L'ATTELAGE DES CHIENS EN FRANCE 6
 

CPA Collection LPM 1900

 

La charge, lorsqu'il s'agit de charrettes à deux roues, devra être bien équilibrée, ne pas dépasser, en certains départements, 70 kg, voiture comprise, n'être pas, dans le département du Nord, supérieur à 50 kg lorsque le chien est attelé entre brancard et 250 kg dans les autres cas. Le préfet d'Eure-et-Loir avait même précisé que « le poids total du ou des chiens ne pouvait être inférieur au tiers du poids de la charge totale à véhiculer ».

 

Enfin l'attelage pourra être effectué à des brouettes ou à des voitures à bras. Celles-ci devront être munies de crochets d'attache pour les traits placés de manière à ce que les chiens ne puissent s'engager sous les roues ou être blessés par elles mais leur permettre de se coucher ou se relever au repos. La hauteur de ces véhicules devra être suffisante pour que le dos des animaux ne soit pas heurté, il y aura un frein et des supports basculants.

 

Le passage de l'interdiction à la réglementation ne s'effectua pas toujours sans des oppositions entre administrés et administrateurs. D'une manière générale les préfets auraient opté plus volontiers pour l'interdiction, sous toutes ses formes, alors que les populations et les conseillers généraux les représentant étaient pour la tolérance ou à défaut la réglementation. Il ne faut pas se dissimuler cependant que bien des arrêtés d'interdiction restèrent peu ou pas appliqués. Nous en avons rencontré maints exemples et nous n'en citerons que la Dordogne, le Morbihan où pratiquement l'arrêté même de réglementation de 1911 n'était pas appliqué, pas plus d'ailleurs qu'antérieurement l'arrêté d'interdiction de 1856. Le préfet de ce département n'écrivait-il pas au Commandant de gendarmerie de Vannes, en 1890, pour lui signaler que « les dispositions de cet arrêté semblaient avoir été perdues de vue ». Le préfet d'Indre-et-Loire de son côté répondait, en 1925, au Ministre de l'Intérieur que « pour tenir compte des habitudes invétérées existant parmi la population d'une certaine partie du département » il avait du recommander à la gendarmerie d'appliquer l'arrêté d'interdiction de 1894 « avec modération ». C'est pourquoi il est difficile de connaître dans la réalité l'existence ou l'inexistence des attelages et que là encore des nuances existent entre le pays légal et le pays réel! Les préfets donnent en cette matière d'autres exemples de souplesse en prenant des arrêtés soit d'interdiction, soit de réglementation, puis en agissant en sous-main tant auprès de la gendarmerie que des procureurs de la République, en leur demandant d'user « de tolérance temporaire »! Nous avons relevé des exemples précis en Haute-Saône,en Gironde, en Indre-et-Loire, dans l'Eure, etc., sans compter naturellement les interventions orales, n'ayant pas laissé de trace!

 

Les Conseils généraux à maintes reprises, de leur côté, intervinrent avec d'ailleurs beaucoup de jugement: « Ne vaut-il pas mieux faire travailler les chiens que de laisser s'éreinter les gens », s'écrie un conseiller général du Nord en 1902. Qu'on réglemente l'attelage, que l'on veille au bon équilibre du véhicule, que les brancards soient horizontaux, que les roues soient proportionnelles à la taille du chien, qu'il y ait un frein aux voitures, écrit le Directeur de J'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, E. Barrier, en 1900, au préfet du Loir-et-Cher qui lui avait demandé une consultation, mais à quoi bon « interdire le transport des personnes de telle ou telle catégorie »! Cette idée, qui fut appliquée en Allemagne, était exposée au Conseil général de Seine-et-Marne dans la séance du 28 septembre 1920 sous cette forme très claire : « Nous ne comprendrons guère comment les chiens appartenant à des personnes âgées ou infirmes pourraient seuls être attelés car il n'y a pas à apprécier l'état du propriétaire mais bien celui de l'animal »!

 

Lorsque dans certains départements, tel celui de la Vienne, il fut admis que certaines maladies facilitaient l'octroi des autorisations, il y eut floraison parmi les demandeurs d'emphysème, tachycardie, rhumatismes, arthrite, hernie! Ailleurs on fit valoir en outre d'autres considérations. Une autorisation n'est-elle pas accordée à un cultivateur d'Arbanats (Gironde) atteint de rhumatismes certes, mais « brave homme, un de nos vieux républicains »!

 

De son côté, comme nous avons pu le constater, le Ministère de l'Intérieur était, malgré les sollicitations de la Société protectrice des animaux et de la Ligue protectrice des animaux, favorable à la tolérance ou tout au moins à la réglementation. En 1895, il rappelle à l'ordre le Préfet de la Lozère trop zélé, qui ayant mal interprété un texte, a été amené à prendre un arrêté restrictif. Dans le département de la Marne, à la suite d'une plainte d'un sieur Galley, chiffonnier, à qui une dérogation avait été refusée, le Ministre de l'intérieur demande au préfet d'atténuer son arrêté d'interdiction, « par voie de permissions spéciales et individuelles lorsque l'exercice régulier d'une industrie ou d'une profession utile et la situation des intéressés justifient cette mesure ». Galley, plaignant et vainqueur, obtint son autorisation en 1904, c'est-à-dire l'année suivante mais jusqu'en 1909 on ne l'oublia pas Comme on dit familièrement la gendarmerie l'avait à l'oeil! A chaque fois qu'une infraction, la plus minime soit-elle, pouvait être relevée, un procès-verbal était dressé et la brigade triomphante signalait le fait au Commandant de gendarmerie de Reims, qui adressait la bonne nouvelle au sous-préfet de cet arrondissement qui, à son tour, transmettait à la Préfecture! Bel exemple de rancune administrative

     

CPA Collection LPM 1900