Trois rois de leurs domiciles Viennent adorer l'enfant. Et de leurs mains libérales Lui donnent or, myrrhe, encens. Trois rois de haut parage, D'étrange région, Lui vinrent faire hommage En grande oblation. Une étoile les conduisait Qui venait devers Orient, Qui à l'un et l'autre montrait Le chemin droit en Bethléem.
Et cet autre : BALTHAZAR Qui vous émeut, ô princes ! De quitter vos pays, De laisser vos provinces A demi ébahis ? GASPARD Avez-vous quelque augure, D'une chose future, Qui vous met en émoi Aussi bien comme moi ? Pour moi, dans ma contrée Et de jour et de nuit, S'est vue et remontrée Une étoile qui luit, Qui biaisant sa course, Ne va point comme l'ourse Qui fait voir à nos yeux Qu'elle n'est dans les cieux. MELCHIOR Son rayon s'épandit, Que sans nuage ou voile J'avise à cette étoile A l'endroit plus luisant La forme d'un enfant. BALTHAZAR La chose est très certaine ; Et c'est elle vraiment ; Nous voilà hors de peine Par votre enseignement. Et me vient une idée, Que c'est en la Judée, Parmi ce peuple hébreu, Que doit naître ce Dieu. GASPARD L'étoile non pareille, Qui chemine dans l'air Pour voir cette merveille, Semble nous appeler. Donc, princes débonnaires, Prenons nos dromadaires, Et courons vitement Voir cet événement. MELCHIOR
Sus donc en diligence, Car ne voyez-vous pas Que l'étoile en cadence Nous mesure nos pas ? Courons à toute bride, Le grand flambeau nous guide Et encor conduira Tout juste où il faudra. Telles étaient les rimes naïves et incorrectes que nos pères débitaient sans façon à la table de famille, en se partageant ce jour-là le gâteau des rois. Et autour de ce gâteau, que d'attentes curieuses, que d'exclama- tions, que de battements de mains joyeux, quand le roi de la fève, élu par le sort, se faisait enfin connaître, et quand cette majesté d'un soir portait son verre à ses lèvres : Le roi boit ! La reine boit ! Heureuse royauté ! La seule peut-être à qui soient inconnus les soucis, les douleurs, les fatigues, l'ingratitude, l'adversité ! Aussi l'ai-je aperçue, Comme vous l'avez dit, Et si bien dans ma vue En Provence, où rien ne se fait froidement comme ailleurs, la tradition a conservé à cette fête une forme toute pittoresque. Il y a surtout une petite ville, nommée Trats, qui mérite que nous nous y attardions. Peu connue aujourd'hui, elle fut importante autrefois. Au XIXe siècle encore, ses rues étroites et mal bâties s'animent pourtant singulièrement quand vient la fête des Rois. Dès la veille les jeunes gens se réunissent pour aller au-devant des trois mages. Ils portent sur la tête des corbeilles de fruits secs. Cela se comprend en Provence et à cette époque de l'année. Une chapelle consacrée à saint Roch se trouve en dehors de la ville : c'est le but du pèlerinage. A la chapelle sont trois personnages revêtus du costume oriental. Un orateur les complimente ; pour la peine, il reçoit d'eux des corbeilles et une bourse pleine de jetons. Notre discoureur n'a pas plus tôt entre les mains le prix accordé à son éloquence, qu'au lieu de partager, il se sauve à toutes jambes avec son butin. Mais ce n'est que pour la forme ; car ses camarades se mettent à sa poursuite en formant une falandoule, c'est-à-dire une chaîne de danseurs. On rentre ainsi en ville ; il est convenu que malgré l'agilité du fugitif, il finit toujours par être enlacé dans les anneaux de la chaîne qui le poursuit sans relâche. Danses, jeux, repas de famille restent pour le lendemain. |
| Adoration des mages Peinture de Jan Cornelisz Vermeyen |