METIERS D'AUTREFOIS
   
  LES GRANDES LESSIVES D'AUTREFOIS
                   
 

Réalisé d’après

joursdelessive@yahoo.fr

CPA, collection LPM 1900

 

Le lavage du linge de corps et des vêtements de travail avait lieu toutes les deux ou trois semaines, plus souvent si on avait de jeunes enfants. Il s’agissait bien souvent d’un simple trempage sans savonnage dans l’eau de la rivière ou de la mare, faute de ressources.

 

Suivant les régions, la grande lessive (buée ou buie) se faisait dans tous les villages et les petites villes de deux à quatre fois par an et tout particulièrement au printemps et à l’automne. C’était un évènement important de la vie communautaire, un acte social qui rassemblait les femmes et donnait lieu à une vraie fête avec repas, chants et danses qui faisaient oublier la fatigue.

 

Les premières opérations se pratiquaient dans les foyers. Le linge était trié : d’un côté le linge blanc, et de l’autre les lainages et le linge fin. Le blanc était lui même trié en fonction de son degré de saleté et de sa finesse : cela conditionnait sa place dans le cuvier.

 
 
     
 

La buée avait lieu à l’extérieur ou dans une pièce spécialement préparée (chambre à four, fournil, appentis ou coin de grange). La lessive durait trois ou quatre jours, voire une semaine suivant la quantité de linge. Une grande buée comptait en moyenne 70 draps et autant de chemises, des dizaines de torchons et de mouchoirs.

 

L’essangeage

 

L’essangeage (ou échangeage) correspondait au prélavage. Le linge était sommairement décrassé à l’eau au lavoir, à la fontaine ou à la rivière. Les saletés les plus tenaces étaient frottées à la brosse sur une planche à laver striée ; les pièces délicates, les cols et poignets de chemises, étaient lavées à l’eau tiède avec du savon de Marseille.

 

Pour les taches les plus rebelles, chaque femme avait ses secrets. John Seymour raconte dans Arts et traditions à la maison : « Il y avait toute une variété de procédés, dont certains passablement curieux, pour ôter les taches. Pour enlever la graisse et l’huile, on utilisait surtout la smectite, mais la craie et la terre de pipe étaient aussi réputées efficaces. Le jus de citron, le jus d’oignon, ou même l’urine, éliminaient l’encre, et l’on faisait partir les taches de cire en appliquant dessus un fer chaud enveloppé d’un linge. »

 
     
 

Lavoir du Pont de la Goutte à Créances, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Le coulage

 

Avec le coulage commençait réellement la grande lessive. Le cuvier était sorti ou loué chez le tonnelier : il était en bois cerclé de fer, pouvant atteindre jusqu’à 1,20m de diamètre et contenir jusqu’à 400 litres d’eau. Il était posé sur un trépied

 

Le linge était empilé dans le cuvier. On posait par dessus une grosse toile de chanvre (charrier ou cendrier), sur laquelle était étalée une couche de 5 à 10 centimètres de cendre de bois, mélangée avec des colliers d’iris pour parfumer le linge. Les coins de la toile étaient ramenés sur les cendres et on versait sur le tout une soixantaine de litres d’eau bouillante.

 

Les sels de potasse contenus dans les cendres se dissolvaient et l’eau de lessive, solution alcaline, était recueillie au bout d’une heure au vide-lessive (trou à la base du cuvier).

 
     
 

Le cuvier était relié par un tuyau d’environ 1,50 m de long à la casse, sorte de poêlon en cuivre à longue queue (en fonte à la fin du XIXè siècle), où l’on chauffait de l’eau.

 

On reversait la lessive sur le charrier à l’aide du coule-lessive, un godet pourvu d’un long manche. On recommençait l’opération pendant des heures.

 

 
 
                   
 

On laissait macérer toute la nuit. Le linge était dépoté le lendemain avec une pince en bois à longues branches et mis dans des sacs de grosse toile ou des paniers d’osier.

