HISTOIRE DE REGIMENT
  L'EMPEREUR ET SES ECRITS
         
 

L'Empereur et le travail administratif.

Claude-François Méneval,

napoleonprisonnier.com

Mémoires pour servir à l'histoire

de Napoléon Ier, 1844-1845.


Napoléon ne dictait qu'en marchant. Il commençait quelquefois étant assis, mais à la première phrase il se levait. Il se mettait à marcher dans la pièce où il se trouvait, et la parcourait dans sa longueur. Cette promenade durait pendant tout le temps de sa dictée. A mesure qu'il entrait dans son sujet, il éprouvait une espèce de tic qui consistait, dans un mouvement du bras droit, qu'il tordait en tirant avec la main le parement de la manche de son habit. Du reste, son débit n'était pas précipité par ce mouvement ; sa marche était également lente et mesurée.

 

 Les expressions se présentaient sans effort pour rendre sa pensée. Si elles étaient quelquefois incorrectes, ces incorrections mêmes ajoutaient à leur énergie et peignaient toujours merveilleusement à l'esprit ce qu'il voulait dire.

 

Napoléon à Waterloo

 
         
 

Ces imperfections n'étaient cependant pas inhérentes à sa manière d'écrire ; elles échappaient plutôt à la chaleur de l'improvisation.

 

 Elles étaient rares et ne subsistaient que quand la nécessité d'expédier sur-le-champ la dépêche ne permettait pas de les faire disparaître dans la copie. Dans ses discours au Sénat ou au Corps législatif, dans ses proclamations, dans ses lettres aux souverains, dans les notes diplomatiques, le style était soigné et approprié au sujet.

 

 Napoléon écrivait rarement lui-même. Écrire était pour lui une fatigue ; sa main ne pouvait suivre la rapidité de sa conception. Il ne prenait la plume que quand, par hasard, il se trouvait seul, et qu'il avait besoin de confier au papier le premier jet d'une idée ; mais après quelques lignes, il s'arrêtait et jetait la plume. Il sortait alors pour faire appeler son secrétaire, ou le général Duroc, selon la spécialité du travail dont il s'occupait.

 

 Son écriture était un assemblage de caractères sans liaison et indéchiffrables. La moitié des lettres manquaient aux mots. Il ne pouvait se relire, ou il ne voulait pas en prendre la peine.

 L'orthographe de son écriture était incorrecte, quoiqu'il sût bien en reprendre les fautes dans l'écriture des autres. C'était une négligence passée en habitude ; il ne voulait pas que l'attention qu'il aurait donnée à l'orthographe pût brouiller ou rompre le fil de ses idées.

 

 Dans les chiffres, dont l'exactitude est absolue et positive, Napoléon commettait aussi des erreurs. Il aurait pu résoudre les problèmes de mathématiques les plus compliqués, et il a fait rarement une addition juste.

 

 Il est vrai de dire que ces erreurs n'étaient pas toujours commises sans dessein. Par exemple, dans le calcul du nombre d'hommes qui devait composer ses bataillons, ses régiments ou ses divisions, il enflait toujours le résumé total, car il jugeait nécessaire de donner le change sur la force de ces corps. Quelque représentation qu'on lui fît, il repoussait l'évidence et persistait opiniâtrement dans son erreur volontaire de calcul.

 

 Ses billets étaient en général exempts de fautes d'orthographe, excepté dans les mots où ces fautes se représentaient invariablement. Il écrivait par exemple, cabinet, Caffarelli, gabinet, Gaffarelli, afin que, enfin que, infanterie, enfanterie.

 

 Les premiers mots sont évidemment des réminiscences de sa langue maternelle, les seules qui lui soient restées de sa première enfance ; les autres, enfin que, enfanterie, n'ont pas d'analogie avec la langue italienne. Il parlait mal cette langue, et évitait les occasions de la parler. Il ne s'y résignait qu'avec des Italiens qui ne parlaient pas le français.

 

 Son langage était un français italianisé, avec des terminaisons en i, en o, en a.