Les 49 Abbés du Mont Saint Michel 

 

   

 Abbé Arthur de Cossé-Brissac 2/2

 1570-1587  40eme Abbé 

 

Dès l’année 1577, le monastère fut surpris et enlevé par une bande d’aventuriers, qui faillirent même s’emparer de la ville. En l’absence du comte de Baternay, capitaine du Mont, un gentilhomme protestant conçut l’espérance de se rendre maître de ce point militaire, d’où il eût dominé le pays.

 

La fête de la Madeleine, jour où les religieux et une partie des habitants de la ville se rendaient processionnellement à la Maladrerie de la rive de Beauvoir, fut choisie pour l’exécution de cet audacieux fait d’armes. Le 22 juillet, au matin, vingt-cinq hommes résolus se présentèrent par ses ordres, en habits de pèlerins, à la porte du Mont Saint-Michel où ils furent admis sans défiance.

 

Arrivés à l’entrée de l’abbaye, ils y déposèrent toutes leurs armes apparentes, sur une simple observation des gardiens et on les laissa passer, sans s’assurer s’ils ne portaient pas d’armes cachées. Tous étaient secrètement munis de pistolets et de poignards.

 

Ils se rendirent à l’église avec les semblant de la dévotion la plus sincère : après s’y être livrés à des pratiques religieuses, et avoir même fait dire plusieurs messes, ils se divisèrent en plusieurs groupes, et occupèrent chacun leur poste avec une apparente insouciance.

 

 

Arc boutant, CPA collection LPM 1900

 

Une partie des agresseurs resta sur le Saut-Gautier, une autre s’arrêta d’un air indifférent auprès du corps de garde, tandis que trois ou quatre se rendaient à la porte de la ville : au signal de l’un de ces derniers, le corps de garde et l’église furent envahis et enlevés à la fois.

 

Un soldat, dans le premier poste, refusait de rendre son épée, il tomba baigné dans son sang : effrayés par cet exemple, les autres s’empressèrent de jeter leurs armes. Les moines, qui se trouvaient en ce moment dans l’église, ne parvinrent pas tous à se soustraire au fer par la fuite ; plusieurs furent blessés : Jean Le Mancel, secrétaire du chapitre et maître des novices, qui donna la récit de cette surprise, affirme qu’il fut lui-même profondément atteint d’un coup de poignard au cou.

 

L’historien protestant, La Popelinière, un des meilleurs historiens de Normandie, assurent même qu’ils massacrèrent les religieux qui leur avaient dit la messe. Du Touchet fut moins heureux que ses compagnons : caché avec douze cavaliers dans l’ombre d’un hallier, il en était sorti au signal de l’attaque, et s’était porté au galop sur l’entrée du Mont Saint-Michel ; mais l’espace qu’il avait à parcourir, permit aux habitants de se réunir, de fermer la porte, et de repousser son attaque. Cet échec fut le point où s’arrêta le triomphe que cette légère troupe d’agresseurs avait dû à l’effroi et au désordre de la surprise. On se rallia, et les vainqueurs éphémères, bientôt assiégés dans le monastère qu’ils avaient si brusquement conquis, s’y maintinrent pourtant jusqu’au lendemain. À la nouvelle de cette attaque, un des enseignes de Matignon, Louis de La Morinière, sieur de Vicques, accourut à Avranches, où il réunit quelques forces avec lesquelles il se jeta rapidement sur le Mont Saint-Michel. Sa présence dissipa la dernière espérance que celle poignée d’aventuriers avait conçue de prolonger la lutte : à la première sommation ils se rendirent sur la promesse de la vie sauve ; ils ouvrirent les portes du monastère à huit heures du matin, le lendemain du jour où ils s’en étaient rendus maîtres.

 

La capitulation sous la foi de laquelle s’étaient placés les protestants fut odieusement violée par les vainqueurs : les deux gentilshommes qui les commandaient furent saisis et eurent la tête tranchée. Leurs soldats furent pendus. Cet exploit, dont une félonie avait cependant souillé l’éclat, mérita à de Vicques le commandement de la place qu’il avait si promptement recouvrée. Henri III en dépouilla René de Baternay, pour l’en revêtir avec le titre de gouverneur.

 

Cependant le conflit judiciaire qui s’agitait devant le parlement de Normandie entre Arthur de Cossé et la communauté du Mont Saint Michel, épuisait les diverses périodes de la procédure ; un arrêt le trancha enfin en 1579. Condamné à restituer à la trésorerie de son abbaye les objets d’orfèvrerie qu’il en avait enlevés, Arthur de Cossé aliéna, au prix de 1500 livres, le manoir et le collège que son monastère possédait dans la ville de Caen, et, avec le prix, grossi de celui d’une coupe de bois, il retira ces vases, engagés dans les mains des héritiers de N. Letexis, bourgeois de cette dernière ville. Le calice et d’autres objets du poids de 17 onces manquèrent seuls aux richesses qui furent restituées le 28 septembre 1579 au trésor du Mont.

 

Arthur de Cossé, après avoir subi à la cour du duc d’Alençon, auquel l’unissait une vive amitié, les troubles et les dangers qui avaient agité une partie de sa prélature, se relira dans le château de Loiselière, en la baronnie de Saint-Pair, pour s’y livrer aux douceurs d’une vie paisible où la mort le frappa.

 

Ses dépouilles mortelles furent rapportées dans sa cathédrale, où il reçut les honneurs de l’inhumation au milieu du chœur. N’ayant conservé avec son monastère que des rapports d’intérêt, l’unique vestige qu’il y a imprimé n’est-il que la verrière présentant son image en vêtements violets, qu’il fit placer à l’une des fenêtres du chœur, près de celle où brillent la figure et l’écusson du cardinal d’Estouteville. Arthur de Cossé portait de sable à trois faces d’or d’enchère, armes de la maison de Brissac.

   

 

Collection CPA LPM 1900