 

Le jour suivant, il était transporté à la rivière ou au lavoir. Les laveuses procédaient alors au savonnage, au dégorgeage et au rinçage. Elles prenaient leur battoir, leur pain de savon, leur brosse de chiendent et leur boîte ou selle à laver (carrosse) pleine de paille, munie d’une planche ou non, dans laquelle elles s’agenouillaient. Elles tendaient le linge à bout de bras, le laissaient flotter dans l’eau froide, le frottaient et le pressaient sur la selle avec la brosse. Elles le rinçaient en le tordant et en le frappant avec le battoir pour le débarrasser de l’eau de lessive. Elles pouvaient aussi travailler debout, la selle posée sur des tréteaux.

 
     
 
 
                   
 

L’azurage

 

Puis c’était l’azurage. On plongeait dans l’eau de chaque baquet de rinçage un sac de bleu contenant une poudre bleue provenant de l’indigotier ou de l’outremer, pour rendre le linge encore plus blanc.

 

Conformément aux préceptes de Diderot et d’Alembert, le linge était étendu à plat sur un pré, arrosé à plusieurs reprises avec un arrosoir de jardinier et retourné deux ou trois foissens dessus dessous. Pendant trois jours, le soleil et l’eau achevaient « de lui donner un lustre et un blanc très parfait ».

 

Lorsque le linge était étendu sur des cordes, en plein vent, il était fixé par des pinces à linge qui n’étaient, avant les pinces à ressort, que de simples fourches de bois taillé ; si la corde fléchissait, on la relevait à l’aide de perches en bois fourchues.

 

Lavoirs

 

Le lieu emblématique de la lavandière est sans aucun doute le lavoir.

 

On assiste au XIXème siècle à une prise de conscience collective des exigences de salubrité publique et d’hygiène élémentaire. Dans les villes, cette prise de conscience se caractérise par l’éloignement des cimetières, l’élargissement des rues et la construction de lavoirs municipaux. Les lavoirs sont alors des espaces publics créés par les municipalités, mais aussi par les industriels paternalistes.

 

Le gouvernement vote le 3 décembre 1851 un crédit de 600000 francs pour aider les communes à « la création d’établissements de bains et lavoirs au profit des classes laborieuses ». Le lavoir devient alors le nouveau temple de la propreté, à la gloire de chaque commune, au même titre que la nouvelle école et la mairie. Haut lieu de l’hygiène nationale par laquelle passe à l’époque forcément la force de la Patrie.

 

Le lavoir n’est pas seulement un bâtiment où la femme lave son linge, c’est également un endroit rempli de vie, de bruit et de cancans…

 
     
 

Lavandiere à La Haye Pesnel, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Lavandiere Brévillaise, collection CPA LPM 1900

 
                   
 

Traditions, rites et superstitions

 

Les croyances populaireset les interdits entourant la lessive appartiennent au folklore, chaque région a développé ses propres légendes comme un moyen de se prévenir des femmes qui lavent. Les interdits varient d’une région à l’autre, mais le risque de bafouer l’interdit reste le même : il en va de la vie de la laveuse ou de celui dont elle lave le linge.

 

Le calendrier des lessives était entouré d’interdits tant liés à la religion qu’au cycle biologique de la femme. La présence d’une femme qui vient d’accoucher empêche le linge de blanchir ; dans les Vosges, il faut éloigner le cuvier le plus possible d’une femme enceinte pour éviter qu’elle perde son enfant.

 

On ne lessivait pas le « jour du Seigneur » ; ni le vendredi en Bretagne. En Touraine, on ne lessivait pas le dimanche, pas le vendredi (malheur). « Qui coule la lessive le vendredi, veut la mort de son mari ! » disait-on à Egriselles-le-Bocage et dans de nombreuses communes.

 

On ne lavait pas une semaine de communion solennelle, aux Quatre temps, et encore n’importe quel samedi de l’année, de crainte de provoquer le décès de l’un des chefs de famille ou au moins une maladie grave pour l’un d’eux. Ainsi disait-on en patois dans la région de Montbéliard : « Laver la lessive le samedi – C’est raccourcir la vie du mari – laver la semaine de l’Ascension – tire la bière du maître d’la maison »

 

L’interdiction de faire la lessive en mai était moins répandue que l’interdiction des mariages, elle n’était valable le plus souvent que pendant les trois jours des Rogations (présage de mort dans le Limousin et dans l’Yonne) et, parfois, à l’Ascension (Franche-Comté).

