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Le Tréport, CPA collection LPM 1900 |
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Vie maritime L’épopée des baleiniers Jérôme Maes «Tréport Magazine».
«Du souffle déborde ton canot, elle est mauvaise cette haleine. Évite la gueule du cachalot, comme la queue de la baleine» (dicton baleinier).
Au tournant de la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, les guerres de Révolution et d’Empire marquent une régression de l’armement baleinier. Avec le retour de la paix en Europe, l’ordonnance royale du 8 février 1816 souligne la volonté de l’État d’encourager le renaissance de l’entreprise baleinière par l’attribution de primes. Par simple attachement aux traditions maritimes locales et au désir de voir se poursuivre la pêche dans les Mers du Nord, Dieppe devient port d’armement baleinier et envoie en expédition au moins sept navires à la poursuite des baleines et des amphibies à lard du tout début du XIXe siècle à 1838. L’armement Le Baron de Dieppe arme en mars 1822 les «Groënlandais», un trois mâts-carré de 271 tonneaux, construit à l’étranger et déjà âgé ; il s’avèrera à l’usage que ce navire est inadapté à ce type d’expédition car il a au plus près du vent autant de dérive que de route. À la différence des expéditions baleinières pour les Mers du Sud, il n’existe pas de système de fonte de la graisse dans les expéditions en mers boréales atlantiques mais elle est découpée et conservée dans des barriques jusqu au retour ; le pont du «Groënlandais» ainsi dégagé du fourneau et du chaudron de fonte sert de lieu de travail à l’équipage pour la préparation des peaux de phoques et de la découpe du lard de la baleine.
Mais nous appréhendons mieux l’activité baleinière du port de Dieppe grâce à un document exceptionnel conservé à la bibliothèque municipale de Dieppe : le journal de bord, manuscrit, du capitaine Nicolas-Victor Fromentin (1793-1876) qui commande le baleinier «Groënlandais» durant les campagnes de 1822 et 1824. C’est ainsi que deux marins tréportais prennent part à l’aventure du baleinier «Gorënlandais» : Jean-Jacques Navelier, né au Tréport le 24 avril 1784, et Aimé Firmin François Lescové, né à Roye (Somme) le 18 mars 1797 et inscrit maritime au syndicat du Tréport.
Avec quarante-six autres hommes dont seize Anglais, ils s’embarquent tous deux le 5 mars 1822 à Dieppe en qualité de matelot à bord de ce baleinier pour sa première campagne phoquière et baleinière ; contrairement aux expéditions baleinières havraises et nantaises pour les Mers du Sud, les expéditions pour les Mers du Nord sont, pour des questions de rentabilité, obligatoirement phoquières puis baleinières. Parti de Dieppe le 10 mars en direction du Spitzberg, le «Groënlandais» entre dans les glaces le 5 avril 1822 et débute la chasse du phoque. Puis se laissant dériver peu à peu vers l’Ouest en direction du Groënland, l’expédition capture sa première baleine le 23 mai 1822. |
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Baleinier Le Jonas Etienne Blandin |
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209 francs de salaire
Exposés au froid, à l’humidité, chassant les cétacés au péril de leur vie, les hommes sont confrontés à des conditions de vies éprouvantes, aussi Jean Navelier trouve en l’alcool un bien mauvais compagnon d’infortune comme en témoigne le capitaine Nicolas-Victor Fromentin le dimanche 30 juin : «À 8 heures après avoir fait la prière j’ai usage de donner un verre d’eau de vie à l’équipage un d’entre eux nommé Navelier qui était ivre et à qui le lieutenant donna aussi un verre d’eau de vie pris le verre et le renversa et en demande un autre. Le lieutenant ne voulut plus lui en donner s’apercevant en ce moment qu’il était ivre. Le nommé Navelier pas content de ce qu’on ne lui donnait point d’eau de vie voulu descendre dans la chambre ce que je lui deffendis expressément. Une demi heure après il eut une petite difficulté avec le lieutenant et lui fit des menaces. Je lui dis aussi de dessendre en bas ou de passer dévant ce qu’il ne fit pas ainsi je demande qu’il soit puni pour cause d’insurboddination». omptabilisant dans la cale la graisse de six baleines et de mille phoques capturés, le capitaine Fromentin décide le 16 juillet de mettre le cap sur Dieppe où le baleinier entre dans le port le 4 août 1822 dans la matinée ; à l’issue de cette campagne, nos deux Tréportais perçoivent chacun pour salaire la somme de 209,36 Francs ce qui reste modeste.
La mort s’invite à bord
«Un pêcheur de baleines est plus qu’unhomme. Saluez-le quand il passera près devous» Jacques Arago, 1838.
