L'ATTELAGE DES CHIENS EN FRANCE 1
 

Par René GANDILHON Inspecteur général des Archives de France

 

Né le 22 novembre 1907 à Bourges (Cher), mort le 1er° décembre 1990 à Paris (XVIe arr.) ; archiviste départemental puis Inspecteur général des Archives de France ; secrétaire général du syndicat des Archives de France à sa création en 1945, puis en 1948.

 

Une curieuse caricature, parue au début de ce siècle dans un journal satirique, représentait un ecclésiastique, violemment projeté hors d'une petite voiture tirée par un chien. La raison de cet accident de la route était à n'en pas douter un chat que son ennemi héréditaire avait essayé de poursuivre. La légende illustrant la scène: « En attendant que ses ouailles lui paient un automobile, le ratichon de Champ guyort (Marne) se promène dans une voiture attelée d'un chien », résume à notre avis les raisons essentielles de la disparition de ce mode de locomotion si fréquent, en France, il y a encore quelques dizaines d'années : la découverte de nouveaux moyens de transports et l'élévation du niveau de vie.

 

L'emploi du chien de trait est très ancien, mais ainsi qu'on le constate en bien des faits communs, d'évidence pour ceux qui les frôlent tous les jours, peu de documents graphiques et même iconographiques en ont conservé le souvenir.

 

C'est pourquoi nous pensons utile, bien que sortant du cadre géographique que nous nous sommes tracé de rappeler l'existence de deux petits monuments de terre cuite, conservés au Musée du Louvre et ayant fait partie autrefois de la collection Campana. Trouvés en Italie et datant du IIeme ou du Ier siècle avant Jésus-Christ, ils représentent l'un une femme, l'autre un homme assis sur un char tiré par des chiens de Malte, à longue queue).

 

 

En attendant que ses ouailles lui paient un automobile, le ratichon de Champguyon (Marne) se promène dans une voiture attelée d'un chien.

'La Lanterne, 23 février 1904)

     

Qu'en fut-il en France dans les siècles suivants. Nous l'ignorons, mais nous constatons déjà au XVIeme siècle sur des tapisseries la présence de voiturettes attelées de chiens transportant du gibier

 

La première mention rencontrée dans les textes sera l'usage fait dans la grande galerie du Louvre par le jeune dauphin, le futur Louis XIII, d'un petit carrosse tiré par deux dogues. Un siècle plus tard un règlement de police du bailli de Versailles du 6 mai 1721, interdisait dans cette ville l'usage des voitures attelées de chiens, sous prétexte que la nourriture de ces animaux pouvait « causer quelques mauvais airs ».Peu après ce sera une ordonnance du lieutenant de police de Paris (26 mars 1725) qui à la requête des « propriétaires du privilège des carrosses exposés sur les places et faubourgs de Paris » interdira à toute personne d'utiliser des phaétons tirés par des chiens et ceci sous peine de prison et de 50 livres d'amende. Suivant les dictionnaires, le phaéton est soit « une chaise roulante fort propre... et qui va fort vite »soit une « voiture légère à quatre roues dont la caisse comporte deux sièges transversaux orientés dans le même sens ».

 

L'interdiction ainsi prononcée visait tout d'abord à réprimer une concurrence jugée déloyale par les entrepreneurs de carrosses publics, puis de parer aux dangers encourus par les passants du fait des chiens« qui sont fort mauvais » et de la vitesse entraînant des accidents de circulation, enfin de mettre un terme aux « insolences, désobéissances et contraventions des particuliers conducteurs des phaétons tirés par des chiens ».

 

Un mois plus tard (20 avril) le Châtelet de Paris étend son interdiction: « défense de faire tirer des charrettes et des chaises dans les rues de Paris, au cours, aux Champs-Elysés et aux promenades publiques».

 

On peut assurer que l'usage d'atteler les chiens persiste malgré tout, car à intervalles assez rapprochés on voit publier des ordonnances similaires : 16 avril 1726, 25 janvier 1737, 3 avril 1762, 21 mai 1784,1er juin 1824, 25 mars 1830, 27 mai 1845, 14 juin 1851, 31 août 1897, enfin1911 ! Les motifs invoqués persistent: embarras de la voie publique, danger de morsures pour les passants, excès de vitesse d'où collisions et accidents.

 

S'insérant parmi ces ordonnances du préfet de police, une du 24 juin1822 mérite une mention spéciale. Nous la qualifierons de novatrice car elle ne procède pas par interdiction pure et simple de l'attelage, mais en le tolérant, prescrit des mesures intelligentes de police: muselière qui «devra être constamment attachée à la tête de l'animal et confectionnée de manière à lui laisser seulement la faculté de laper», collier solide garni d'une plaque en métal sur laquelle seront gravés les noms,profession et domicile de son maître, obligation pour le conducteur détenir en laisse les chiens attelés et à l'arrêt, d'attacher « le chien limonier » à une porte, enfin « défense à tout individu de monter dans une voiture attelée de chiens, et même, étant à pied de la conduire en courant! ».