 
     
 

Lavoir des fontaines Carentan, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Elle entraînait la mort pendant les deux semaines précédant Pâques en Sologne, dans la semaine qui précède Noël, ou dans l’intervalle qui sépare Noël du jour de l’an. Presque partout, il ne fallait pas faire la lessive pendant la Semaine Sainte, ce serait, disait-on par endroits, lessiver le linceul d’un membre de la famille ou du maître de maison. On ne devait pas faire la lessive au Carnaval ou pendant le Carême ; pourtant c’est le jour de Mardi-gras qu’il fallait faire de grosse lessives et, pendant qu’elle bouillait, les hommes devaient réparer les chemins et faire d’autres corvées.

 

Pour la Toussaint et le jour des morts, parfois même pendant tous le mois de novembre, on ne devait pas faire la lessive parce qu’anciennement les morts étaient enveloppés d’un linceul.

 

Beaucoup de légendes concernaient l’acte de lavage. Une mort prochaine ou celle d’un proche était annoncée à la lavandière dont le drap refusait de s’enfoncer dans le lavoir (Languedoc). Même présage dans le pays de Montbéliard, lorsqu’un drap n’était pas imbibé, lorsqu’un drap plongé dans la lessive s’entêtait à ne pas disparaître complètement ou qu’une lessive coulée était trouvée dans le cuvier.

 

De nombreuses légendes visaient directement les laveuses. Ces lavandières, fées, dames blanches étaient parfois maléfiques parfois bénéfiques, elles hantaient les lavoirs et les fontaines. L’une des superstitions les plus fortes était celle des dames blanches ou lavandières de la nuit, dont G. Sand narre la légende lugubre dans Légende Rustique : « on entend pendant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandières fantastiques (…) les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides, elles battent et tordent incessamment quelques objets qui ressemblent à du linge mouillé, mais qui vu de près, n’est qu’un cadavre d’enfant. »

 

En Alsace, le Carême était personnifié par une petite bonne femme appelée Fronfaster-Weibehen. Elle empêchait de faire la lessive pendant Carême (Bischoffsheim). Si on enfreignait cet interdit, elle rendait malheureuse toute l’année. Pour empêcher cette bonne femme d’entrer, on attachait une fourchette à un bâton qu’on mettait dans le coin de la porte. Elle se piquait et s’en allait.

 

On disait aussi qu’il ne fallait pas faire la lessive sous le signe de la Vierge parce que le linge se couvrirait de poux… Quant aux lavandières, éclabousser son tablier plus que de raison était signe qu’elles épouseraient un ivrogne ; chanter au lavoir, qu’elles auraient un mari fou !

 
     
 

Lavandiere Normande, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Les ustensiles de la lavandiere

 

La brouette : Il fallait faire trois voyages ou plus dans la journée (parfois plusieurs kilomètres pour aller au lavoir du pays) pour pouvoir emmener les corbeilles de linge sale, le coffre, le battoir, parfois la planche à laver, et naturellement le savon et la brosse.

 

Le coffre : on l’appelle aussi le cabasson, ou boîte à laver, souvent aussi le carrosse (ou parfois caisse, auget…). Renforcé avec des chiffons ou de la paille, et calé au bord de la pierre à laver, il permettait à la lavandière de se mettre à genoux.

 

Le battoir à linge : on l’appelle plus communément le tapoir, en patois  La lavandière mettait le linge en boule et « tapait » dessus avec une grande énergie : elles

tapoueillaient !

 

La planche à laver : on l’utilisait lorsqu’on lavait à la rivière ou à la fontaine : elle remplaçait la pierre à laver du lavoir.

 

Le chevalet : fabriqué en bois, il permettait de suspendre provisoirement le linge et de le faire égoutter.

 

Le savon : ce savon, qui va naturellement servir à décoller la crasse et à détacher le linge sale, n’est pas n’importe lequel : le gros savon de Marseille, conditionné en forme de gros cube. Jadis, on pouvait également utiliser la saponaire, appelée aussi herbe à foulon (dans certaines régions, les foulons piétinaient – foulaient au pied - la laine dans des bassins), dont les racines ont particularité de faire de la mousse. On l’utilisait en décoction froide. La saponaire est une plante à fleurs violacées qui pousse au printemps au bord de l’eau.

 

La brosse : c’est bien sûr la brosse à chiendent, faite pour qu’aucune tache ne lui résiste.