BAIN DE MER
   
  HISTOIRE DES BAINS DE MER
         
 
 
 

Affiche feroviaire pour les bains de mer à Granville, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Marius DUJARDIN

H.E.C., Directeur. Honoraire du Crédit Lyonnais.

 

Histoire des Bains de Mer 1954

 

La mode des bains de mer est relativement récente. Antérieurement au XIXe siècle, les bains dans la mer ne semblent guère avoir été pratiqués sauf dans les cas exceptionnels où certains médecins les prescrivaient pour tenter d'atténuer ou de guérir des maux rebelles aux médication habituelles. S'il faut en croire Madame de Sévigné on considérait au XVIIe siècle que les bains de mer pouvaient être efficaces  contre la rage du corps et de l'esprit  ; vers 1730, il y avait à Dieppe une maison de santé où l'on soignait par cette méthode des gens devenus fous à la suite de l'effondrement du système de Law : on conduisait les malades en pleine mer et on les jetait à l'eau attachés avec unie corde procédé, étrange dont nous ne savons pas si on  obtenait souvent de bons résultats.

 
         
 

En 1812, Dieppe s'enorgueillissait d'un établissement de bains où l'on pouvait prendre des bains d'eau de mer à tous degrés de température et où, lorsqu'on voulait se baigner dans la mer même, on trouvait des tentes pour S'y déshabiller et des guides  très sûrs pour conduire et soutenir les baigneurs.

 

Pendant, la première moitié du XIXe siècle c'est principalement pour des motifs d'ordre médical ,que des baigneurs se trempaient dans l'onde amère ; non sans prendre maintes précautions dont nous trouvons l'exposé dans un curieux ouvrage d'un médecin normand, le Docteur J. L COEUR, de Caen (1).

 

 « A son arrivée et avant de faire usage des  bains de mer, il  sera bon que le malade se repose pendant 2 ou 3 jours  pour s'acclimater avant toutes l'air plus vif du littoral... alors  seulement il commencera à prendre ses bains ; il ri 'y restera  que peu d'instants, vingt minutes s'il les prend chauds en baignoire, trois à quatre minutes s'il les prend frais ; il ne les prendra pas trop rapprochés et pourra laisser un intervalle  d'un jour entre chacun d'eux... Les personnes délicates  devront s'habituer progressivement aux bains de mer, les  prendre d'abord tièdes en baignoire en mélangeant à l'eau de mer de l'eau douce ou une substance émolliente, puis en  abaissant par degrés la température et en diminuant peu à  peu la quantité d'eau douce : le malade pourra alors  supporter le bain à la lame. »

 

Le, Dr, Le Coeur tout, en s'excusant des  nombreuses lacunes de son ouvrage  (celui-ci comporte cependant 872 pages in‑8° !) entre dans le détail des recommandations pratiques, notamment quant aux  vêtements de bain  après avoir déclaré

 

« qu' on peut se servir pour prendre le bain de mer de toute sorte de vêtement, neuf ou vieux, de quelque  étoffe que ce soit , il indique que  pour les baigneurs qui veulent faire les choses confortablement, il existe une sorte de costume (chemise avec pantalon réunis ensemble à la  taille et montés sur une même ceinture de façon à former un tout continu) moins disgracieux et moins grotesque que ces accoutrements souvent fantasques qui, sur les plages un peu fréquentées, font, par leur bizarrerie et leur excentricité,  ressembler le littoral à l'heure du bain au promenoir d'une  maison de fous. »

 

A l'intention des dames et demoiselles, le prévoyant docteur leur, signalé « que le pantalon constitue une pièce indispensable du costume de bain : il est à peu près impossible de se  baigner commodément avec une robe seule quelque longue  qu'elle soit, surtout si elles veulent nager, car le mouvement  incessant de la vague ne tarde pas à la relever et à mettre à découvert des choses que quelques peuples sauvages seuls  n'ont pas encore pris l'habitude de couvrir. »

 

