HISTOIRES INSOLITES EN MANCHE

 

 Cherbourg rue de la Polle 1918

Cherbourg en 1918, CPA collection LPM 1900

 

Par Les Goubelins ⋅ dimanche 22 mars 2009

 in Camille Flammarion "Les Maisons hantées"

J’ai Lu l’Aventure Mystérieuse A247 pp 176-183


Un des cas de maisons hantées les plus célèbres de la région, surtout parce qu’il a été relaté par Camille Flammarion, ce qui lui apporta une sorte de caution scientifique. En tous cas, on prit le témoignage plus au sérieux :

 

Ce petit évènement s’est produit dans la nuit du 26 au 27 avril 1918, et la nuit suivante, à Cherbourg, rue de la Polle, 13. Cette maison appartient à mon ami le Dr Bonnefoy, alors médecin-chef de l’hôpital de la Marine. J’y étais déjà descendu au mois de septembre 1914, avec ma femme, ma secrétaire Mlle Renaudot, et notre jeune cuisinière, sur l’invitation de Mme Bonnefoy, présidente de la Croix-Rouge et des Femmes de France, qui nous avait suppliés de nous éloigner de Paris à l’approche des armées barbares. Rentrés à Paris, au mois de décembre suivant, nous étions revenus à Cherbourg au mois d’avril 1918, invités une seconde fois par le Dr Bonnefoy, à la suite des nouvelles menaces de l’offensive allemande vers Paris, et pour éviter les bombardements d’avions et de berthas. Dans cet intervalle de décembre 1914 à avril 1918, Mme Bonnefoy est morte (le 25 octobre 1916). Une profonde affection l’attachait à nous. Elle a placé dans cette maison une plaque de marbre rappelant le séjour que j’y ai fait en 1914. Son mari a réuni dans une chambre devenue une sorte d’oratoire, son lit mortuaire, les vieux meubles qu’elle préférait, ses portraits, ses souvenirs les plus chers. A notre retour de 1918, il se trouva que cette chambre échut à Mlle Renaudot. C’est dans cette pièce que se sont produits des bruits inexpliqués : de véritables vacarmes, des mouvements, des auditions de pas. Les témoins sont deux personnes incapables d’avoir été influencées par aucune illusion, et aussi sceptiques l’une que l’autre, quoique de mentalités différentes : Mlle Renaudot, de haute culture scientifique, et la cuisinière en conformité avec son état, et sagement pondérée. Je les ai priées de rédiger immédiatement leurs impressions avec la plus scrupuleuse exactitude. Elle l’ont fait le 7 mai suivant. Je leur laisse la parole.

 

Relation de Mlle Renaudot "Nous sommes arrivés à Cherbourg, M. et Mme Flammarion, moi et la cuisinière, le jeudi 25 avril. Depuis l’invitation du Dr Bonnefoy, je me demandais comment on nous logerait dans cette maison où nous avions vécu en famille, plus de trois ans auparavant, auprès d’un couple d’hôtes charmants et dévoués jusqu’au sacrifice et où nous allions nous retrouver en des conditions sensiblement différentes, le docteur s’étant remarié. Je ne souhaitais pas que l’on me donnât la chambre et le lit de la défunte, mon ancienne amie, qui m’avait témoigné tant de sympathie et que je regrettais, non sans une profonde tristesse.

 

