NOCES CAMPAGNARDES DE JADIS

         
 
 
 

 

 
 

Noces campagnardes de jadis

 

De nombreuses familles conservent encore des tableaux naïfs, parfois légèrement enfumés, représentant une jeune femme parée de ses plus beaux atours au bras d'un garçon à l'air avantageux et quelque peu faraud : ce sont des époux d'il y a un siècle, du temps où, dans toutes nos provinces de France, les noces avaient encore conservé leurs usages dont certains remontaient au Moyen Âge. En dehors de ces peintures et des lithographies, les mémorialistes, les érudits nous ont laissé sur les coutumes de mariage, vers 1850, des pages à la fois précises et pittoresques.

 

Aux environs de Mayenne, les jeunes couples s'unissaient le plus fréquemment au printemps. Le cortège, précédé du traditionnel violoneux ou encore d'un joueur de clarinette, se rendait par les chemins jusqu'au village. À un carrefour, tout le monde faisait halte ; une barricade était en effet dressée. Elle était recouverte de petits châles, de rubans de toutes les couleurs et d'épingles. La mariée devait passer sous cet échafaudage (en 1936 elle se contentait d'enjamber une jonchée de fleurs). À ce moment, des gars cachés dans les haies voisines faisaient retentir leurs « pétoires », le garçon d'honneur versait la goutte, accompagnement obligé de ces réjouissance rustiques, la demoiselle d'honneur distribuait des dragées et la couturière ... des épingles.

 

Dans la région de Craon — toujours dans le même département et à la même époque — le dimanche avant la cérémonie, les parents menaient la fiancée au logis qu'elle allait habiter désormais : c'était ce qu'on appelait planter le pot. Un historien local, commentant cet usage, ajoute : « Quelques demeurants d'un autre âge veulent qu'on dise pau (poteau), comme s'il s'agissait de mettre une chèvre à l'attache ... » On buvait alors le vin dont on avait fait provision pour la circonstance.

Le nombre des invités était très important ; toute la famille, même les parents les plus éloignés étaient conviés.

 

Pendant que la noce était à l'église, les jeunes gens plantaient à la porte de la mariée un grand mai, branche d'arbre feuillue garnie de faveurs ; cependant, si le mariage se faisait ailleurs que chez l'épousée, toute la bande joyeuse, mai et crincrin en tête, escortaient triomphalement le nouveau couple jusqu'à leur domicile. De longues tables avaient été disposées sur l'aire — dans la région de Mayenne, la scène se passait dans la charreterie décorée de sapins et de fleurs ; elles étaient vite recouvertes de plats sortant du four voisin. Deux ou trois cents personnes prenaient place. Le début du repas — fort copieux, on doit s'en douter — ne laissait entendre que des cliquetis de fourchettes et de couteaux, puis, vers le milieu du déjeuner, les « garçons et les filles de cérémonie » circulaient à travers la salle offrant du tabac à priser et des dragées, confiseries obligatoires autrefois de tous les festins ruraux. Lorsqu'on avait fini de manger et de boire, une voix fredonnait la complainte bien connue ;

 

Nous venons devers vous du fond de not'bocage,
pour vous offrir nos vœux pour votre- mariage,
à monsieur votre époux,
aussi bien comme à vous ...

 

Émue, quelquefois même larmoyant quelque peu, la mariée répondait par ce couplet :

 

Je quitte la maison, la maison de mon père,
adieu donc mes parents, adieu ma chère mère,
Avecque mon mari
je dois rester ici ...

 

La barrière existait, à la même époque, dans le département des Côtes-du-Nord, où Jollivet signale que les pauvres offrent encore du vin qu'ils présentent dans un verre placé sur une assiette ; des enfants disposaient aussi parfois une ronce sur le passage du couple se rendant à l'église.

 

Nous retrouvons des coutumes semblables dans le petit village de Grandvilliers (Oise) vers 1840. Avant la messe, les conscrits de l'année offraient de donner quelques pièces ; les jeunes filles apportaient, elles aussi, quelques fleurs, parfois on pouvait noter une cinquantaine de gerbes. À la sortie de l'office, les gars tendaient des cordes devant le cortège et les époux devaient payer une redevance afin d'avoir le droit de passer. Ceux qui quittaient le village pour aller s'établir aux environ trouvaient à l'entrée du pays où ils allaient vivre désormais une table chargée de vins et de gâteaux.

