LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Le "Petit Jeune Homme" -Juin 1913
         
 

Du moment où le petit jeune homme atteint seize ou dix-sept ans, il lui pousse une nouvelle ambition : devenir tout à fait un homme en se débarrassant du réseau de sollicitude que la tendresse maternelle a tenu jusqu'à présent fermé autour de lui.

L'évolution se trahit à des signes caractéristiques : le petit jeune homme mue en timbre de voix et en soupçon de moustaches ; souvent il fait le beau devant les filles ; toujours il se rend très malade à vouloir fumer le cigare ; plus rarement, il tranche, vis-à-vis son père et sa mère, du Monsieur à qui on ne la fait plus ; enfin il multiplie les effort, pur s'évader de la surveillance paternelle, sortir seul, rentrer tard.

Deux écoles se disputent le privilège de la meilleure méthode éducative, en pareille conjoncture.

Il y a les libéraux :

- Bast ! laissez donc courir... Il faut bien que jeunesse se passe, n'est-ce pas ? Rien n'assagit mieux un jeune homme que de lui permettre de jeter sa gourme !

 

Leonnec

 
 
 
 

 Et il y a les rigoristes :

- Seigneur, écartez de mon fils les dangers du monde ! Qu'il demeure, fût-ce par la force, attaché au giron, en dehors duquel on n'a vu que trop d'ingénuités surprises, de vertus chavirer !

A mon sens, chacun a raison et chacun a tort. Cela dépend essentiellement du sujet à qui on a affaire.

Voici, par exemple, le type très fréquent du petit jeune homme efféminé, timide, voué, par une probable erreur d'éducation initiale, à certaine absence d'expansion confinant au manque de franchise. Craignant trop ses parents, il entre sournoisement dans l'âge difficile, se trahit peu, lit en cachette des romans subversifs, est petit-saint devant, petit-maître derrière.

 

Si vous ne le débridez pas, gare la casse ! Le jour (qui viendra tôt ou tard) où la majorité à moins que ce ne soit toute autre circonstance, le libérera, il ne connaitra plus aucune mesure. Vous serez stupéfaits de voir votre brebis se métamorphoser en bouc, donnant, tête baissée, dans les aventures les plus stupides, les extravagances les plus irraisonnées. Qu'il soit riche ou pauvre, il mesurera ses désordres à la seule limite de sa fringale :mauvais chemin, croyez-m'en.

Voilà, au contraire, un jouvenceau déluré, gâté sans cloute, qui n'a jamais senti le besoin de dissimuler ses caprices, et qui, l'âge venu, professe catégoriquement ses aspirations aux plaisirs du monde, voire du demi-monde.

 

Freinez  à la descente !... Le gaillard reviendrait sans doute plus tôt et moins perclus que son camarade de l'autre mentalité, mais souvenez-vous que faute de l'autorité paternelle susceptible d'arrêter son élan, il va vous faire de l'emballage : système excellent pour se casser le col.

 

La règle, selon moi, devrait être celle-ci :

Lorsque l'enfant tourne à l'homme, commencer d'abord par le traiter virilement. Lui parler comme à un homme. Le conduire, si possible, dans les théâtres, dans les musées. Provoquer ses questions sur toutes choses et se faire insensiblement son initiateur. Lui choisir soi-même des romans de transition et l'inciter à la lecture des journaux, qui orientera son esprit, généralement affamé, vers des sujets usuels. Ne pas craindre la fréquentation du café, de temps à autre. Un mien ami enivre un jour lui-même, volontairement, son propre fils, en lui faisant boire un amer quelconque et une absinthe. Le petit malheureux en a conservé un tel souvenir qu'il est assurément guéri des apéritifs pour le reste de sa vie. Sort-il le soir ? Exiger qu'il en prévienne et disposer les choses de le sorte que l'on sache à quelle heure il sera rentré ; mais ne jamais s'inquiéter pourquoi il sort ni où il va.

 

Les parents timorés estimeront sans doute ce système trop nouveau jeu. Je le tiens, moi, pour le seul susceptible d'ouvrir les veux de l'enfant à l a vraie lumière et de lui éclairer la voie droite.