au grand ouvrage d’entrée percé en partie supérieure de deux baies placées sous une ligne de toiture correspond la mention du « portail » de « soixante pieds ou viron » abritant une première porte « voutée » (i.e. formée d’un arc appareillé), puis de trois autres portes successives, l’ensemble étant surplombé par un niveau résidentiel qui était doté en 1473 de deux cheminées, quatre portes et huit fenêtres. La petite tour en avancée évoque le « colombier volant », et le pont qui la précède, le « pont dormant » de la Prisée.
Le détail de la haute tour visible sur la peinture évoque la « grosse tour carrée, qui s’élevait jadis à une grande hauteur », mentionnée par l’abbé Lebredonchel. A la différence de ce dernier, nous allons voir cependant qu’il convient de distinguer cette tour quadrangulaire, effondrée en 1771, du « donjon » situé « au joignant » de l’entrée évoqué par la description de 1473.
Illustration 6 Peinture sur le manteau de cheminée de la Cour à Rauville-la-Place | ||||||||
III – Interprétation | ||||||||
Le donjon médiéval, déjà cité en 1366 et 1394, était constitué en 1473 d’un pan de « muraille à chaux et à sablon d’environ cent et cinquante pieds de haut et soixante pieds de long », comportant « quatre huis feryes de franc carrel » d’un côté, et de l’autre « apparence d’un vis (…) où il y a encore dix pas de degré de franc carrel » intégré dans « une grande muraille de l’essence et hauteur de l’autre devant dicte en laquelle muraille a dedans incorporé une ceinture de franc carrel de quinze pieds de long et le bas d’un pillier de six pieds de haut ou viron de franc carrel». Conformément à un usage médiéval fréquemment attesté, ce terme de donjon ne s’applique donc pas à une tour quadrangulaire incluse à l’intérieur des courtines, mais à l’ensemble d’une enceinte d’assez vaste ampleur. Le plan de 1788 restitue très bien le tracé de cette enceinte dont les dimensions, murailles comprises, sont données entre environ 23 mètres et 26,50 mètres de diamètre (Ill.1).
La morphologie du château de Néhou, telle qu’elle peut se restituer d’après l’ensemble des documents présentés ci-dessus, évoque immédiatement celle d’un donjon de type « shell-keep » ou donjon annulaire. Formé d’une enceinte ovalaire sur motte plus large que haute, ce donjon devait initialement enclore un groupe de bâtiments résidentiels, comprenant notamment la salle mentionnée dans les comptes royaux de 1366.
A ce titre, le château de Néhou se rattache à d’autres sites castraux anglais et normands, au nombre desquels il convient en priorité de citer, outre le célèbre Gisors, ceux étudiés par Christian Corvisier à Carentan et à la Haye-du-Puits (ill.7.)
Illustration 7 Château castral de La Haye-du-Puits Carentan et la Haye du Puits disposaient tous deux d’une tour quadrangulaire en débord sur l’enceinte. Celle du château de la Haye, protégée au titre des Monuments historiques sur liste de 1840, a été conservée. La tour romane de Carentan, malheureusement détruite en 1854, est connue par une gravure et un relevé conservé aux archives départementales de la Manche. Concernant Néhou, il est énigmatique que la haute tour « carrée » évoquée par Lebredonchel, bien visible sur la peinture de la Cour de Rauville, ne soit pas explicitement mentionnée dans la prisée de 1473. Sauf à admettre qu’elle n’ait été édifiée qu’à une date postérieure au XVe siècle, celle-ci pourrait avoir constitué un nouveau point de rapprochement entre Néhou et les forteresses de Carentan et de la Haye-du-Puits.
Le développement, tout à fait important, donné à l’ouvrage d’entrée assurant l’accès au donjon de Néhou suggère en revanche d’autres types de comparaisons. Les sources écrites et les documents iconographiques conservés attestent la monumentalité de ce grand logis-porte, combinant fonctions défensives et résidentielles. En Normandie l’énorme ouvrage d’entrée, partiellement ruiné, du « château Ganne », sur la commune de la Pommeraie (Calvados), offre sans doute une idée valable des proportions de ce bâtiment, qui constituait l’un des principaux attributs de la forteresse. Il convient aussi, Outre Manche, d’établir une comparaison avec la porte de
Rougemont du château d’Exeter (Devon) (ill.8). Cet ouvrage fortifié contrôlait jadis l’accès à une vaste enceinte castrale de type Shell Keep. Le grand arc cintré de la première porte ouvrait sur un second portail, couronné semble t-il par deux niveaux résidentiels. Comme à Néhou, l’accent y était porté sur la monumentalité de l’entrée, dont la finalité première était manifestement d’impressionner le visiteur. La construction du château d’Exeter est datée pour l’essentiel des années immédiatement consécutives à la prise de la ville par les normands, en 1068. La paternité de la construction revient à Baudoin de Meules, auquel Guillaume le Conquérant avait transmis l’ordre de fortifier la ville. En 1136 le château d’Exeter sera occupé par Baudoin de Reviers et un groupe de chevaliers, pour la plupart originaires du Cotentin, opposés à Etienne de Blois. Les liens historiques étroits qui unissent le château d’Exeter à la famille des barons de Néhou sont susceptibles de justifier les relations existantes entre les deux forteresses.
Illustration 8 Porte de Rougemont du château d’Exeter (Devon)
Christian Corvisier propose de situer la construction des châteaux de Carentan et de la Haye-du-Puits à une date proche de 1150. L’étude du contexte historique du milieu du XIIe siècle incite en effet à insister sur l’importance de cette période pour l’évolution de l’architecture castrale du Cotentin. Au cours des années 1136-1140, durant la crise de succession consécutive à la mort d’Henri 1er Beauclerc, la région sert de cadre au conflit opposant les partisans de Geoffroy Plantagenêt aux fidèles d’Etienne de Blois. Baudoin de Reviers et son frère Guillaume de Vernon, suivis de plusieurs seigneurs des environs, sont alors parmi les plus actifs défenseurs des intérêts du Plantagenêt. Le vicomte Roger, maître du château de Saint-Sauveur, représente face à eux l’autorité du roi d’Angleterre et, jusqu’à son assassinat c.1138, fait peser aux portes même de Néhou, une menace dont il convenait de se prémunir. S’il est vrai que ces années de guerre furent propices à l’établissement de nouvelles fortifications, il est évident aussi que de semblables préoccupations s’étaient déjà largement faites ressentir à la génération précédente. Dés les années 1090-1105, le Cotentin est le théâtre des guerres de succession opposant les trois fils de Guillaume le Conquérant. Le seigneur de Néhou, Richard de Reviers, est l’un des principaux alliés de Henri 1er Beauclerc. La fondation de la chapelle Notre-Dame vers 1100-1107 offre durant cette période un indice fiable d’occupation de la forteresse. Si les fortifications en terre qui formaient l’assise du château (Ill. 1 et Ill. 2) peuvent avec vraisemblance être attribuées à la période troublée de la minorité de Guillaume le Bâtard, la structure en pierre avec donjon annulaire couronnant l’ensemble pourrait ainsi fort bien résulter de travaux entrepris dés les dernières décennies du XIe siècle. | ||||||||