Alors qu’Aimé Lescové préfèrera désormais s’embarquer à bord de terre-neuviers dieppois ou fécampois, Jean Navelier renouvelle l’expérience baleinière le 22 mars 1823 en s’embarquant à nouveau à bord du Groënlandais», commandé par le capitaine Louis Morice, à destination des Mers du Nord. L’équipage se monte à quarante-sept hommes dont quinze Anglais. Le baleinier est de retour à Dieppe le 6 août 1823 sans avoir pris aucune baleine, la pêche ayant été nulle. Le 1er mars 1824, Jean Navelier s’embarque à Dieppe à bord du brick «L’Aimable Reine», capitaine Durand, pour la grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve mais il tombe à la mer et se noie le 7 novembre 1824. |
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Harponage d'une baleine |
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Des mousses frappés
Face à l’échec de la campagne de 1823, le capitaine Nicolas-Victor Fromentin reprend en 1824 le commandement du «Groënlandais» pour une nouvelle expédition en direction de l’île de Jan Mayen et du Spitzberg ; cette fois, c’est un jeune Tréportais, Jean François Marie Delépine, né au Tréport le 9 juin 1809, qui s’embarque comme mousse à bord du baleinier qui appareille de Dieppe le 5 mars 1824 avec un équipage de quarante-quatre hommes dont treize Anglais. La chasse du phoque débute le 27 mars lorsque le «Groënlandais» atteint les premières glaces. Mais contraints de cohabiter dans un espace restreint, les caractères s’emportent vite ; ainsi Jean Delépine est témoin le 31 mars de la violence des hommes envers les mousses :
«le maître de pêche c’est permis de fraper en présence de plusieurs matelots français et en différentes reprises, un novice français nommé Mariolle», situation qui se reproduit le 12 avril lorsqu’un officier anglais «s’est permis de fraper un mousse français nommé Dévaux très grièfvément, l’atant fait saigner au nez et l’avoir frapé sur le bras gauche à différentes réprises avec une pêlle en fer, il lui à fait d’après le rapport du chirurgien une contusion àssez forte, les deux autres mousse étaient présent à l’action».
Puis la mort s’invite à bord du baleinier : le matelot danois Christian Bellind décède de phtisie le 5 avril ; espérant pouvoir l’inhumer sur l’île de Jan Mayen, le capitaine fait hisser le cercueil sur la hune de misaine mais il est contraint le 13 avril d’immerger le défunt devant la mauvaise impression des matelots qui montaient à la hune de misaine. Confronté à la mauvaise volonté de la fraction anglaise de l’équipage et enregistrant de mauvais résultats, le capitaine Fromentin écourte cette campagne le 23 juillet pour faire route sur la France ; le «Groënlandais» s’échoue au pied du quai du Pollet le 16 août 1824. Bien qu’il perçoive en 1824 la médiocre solde de 114,25 Francs, Jean Delépine s’embarque à nouveau le 4 mars 1825 toujours en qualité de mousse à bord du «Groënlandais» commandé cette fois par le capitaine Louis-Antoine Guédon (1790-1843) ; la dernière expédition de ce baleinier nous est connue grâce à la relation de Monsieur Nelle de Bréauté (1794-1855) publiée dans les Annales Maritimes et Coloniales. Le 6 mars au matin, à la tête d’un équipage de quarante-huit hommes dont six Anglais, le capitaine Guédon fait voile du port de Dieppe et dirige sa route pour sortir de la Manche par l’Ouest avant de gagner la Mer du Labrador; le baleinier se trouve confronté le 30 mars aux premières glaces dérivantes. Le premier phoque est capturé le 19 avril alors que le capitaine Guédon estime, par ses observations, que son bâtiment se trouve au milieu du détroit de Davis. |
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Abraham Storck - Walvisvangst between 1654 and 1708 |
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Pris par les glaces
Le 28 avril, alors que le «Groënlandais» louvoye au Sud de l’île de Disko, l’équipage reçoit la visite de deux Inuit («êtres humains» en langue kalaallisut) qui abordent le baleinier à bord de leur kayak ; le capitaine obtient de l’un d’eux, pour une bouteille d’eau-de-vie, un exemplaire de cette embarcation équipée et armée. Le 6 mai, les Inuit reviennent plus nombreux pour se livrer avec l’équipage à un commerce d’échange de peaux, vêtements, fourrures, bottes. Au mouillage à l’Est de l’île Disko, l’équipage se trouve dans l’obligation les 23 et 30 mai de scier la glace autour du baleinier pour éviter d’être écrasé, manoeuvre à nouveau effectuée le 4 juillet par 74° de latitude Nord afin de gagner des eaux plus libres.
