LEGENDES DE SEINE MARITIME
  BOURG DUN

 
  LE BOUC ET LES CHÈVRES


     
 

Ancienne chapelle de Bourg Dun

 
 
 
 

Léon de VESLY

Légendes et vieilles coutumes (1911)

 

Tout à coup un flot tumultueux de peureuses brebis envahit le carrefour, le pâtre, dont un bâton noueux remplaçait l'antique pedum, ignorait la flûte aux sept roseaux qui réunit les troupeaux. Il se contentait pour mettre fin au désordre, de lancer un guttural "brrr, brrr, brrr !"

 

Au milieu de la geste moutonnière paradait un bouc magnifique, au chef orné de deux cornes immenses. Brusquement, l'animal prit la tête du mouvement, gravit un talus, et toute la bande oviné le suivit. Je m'étonnais de la présence du bouc. Alors mon aimable guide me documenta.

 

Le bouc est le protecteur des troupeaux. Il écarte la maladie. Grâce à lui, jamais une brebis ne succombe. Aussi n'existe-t-il pas de troupeau dans la contrée entière, tant dans les vallées que parmi les longues ondulations du plateau, qui ne possède ce fétiche.

 

D'ailleurs, la chèvre ne peut remplacer son mari dans ce rôle ; le bouc est indispen-sable. Il paraît même que jadis, les paysans faisaient bénir le protecteur du troupeau, mais l'usage s'en est perdu.

 

Le bouc a une autre qualité précieuse : c'est un porte courage. Il rend les brebis cœurues, et, derrière lui, elles savent chasser toute peur.

 

Dès qu'il prend une décision, elles s'élancent résolument à sa suite. Mais, c'est sur les jeunes

agneaux que cette influence est le plus nécessaire. Avec un bouc dans le troupeau, il n'y a pas de dangers que les enfantelets aient le sang tourné en entendant le tonnerre et ne meurent bientôt après la commotion morale.

 

Du reste, cette croyance à l'action heureuse et bienfaisante de l'animal barbu est très florissante dans la région. Même les fermiers qui ne possèdent pas de mouton désirent loger un bouc dans un coin d'une de leurs masures, dans un herbage, pour porter chance aux bêtes de la ferme et favoriser leur élevage. Telle est la coutume.

 

Le site du Bourg-Dun est attesté dès l'époque franque. Au XIè siècle, le village et les terres du Bourg-Dun sont une possession des chanoines de la collégiale de Saint-Quentin-en-Vermandois dans l'Aisne.

 

Bien situé dans l'axe Dieppe-Fécamp, le village bénéficie de la croissance économique de la seconde moitié   du XIIè et du XIIIè siècle. La grande peste de 1348, la guerre de Cent Ans et ses conséquences, notamment l'arrêt des exportations de blé et de toiles, entraînent le déclin progressif des activités du Bourg-Dun.

 

Le XVIè siècle marque un retour de la prospérité de ce village dont les nouveaux possesseurs des terres construisent fermes et manoirs à pans de bois.

 

Après une nouvelle période de difficultés dues aux guerres de Religion qui affectent profondément cette région, le Bourg-Dun, à la fin du XVIIè siècle, devient un actif centre agricole est artisanal, grâce en particulier au travail du lin.

 

Au moment de la Révolution, et jusqu'en 1801, le Bourg-Dun devient chef-lieu de canton.

 

La fin du XIXè siècle correspond pour la commune à un fort ralentissement de l'activité de tissage à domicile. La population diminue rapidement, passant de 1059 habitants en 1876 à 584 en 1901.