 

Dans cette paroisse de Grandvilliers, comme d'ailleurs en d'autres endroits, le curé bénissait le lit nuptial ... que la jeunesse se faisait un plaisir de dévisser ! Le jeune ménage devait — une fois de plus — distribuer quelques pièces pour éviter ce désagrément supplémentaire. Enfin, le dimanche qui suivait la cérémonie, la jeune femme se rendait à l'église accompagnée d'une parente ; avant ce moment elle ne pouvait sortir qu'escortée de son mari; si elle était rencontrée seule, on lui ôtait une de ses chaussures !

 

Dans le Cantal, les noces étaient alors très pittoresques. Le matin du grand jour, un groupe de jeunes montagnards à cheval, revêtus de leurs plus beaux costumes locaux, précédés d'une musette, arrivait chez le fiancé. Les garçons portaient une poule qui devait prendre part à tous les événements, participer au scénario du mariage en attendant de figurer au repas de « retour de noces ».

 

Le futur distribuait à tous ses compagnons des rubans roses et bleus qui étaient fixés aux boutonnières des habits et à la tête des chevaux. Après avoir bu un verre — et même peut-être plusieurs — pour se mettre en train, on se rendait à la maison de la jeune fille. Le logis était fermé et silencieux, la turbulente jeunesse faisait alors pétarader ses pistolets et la porte s'ouvrait. Le garçon de noce — généralement le plus proche parent du marié — se présentait et, ôtant son immense chapeau, demandait respectueusement l'autorisation d'emmener la jeune personne ; on ne lui répondait que par des larmes. La fiancée se prosternait aux pieds de son père et de sa mère et recevait d'eux la bénédiction d'usage, puis elle allait caresser les bestiaux de l'étable et jetait du grain à la volaille. Après avoir en quelque sorte fait ses adieux à la ferme, elle grimpait en croupe derrière le garçon de noce et toute la bande partait au grand trot.

 

 

Lorsque dans ces campagnes du Cantal deux mariages étaient célébrés en même temps, la sortie des cortèges était regardée avec avidité par toute la population. En effet, la mariée qui parvenait à franchir la première la porte de l'église emportait avec elle tout le bonheur ! Des deux côtés, on se défiait, on se menaçait, on se bousculait sans aucun égard pour le lieu saint où se passait ces scènes héroï-comiques. En général, le curé en personne prenait les deux jeunes femmes par la main et, veillant à ce que l'une ne fasse pas un pas de plus que l'autre, les mettait hors du temple, trop heureux d'éviter un crêpage de chignons en règle ...

 

On conduisait enfin l'épouse chez son futur seigneur et maître, au son de la cornemuse qui jouait un air plaintif dont les paroles évoquaient la tristesse de la séparation : « Où vas-tu, tant douce amie, où vas-tu ? Où seras-tu mieux qu'auprès de nous ! »

 

Arrivés au seuil du logis conjugal, on offrait au couple un peu de soupe ; le jeune ménage entrait ensuite en passant sous un pain énorme qu'on maintenait au-dessus de leur tête en disant : « Ne manquez jamais de pain ! » Mais un étrange spectacle frappait les regards : le sol était jonché de vases brisés ; aussitôt la jeune femme se saisissait d'un balai et, à la grande satisfaction de tous, nettoyait la place, prouvant ainsi qu'elle serait par la suite une excellente femme d'intérieur. Ensuite avait lieu le dîner et une veillée à laquelle, comme au Moyen Âge, prenait part tout le village.

 

Dans maintes provinces, pendant la nuit de noces, des garçons apportaient aux mariés un breuvage fortement épicé ; dans les régions de la Garonne, c'était le tourrin. Vers 1845, on l'offrait aux couples nouvellement unis en chantant un couplet patois dont voici la traduction :

 

Tourrin, tourrin, avec ton père,
tourrin, tourrin, il nous faut faire,
il ne faut pas parler de nous en aller,
du tourrin, du tourrin et du vin blanc,
après-demain nous nous en irons.

 

Autrefois, cette soupe était à base d'eau dans laquelle avait longuement bouilli une douzaine de gousses d'ail, le tout était répandu dans la soupière sur un pain préalablement imbibé d'huile et recouvert d'une forte couche de poivre. Il y a un siècle, on utilisait le vin rouge dans lequel on avait fait cuire une ou plusieurs poules, l'ail et l'huile avaient disparu, seul le poivre était encore traditionnel.

 

Cette petite cérémonie était entrecoupée de chansons, de danses et aussi de gauloiseries que les auteurs contemporains n'ont pas osé transcrire.

 

La rôtie des mariés, très fréquente dans nos campagnes, est encore en usage dans certains cantons ainsi que d'autres coutumes que nous avons pu noter, car, en dépit des esprits chagrins, le folklore de France n'est pas mort.

 

Roger VAULTIER.