Fortune de mer
«Avoir fait campagne baleinière, c’est plus que d’avoir fait la guerre», Capitaine Louis Lacroix, 1947.
Poursuivant sa route vers le Nord, le baleinier, positionné à l’entrée du détroit de Lancaster, harponne le 8 août une baleine, le premier des neuf cétacés capturés durant cette expédition. Puis le «Groënlandais» entame une lente descente vers le Sud tout en longeant la côte Est de la terre de Baffin pour gagner la baie de Ponds que le capitaine anglais William Edward Parry (1790-1855) ne pût explorer dans sa totalité en 1820 ; des conditions météorologiques favorables permettent à l’expédition dieppoise de croiser deux jours dans cette baie où le capitaine Guédon découvre une île qu’il nomme Dieppe et s’avance plus avant dans le fond de la baie qui forme détroit, que Monsieur Sébille, second de l’expédition, nomme Détroit de Guédon.
Au cours de ces journées, l’équipage capture quelques baleines. Le 1er octobre, le capitaine Guédon donne le cap pour faire enfin route sur la France. À peine entré dans l’océan Atlantique, le «Groënlandais» essuie une tempête de plusieurs jours qui décide le capitaine Guédon à relâcher à Brest où le baleinier mouille sur rade le 19 octobre.
Après un mois de réparation des avaries dans le gréement et sur le soublage de la carène, le bâtiment quitte Brest le 22 novembre pour enfin rejoindre Dieppe où il s’échoue accidentellement le 28 novembre 1825 sur le Poulier à l’Est de la jetée du Pollet : la cargaison qui consiste en 90 quintaux d’huile de baleine est rapidement débarquée mais le «Groënlandais» ne peut être relevé et se trouve totalement brisé. Le novice Jean Delépine débarque à Dieppe le 28 novembre 1825 avec la somme de 220 Francs pour solde de tout compte. Il ressort de cette expédition de 1825 que le capitaine Louis-Antoine Guédon a mis à profit la campagne baleinière pour explorer et reconnaître de nouveaux territoires ; cette exploration des côtes arctiques lui valut le titre de Chevalier de la Légion d’Honneur en août 1826. |
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Walfang zwischen 1856 und 1907 |
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À l’issue de cette expédition, Jean Delépine s’embarque régulièrement en 1827, 1828 et 1829 pour la grande pêche sur les bancs de terre-Neuve. Il revient à la pêche baleinière en 1830 et s’embarque le 5 avril à Dieppe en qualité de matelot à bord du baleinier de l’armement Michau et Vasse «Ville de Dieppe», commandé par le capitaine Jules Masset. Le «Ville de Dieppe» met alors le cap sur le détroit de Davis mais ne reviendra pas de ces parages où il sera écrasé le 25 juin 1830 par les glaces en baie de Baffin comme dix-sept autres navires.
Loin d’être découragé par cette fortune de mer, le matelot Jean Delépine pose à nouveau en 1831 son sac à bord du baleinier dieppois «Mademoiselle», trois-mâts de 471 tonneaux. Sous le commandement du capitaine Louis-Antoine Guédon, le «Mademoiselle» quitte Dieppe le 15 mars 1831 et sillonne les eaux du Détroit de Davis mais rentrera avec si peu de prises, quelques peaux de phoques et deux peaux d’ours, qu’il sera définitivement désarmé à son retour le 20 octobre 1831.
Âgé de seulement 23 ans et célibataire, Jean Delépine décède au Tréport le 17 octobre 1832 à son domicile près de l’hôtel-de-ville ; Aimé Lescové décède onze ans plus tard le 22 mars 1844 au Tréport. À l’issue d’une carrière vouée à la navigation dans les Mers du Nord, le capitaine Louis-Antoine Guédon est nommé Syndic des gens de mer au Tréport à compter du 15 avril 1836 ; il décède au Tréport le 19 mars 1843 alors qu’il exerce la fonction de lieutenant du port.
En conclusion, nous remarquerons qu’il semble que ces hommes n’aient pas été conquis par la vie à bord des baleiniers et ne recherchent pas, par la suite, systématiquement un embarquement sur ce type de navire mais préfèrent s’engager à bord de terreneuviers ou de caboteurs ; les mauvais résultats des campagnes baleinières et les salaires modestes peuvent expliquer ce manque de motivation. Enfin il apparaît que les problèmes relationnels viennent, le plus souvent, de la fraction anglaise des équipages qui met peu de coeur à l’ouvrage et se montre arrogante envers les matelots français.
Jérôme Maes |
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Le Tréport CPA collection LPM 1900 |
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Le Tréport CPA collection LPM 1900 |
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