LES MOULINS DU CLOS COTENTIN   -10/13
         
 

Les moulins à pivot tournant ou moulins turquois

 

Le second type de moulins à vent attesté en Cotentin appartient au genre plus original et circonscrit à l’Ouest du moulin à pivot tournant. Dit aussi « massier » ou « masse » avant que ce mot ne désigne aussi les moulins-tours, et surtout « moulin turquois » en raison, proba-blement, de l’analogie avec les carquois ou turquois en ancien français, il se distingue du moulin-tour par sa partie orientable, à savoir toute la chambre de mouture, mais diffère à la fois des moulins à pivot fixe ou « chande-liers » de la moitié nord de la France et des minuscules moulins d’Ouessant et du Cap Si-zun par son pivot mobile solidaire de la cabine et planté dans une pile maçonnée dont le con-duit va en se rétrécissant. La pointe de cet axe orientable au moyen d’une échelle-queue commune aux types à cabine, pivotait dans une crapaudine en fonte logée dans une pou-tre transversale insérée dans des niches ou soupiraux latéraux. Une porte basse unique en permettait la maintenance.

 

L’apport d’une photographie inédite

 
     
 

Jusqu’à ce que la découverte d’une carte postale ancienne [31] figurant les « restes du moulin à vent de Chef-du-Pont » (fig. n°13), disparus dans les années 1970, vienne éclairer d’un jour nouveau la compréhension de cette singulière « architecture-machine » [32], la partie supé-rieure de ces installations, faute de vestiges et d’iconographie suffisants, restait méconnue et ses essais de restitution hypothétiques [33]. En effet, posée sur le dernier niveau, cer-tainement en bauge [34], d’une tourelle de proportions comparables à celles subsistantes et soigneusement appareillée, la cage du moulin s’avère, même sans garanties formelles de représentativité, riche de précieux enseignements.

 

Au premier chef, coiffée d’une bâtière couverte de chaume ou de bardeaux, elle présente un volume et une surface jusqu’alors insoupçonnés, offrant un débord suffisant pour résoudre le problème du monte-sac, réputé déterminant dans l’abandon des turquois. Sa cage évoque ainsi à la fois, par sa silhouette, la hucherolle (cabine portant le mécanisme moteur) cubique des moulins-caviers de l’Anjou perchée au sommet du massereau, fût tronconique construit sur une salle de mouture en rez-de-chaussée ou enterrée, le cavier ou masse, mais aussi, plus par sa fonction que par ses proportions, celle de certains moulins-chandeliers parmi les plus trapus.

 

 

Fig. 13  « Chef-du-Pont

- Les restes du Moulin à vent », carte postale, Ed. M. Mouchel, début XXe siècle. A.D. de la Manche (6Fi-127.017) © A.D. de la Manche

 
         
 

 

 NOTES

 

31 - Je tiens ici à exprimer ma profonde gratitude à M. Jean-Michel Bouvris, archiviste aux Archives départementales de la Manche, qui m’a généreusement signalé l’existence de ce document inédit.

32 - Selon l’heureuse formule élaborée et développée par Claude Rivals dans Le Moulin et le meunier, mille ans de meunerie en France et en Europe, vol. 1, Une technique et un métier, Roques-sur-Garonne : Empreintes, 2000.

33 - Bruggeman, Jean. Moulins, Maîtres des eaux, maîtres des vents. Paris : Desclée de Brouwer, (coll. Remparts), 2000, p. 87. Rivals, Claude. Le Moulin et le meunier, mille ans de meunerie en France et en Europe, vol. 1, Une technique et un métier, Roques-sur-Garonne : Empreintes, 2000, note 19, p. 61-62 ; Le Moulin à vent et le meunier dans la société française traditionnelle, Ivry : SERG, 1976. Homualk de Lille, Charles. Les Moulins de l’Ouest. Moulins des collines, des rivières et de l’océan. Fromentine : éd. Vieux Chouan, 1987, p. 27 ; ou encore Guilbaud, Jean. Au Temps des moulins à vent. Saint-Cyr-sur-Loire : éd. Alan Sutton, (coll. Mémoire en Images), 2004, p. 9-10, ne consacrent guère que quelques lignes aux turquois, sans renouveler la description proposée (voir note 37) par Elie Auriault, précurseur de leur étude, dans Un méconnu : le moulin à vent à pivot tournant, dit « turquois ». Moulins de France, automne 1976, n°2, p.1-10.

34 - Le recours à la bauge, matériau populaire localement, s’expliquerait ici aisément par sa résistance mécanique mais surtout par le fait que, polie et compactée par les frottements répétés du pivot, la terre crue devait enserrer parfaitement celui-ci, sans l’abîmer ni entraver sa giration.