L'auteur ajoute que « depuis quelques années, des fabricants de bonneterie ont fait établir à Caen des gilets ‑ caleçons de bain en tricot, véritables maillots d'une seule pièce, très légers, commodes pour les nageurs et, en même temps,  répondant aux exigences de la pudeur cependant leur ce inconvénient d'accuser un peu trop les formes me fait douter  qu'ils puissent jamais être adoptés comme vêtement de bain  pour les femmes. »

 

Dans un autre chapitre de son Traité, le D" Le Coeur distingue quatre manières pour le baigneur de pénétrer, dans la mer lentement, brusquement, etc. ; il déconseille toutefois la troisième manière, qualifiée  immersion par surprise qu'il décrit comme suit :

 

« Certains baigneurs se font porter  par un guide robuste qui les tient horizontalement sur ses bras, et arrivé au point où l'eau a une profondeur d'environ  80 cm, il les trempe dans la mer une ou deux fois, généralement en commençant par la tête après quoi le sujet est replanté sur ses pieds tout suffoqué, haletant, presque  aveuglé, crachant l'eau salée qui se sera introduite dans sa bouche spasmodiquement ouverte par l'effet du saisissement La mode a consacré cet usage dans presque tous lés établissements de bains de mer, au Havre, à Trouville, à Luc à Royan, etc.. Bien que ce procédé ait la faveur de beaucoup de baigneuses, je le trouve absurde et pitoyable : il ne devrait être employé que pour les malades auxquels il serait spécialement prescrit. »

 
 
       
   
 
       
   
 
       
   
 
         
 

Plus loin, l'auteur consacre un chapitre aux  guides ou sauveteurs  préposés dans les établissements de bains de mer à la surveillance des baigneurs :

 

  « le guide doit atténuer ce que l'entrée dans l'eau peut avoir de pénible pour le baigneur  si la mer est houleuse, il s'interposera entré la lame et son client pour en amortir le choc... Les femmes et  les enfants ne devront jamais s'exposer à là mer sans être surveillés et dirigés par un guide... Il est bon que le guide sache nager, mais je n'en fais pas une condition indispensable pourvu qu'il ait le pied marin et qu'il soit prudent et ferme à la mer. »

 

Le savant médecin estime qu' «on a grand tort de vouloir  prendre plusieurs bains de mer par jour pour qu'une guérison soit solide et durable, il faut qu'elle survienne  graduellement. »

 
         
 

Pour les  étrangers  (à la localité), qui ne peuvent faire qu'un court séjour aux bains de mer, et pour les malades trop faibles ou ayant de l'appréhension pour l'eau froide; le Docteur Le Coeur estime que la cure peut être continuée en faisant boire au malade de l'eau de mer « administrés à  l'intérieur, l'eau de mer est fondante, diurétique, vermifuge  et éminemment purgative... trois verres de 120 grammes  suffixent chez un adulte on peut employer l'eau de mer à  l'intérieur pendant un mois ou six semaines.. »  Mais l'auteur déconseille de faire fermenter du raisin sec dans l'eau dé mer suivant le procédé des anciens, mentionné par PLINE.

 

Nous arrêterons ici les citations de l'ouvrage. du praticien normand qui, dans sa dédicace au Recteur de l'Académie de Caen, indiquait son espoir d' « éveiller l'attention du monde  médical sur un moyen de thérapeutique trop peu étudié et  amener par réaction sur les divers points de notre littoral  plus d'étrangers encore que chaque belle saison 'n'y en  attire d'ordinaire. »

 
 
         
 

En 1850, dans un article de l'Illustration, destiné â vulgariser auprès du grand public l'usage des bains de mer Félix NORMAND insiste encore sur le rôle thérapeutique de ces bains (2)... c'est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle que la notion de cure médicale va progressivement céder la place à celle de divertissement, de repos et de sport, et donner naissance à une vogue qui désormais va s'accroître à un rythme sans cesse accéléré, corrélativement à l'amélioration et à la multiplication des moyens de transport.

 

(1) .Dr J. LE COEUR : Des Bains de Mer, guide médical et hygiénique du baigneur, Caen et Paris, 1846.

(2) L'Illustration, 27 juillet 1850.