| LES MERVEILLEUSES AVENTURES LES BELLES LEGENDES DU MONT SAINT MICHEL Texte de R. Dubard-1948 Un jour, l'évêque fit réunir ses chanoines et leur tint les propos suivants : "Mes très chers frères, le sujet pour lequel je vous ai aujourd'hui fait assembler ici, est pour ce pays tout plein de réjouissances, mais pour moi plein de frayeur et de crainte. "Il y a quelque temps que, m'étant mis, le soir, sur le lit, pour prendre quelque repos, je vis en songe, devant moi, l'archange saint Michel, lequel me dit que je lui édifiasse un temple sur le Mont Tombe, et qu'il voulait là être honoré, ainsi qu'il l'était au Mont-Gargan. M'ayant dit cela, il disparut. "Je m'éveillais soudain et demeurais tout pensif au sujet de cette vision, et, après plusieurs hésitations, je conclus ne pas devoir croire à cette révélation qui, pensais-je, pouvait être le jeu de quelque illusion. "Quelques jours s'étant écoulés, le même archange m'apparut comme auparavant, mais d'un maintien plus sévère, me disant que sa volonté était que je lui fisse bâtir un temple au lieu qu'il m'avait désigné la première fois, et que je devais lui obéir sans tant de délais. "Ces paroles m'émurent grandement, et je ne pus reposer le reste de la nuit. Je me mis donc à prier Dieu et à le supplier qu'il permit que je fus trompé, mais que, si c'était sa volonté que je fis ce qui m'avait été révélé, il me fit connaître son désir plus clairement, puisqu'il nous enseignait par son apôtre saint Jean d'éprouver les esprits, pour savoir s'ils étaient de Dieu. | | | | | | "Et, ne me contentant pas de prier plus fermement sa divine Majesté à ce sujet, je commençais à jeûner et veiller plus que de coutume et à secourir les pauvres avec un soin très particulier, ainsi que vous avez pu voir, ces jours passés, espérant que, par le moyen de leurs prières, j'obtiendrais ce dont mes péchés me rendaient indigne. "Enfin, hier, m'étant couché, j'eus beaucoup de peine à m'endormir, la pensée de ces visions me venant toujours à l'esprit, néanmoins, à la fin, la lassitude du corps assoupit tous mes sens. "Etant ainsi endormi, voici que je vis cet archange, qui me reprit très aigrement de mon incrédulité et me blâmant d'être trop tardif à croire, me donna un coup de doigt sur la tête, dont vous voyez la marque. | | | | "Alors, tout tremblant de peur, je lui demandais à quel endroit du Mont-Tombe il désirait qu'on lui érigea cet oratoire. « Il me dit qu'il voulait que ce fut au lieu où je trouverai un taureau lié, qu'un larron a dérobé depuis quelque temps et caché en ce Mont, attendant l'occasion de le pouvoir mener au loin pour le vendre, et il m'a engagé de le rendre à celui auquel il appartient. Quant à ce qui touche la grandeur de l'oratoire, il m'a dit que ce serait tout l'espace que je trouverai foulé par les pieds du taureau." Ces paroles du saint Evêque n'éveillaient aucun doute dans l'esprit des assistants, et de plus ils voyaient, en sa tête, le trou que l'archange lui avait fait, ce qui était une preuve très certaine de la véracité de son récit. Car chacun savait qu'il n'avait auparavant ce trou, et qu'humainement il n'aurait pu vivre avec une blessure semblable, ce qu'il fit cependant et pendant encore quinze années. Tous étaient prêts, avec joie à suivre leur pasteur, jusqu'au lieu choisi par l'ange et ils avaient hâte de contempler cette place tant aimée de saint Michel. Ils se mirent en route, chantant des hymnes et des cantiques, et le peuple, mis au courant de la vision du saint Evêque, s'était joint à eux et saint Aubert au milieu de tous était ravi en Dieu, et le bénissait d'avoir donné à la France et par particulièrement à son pays de Neustrie, qui est la Normandie d'aujourd'hui, saint Michel pour défenseur. | | | Ayant ainsi cheminé trois heures par des chemins âpres et raboteux (ce qui prouverait que la mer n'était pas encore parvenue au rocher, et n'avait pas encore réduit en grève tout le grand espace compris entre celui-ci et Avranches), ils arrivèrent au pied du Mont. Tous firent place à saint Aubert, qui monta le premier. Arrivé au sommet, il trouva ce que l'archange lui avait dit.
Le taureau longuement attaché pour qu'il puisse trouver sa nourriture fut emmené pour être rendu à son propriétaire. L'espace foulé fut trouvé humecté d'une forte rosée qui en précisait la forme. L'archange avait voulu par ce miracle affirmer de nouveau son désir. Sans plus attendre, saint Aubert bénit l'emplacement que devait occuper le sanctuaire. | |