Cherbourg en 1918, CPA collection LPM 1900


Or il se trouva que je reçus sinon la chambre de Mme Suzanne Bonnefoy, du moins son lit, transporté au rez-de-chaussée où elle est morte, dansune chambre du premier étage, qui avait été sa chambre de jeune fille. C’est un grand lit breton, très ancien, en bois sculpté, fort beau, surmonté d’un dais garni de tapisserie. Toute la chambre est meublée de vieux bois artistitiques, table de nuit, bonnetière, pupitre d’église ; en face du lit un portrait de Mme Bonnefoy, agrandissement photographique d’une ressemblance frappante. J’en fus assez impressionnée. Le souvenir du passé me revenait constamment. Je revoyais notre amie, alors qu’elle semblait si heureuse d’une vie à la fois active et harmonieuse, entièrement consacrée au bien, et je me l’imaginais aussi telle qu’elle devait être sur ce même lit qui avait été pendant deux jours et trois nuits son lit mortuaire. La première nuit, du 25 au 26 avril, je ne dormis pas, songeant à elle, à son passé et au présent actuel de sa maison. J’étais, d’ailleurs, un peu souffrante. Le lendemain, 26 ou 27 avril, je me promis une bonne nuit. Vers 11 heures du soir, je m’endormis, chassant mes anciens souvenirs. A 4 heures du matin, le 27, un bruit formidable m’éveilla ; à gauche du lit des craquements terribles se faisaient entendre dans le mur. Il se propageaient dans la table de nuit et autour de la chambre. et puis des craquements plus doux, semblables à ceux d’une personne se retournant dans un lit, se produisirent à plusieurs reprises. Le bois de mon lit grinçait aussi. Enfin, j’entendis un bruit de pas léger et glissant partant à gauche du lit, le contournant au pied et allant s’évanouir dans le salon à droite où Mme Bonnefoy avait l’habitude de se tenir en écoutant son mari jouer de l’orgue ou du piano, en excellent musicien. Ces bruits m’impressionnèrent tellement que mon coeur se mit à battre à m’étouffer, et j’avais la machoire serrée. Dans mon émotion, je me levai, j’allumai une bougie et je m’assis sur un panier se trouvant contre la porte d’entrée de la chambre donnant sur un palier. Là, je cherchai à me rendre compte de la production de ces bruits. Or, ils continuèrent avec plus de force encore, mais il me fut impossible de rien voir. A 5 heures, en proie à une terreur irraisonnée et n’y tenant plus, je montai chercher la cuisinière, Marie Thionnet qui couchait au troisième. Elle descendit avec moi. Dès son arrivée, nous n’entendîmes plus rien. Il n’est peut-être pas inutile de remarquer que le caractère de la cuisinière ne s’accordait pas du tout avec celui de Mme Bonnefoy. A 6 heures moins un quart, le docteur, au second étage, s’est levé et est allé dans son cabinet de toilette : les bruits qu’il fit en se levant et en marchant ne ressemblaient nullement à ceux que j’avais entendus une heure auparavant : Dans la journée, je cherchai l’explication du phénomène : chats, rats grimpant le long des murs... j’examinai le mur à gauche du lit : très épais, garni extérieurement d’ardoises, sans aspérités, donnant sur une cour. Mauvais terrain pour chats ou rats, de même pour le mur de façade donnant sur la rue de la Polle. D’ailleurs, ces bruits étaient très différents de ceux qui auraient pu être produits par ces animaux. Le samedi 27 avril, je me couchai à 11 heures moins un quart, inquiète et nerveuse. A 11 heures, les bruits recommencèrent comme le matin. Aussitôt, en proie à la plus vive émotion, je montai chercher la cuisinière. Elle descendit et s’étendit sur le lit à côté de moi. Nous laissâmes nos bougies allumées. Pendant une demi-heure, les bruits continuèrent, formidables craquements dans le mur de gauche. Coups frappés dans le portrait de Mme Bonnefoy ou derrière ce portrait et ces coups étaient si forts que nous craignions de voir tomber ce cadre. En même temps, des pas glissants parcouraient la chambre. la cuisinière entendit tout cela comme moi et en fut aussi impressionnée.

 

Cherbourg en 1918, CPA collection LPM 1900

 

Elle est âgée de vingt-six ans. A 11h 30, les bruits cessèrent. Ces manifestations étant extrêmement désagréables, surtout parce que l’on sait que l’on a affaire à une cause inconnue, incompréhensible, je me recueillis dans la journée du lendemain, et, supposant que la morte pouvait y être associée, puisque cela se passait chez elle, je la suppliai de m’en épargner la douloureuse émotion. Nous sommes restés dans cette maison jusqu’au samedi 4 mai. N’ayant plus rien entendu et étant redevenue plus calme, j’ai alors prié la morte de se manifester et de me faire savoir d’une manière quelconque ce qu’elle pouvait désirer. Mais je n’ai rien observé depuis, malgré mon désir (mêlé d’effroi) de pouvoir mieux contrôler le phénomène et d’obtenir, si possible, l’explication de cette étrange manifestation. Gabrielle Renaudot. Cherbourg, 7 mai 1918."

