LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Celle qu'on a gâtéee... -Juin 1914
         
 

N'aimez pas, ô jeunes gens, les jeunes filles trop aimées ! J'entends par là, non celles qu'entoure une cour de soupirante, mais tout bonnement celles que leurs père et mère ont couvées depuis leur enfance et chéries avec des soins de chaque ins­tant.

Les jeunes filles trop aimées sont des plantes de serre prospérant seulement à la quiète chaleur du foyer maternel. Elles y ont connu la prévenance guettant le désir, la satisfaction de tous les caprices, l'ad­miration intarissable de l'entourage fami­lier. Elles se sont développées dans la câ­linerie ambiante. Elles savent tout de leurs qualités et rien de leurs défauts. Elles sont faites à la température de dix-huit degrés fixe. Mettez-les dans la vie : gare à la transplantation !

Aurez-vous, Monsieur l'amoureux, assez d'égalité de coeur pour ne point décevoir cette petite merveille ?... Oui, affirmez-­vous ! Peste, vous êtes donc vous-même un homme bien parfait !... Vous n'avez jamais de saute d'humeur !... Non plus, je vous admire !... Mais si vos affaires pé­riclitent et que votre future femme décou­vre des tribulations dont on ne l'a jamais laissée se douter ?...

 

SAGERS 1910 Paris la nuit

 
 
 
 

Voilà bien des com­plications additionnées, n'est-ce pas, et qui existent à un degré infiniment moindre chez les natures dorées d'une éducation plus fruste.

Forcement, en effet, la jeune fille choyée exagérément aura des exigences.

 

Elle sera susceptible, égoïste peut-être. Elle n'est pas habituée aux refus ni aux bourrasques. Le premier petit mot pointu (vous savez qu'en ménage il est bien difficile d'éviter par ci par là un petit mot pointu), et !es larmes indignées montent aux jolis yeux :

- Oh, Jean, comme tu me parles !

Autre danger : Papa et maman (ah ! ils ne se trompent pas. ceux-là !) recevront pro­ablement la confidence : - Monsieur mon gendre, prendre ce ton avec une enfant si douce, que nous avons élevée si délica­tement !

- Mais sapristi, ronchonnerez-vous en dedans, je ne lui ai rien dit, moi, à leur fille !... Ta, ta, ta ! Avec « leur fille », il faut compter que l'amour, le respect, le dévouement et toutes les qualités connues et inconnues exigées d'un brave garçon comme vous l'êtes doivent être multipliées par dix.

Une jeune fille trop aimée, c'est un ob­jet de vitrine. Regardez, n'y touchez pas  !