LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Propos pour les jeunes filles   Février 1912
         
 

Me pendra-t-on pour une amie grondeuse si j'exprime le regret que la vraie jeune fille devient quasiment rare comme la perle ?

 

Je vous signale deux exagérations, mes chères amies : ou l'on couve des poupées mièvres, niaises, sans initiative, rougissant à chaque mot qu'on leur adresse et ne sachant répondre ni oui ni non avant d'avoir consulté leur maman des yeux ; ou l’on fait des garçons en jupons élevés en serre chaude, pétris de mondanités et d'artifices, se maquillant à quinze ans, lisant tout Lavedan à seize, ayant leur « flirt » à dix-sept, partageant leur vie entre la bicyclette et le tennis, et se vantant d'avoir, Dieu merci, déposé tout ce qui crée obstacle à leur indépendance : coeur, cervelle, enthousiasme, sensibilité.

 

Autrefois, il y avait excès dans le premier genre. Aujourd'hui, on incline manifestement vers le second. C'est curieux combien nous avons de mal à garder la juste mesure

 

Mais quelle est cette mesure ?

 

Tâchons de nous entendre.

 

Fabiono Les CPA LPM n°45

 
         
 

Le caractère distinctif de la vraie jeune fille, c'est de savoir précisément se te-nir à la moitié du chemin qui sépare l'enfant de la femme.

 

Moralement, cette évolution suivrait sans doute l'évolution physiologique, si l'entourage laissait la nature agir en se bornant à la diriger d'une touche légère. Mais il se trouve qu'à force de sollicitude la personnalité de l'enfant soit dépendante de celle des parents, de telle sorte qu'à son ingénuité char-mante, probe et d'un seul jet, on subs-titue la personnalité anachronique de la mère ou de l'éducatrice gui la rem-place. Cela va comme une toilette de grand'mère à une fillette de seize ans !

 

Efforçons-nous de réagir

 

Naturelle, simple, sincère, la jeune fil-le doit avoir conscience de la respon-sabilité de ses actions et savoir que sa grâce virginale justifiera au besoin ses innocentes audaces.

 

Bien que travaillant à son perfectionnement moral, elle se montrera telle qu'elle est, avec ses qualités, ses défauts, ses aversions, ses sympathies ; la dissimulation étant la pire des aberrations et se révélant immanquablement à l'expression suspecte du visage. Jeune, en-jouée, elle sera le sourire de la maison ; mais elle apprendra à mesurer la familiarité des jeunes gens et à opposer au besoin aux téméraires une attitude défensive faite de froideur et de fermeté

 

Elle sera instruite (c'est obligatoire, aujourd'hui), mais non pédante. Elle n'aura de coquet-terie que juste ce qui est nécessaire pour accompagner sa jeunesse. Elle ne négligera aucu-ne occasion de contribuer aux travaux du ménage, ne devant pas ignorer que cette sorte d'expérience est celle que prisent davantage les maris.

 

Ainsi formée, il n'importera guère qu'elle soit belle ou laide ! Le charme ne s'exprime pas sur les traits, mais par un je ne sais quoi d'infiniment plus éloquent que la beauté

 

Tout cela n'est pas difficile. L'éducation fait l'essentiel, le tact accomplit le reste. Et l'on arrive de la sorte à accomplir la jolie définition du poète Nicolas Lenau : « Une jeune fille, c'est comme une promesse, comme une vie humaine en bouton, toute prête pour l'épanouissement