 

Récit de la cuisinière "Le samedi matin, 27 avril 1918, vers 5 heures, Mlle Renaudot est venue me chercher pour constater des bruits qu’elle entendait dans sa chambre. Je suis descendue et n’ai rien entendu. La nuit suivante, dans la soirée du 27 avril, un peu après 11 heures, Mlle Renaudot est revenue me chercher pour constater les mêmes bruits qui se renouvelaient. Je suis descendue avec elle et voici ce que j’ai observé : Bruits derrière la table de nuit, comme si quelqu’un grattait le bois. Et de là comme si quelqu’un glissait très vite sur le parquet, de le table de nuit à la porte du salon, et aussi comme si quelqu’un avait frappé des coups très violents derrière le portrait de Mme Bonnefoy. Ces bruits ont duré environ une demi-heure. J’avoue que j’ai eu très peur et que je n’ai pu surmonter cette peur, au point de claquer des dents. Il y avait deux bougies allumées dans la chambre, et nous étions parfaitement éveillées, constatant à haute voix et localisant les bruits au fur et à mesure qu’ils se produisaient. La nuit suivante, à la demande de Mlle Renaudot qui n’osait plus rester seule dans sa chambre, tant elle avait été impressionnée, je suis redescendue et me suis couchée auprès d’elle. J’ai encore entendu quelques faibles bruits, mais j’ai eu beaucoup moins peur. Nous dormîmes d’ailleurs très bien. Puis tout cessa. Il semblait, du reste, que ma présence nuisait aux bruits, car ils se sont atténués après mon arrivée et ont cessé ensuite. Néanmoins, je ne les ai que trop bien entendus. Ils étaient très impressionnants et m’ont été extrêmement désagréables. J’ai encore couché dans le lit de Mme Bonnefoy, auprès de Mlle Renaudot, les nuits de lundi, mardi et mercredi, mais nous n’avons plus rien entendu. Heureusement car, pour mon compte, je ne voudrais pas repasser par la demi-heure du 27 avril. Marie Thionnet. Cherbourg, 7 mai 1918."


Cherbourg en 1918, CPA collection LPM 1900

 

Il est utile de faire remarquer que Mlle Renaudot, jeune astronome à l’Observatoire de Juvisy, mathématicienne distinguée, alors secrétaire du Conseil de la Société astronomique de France, et directrice de son Bulletin mensuel pendant la guerre, membre de l’Association des Journalistes parisiens, rédacteur à plusieurs revues scientifiques, est accoutumée aux sciences exactes, pas impressionnable du tout, très sceptique en ce qui concerne les phénomènes psychiques, et qu’elle ne peut avoir été dupe d’aucune illusion. Or, elle qui n’a jamais connu la peur, qui passe des nuits entières dans la solitude des observations astronomiques, sous la coupole silencieuse, traverse seule à minuit les avenues solitaires d’un parc et les rues obscures, a, la seule fois de sa vie, subi cette nuit-là une peur épouvantable ! Quelle peut être l’explication de cette aventure ? Aucune cause normale connue ne la donne, ni voisins, ni chats, ni rats, ni souris, ni quoi que ce soit d’imaginable. Que la décédée y soit associée d’une manière quelconque est extrêmement probable, pour ne pas dire certain, attendus que ces faits se sont passés dans sa maison, dans sa chambre de jeune fille, habiltée par elle pendant plus de vingt an, dans son milieu personnel, près de son lit mortuaire, et que dans une centaine de cas analogues (que j’ai réunis et comparés) les mêmes coïncidences sont constatées. Mais on conviendra que ces bruits ne riment à rien et sont d’une banalité indigne d’un esprit cultivé tel que celui que nous avons connu à Mme Bonnefoy. Le caractère essentiel de cette manifestation est d’avoir pénétré les deux observatrices d’une véritable sensation d’horreur et d’angoisse, ce qui est le cas des manifestations analogues, car ceux qui les ont senties ne souhaitent à aucun prix les voir se renouveler. Cela ressemble à une farce de mauvais goût, extrêmement désagréable et d’ailleurs incompréhensible. Cette émotion pénétrante et angoissante n’avait jamais été ressentie par l’une ni par l’autre des deux observatrices. Manifestation vulgaire et bizarre, sans résultat pratique. Il est juste de constater aussi que la continuation n’en était pas désirable et eût pu être très fâcheuse pour le système nerveux des deux jeunes femmes.

 

L’expérience montre que l’être humain n’est pas toujours assez fort pour supporter sainement ces intrusion d’un autre monde, quelle que soit leur nature. Aucune hypothèse explicative ne parait applicable.


Cherbourg en 1918, CPA collection LPM 1900