LES MOULINS DU CLOS COTENTIN   -4/13
         
  L’apport de la micro-toponymie

 

L’importance des aménagements trouve également écho dans des toponymes motivés soit par la nécessité de pallier l’irrégularité ou l’insuffisance des débits (Ecoute-s’il-Pleut ou Ecoute-la-Pluie à Valognes et aux Pieux), soit par l’exploitation cumulée du choc et du poids de l’eau, autrement dit la préoccupation de faire « choir l’eau » [9] (les Coisel du Vrétot, de Teurthé-ville-Bocage, Gorges...) dans des augets par-dessus ou à hauteur de l’axe des roues, ou encore par les désagréments d’une gestion rapprochée et concurrente des niveaux d’eau (Quincam-poix : Cherbourg, Fermanville, Saint-Germain-de-Tournebut, etc., altération d’« à quiconque il en pèse », autrement dit « qui que cela gêne »).

 
 

Une gestion conflictuelle de l’eau

 

Spectaculaire en maintes vallées littorales ou intérieures, la profusion de moulins à eau semés au travers du maillage dense des fiefs généra en effet des conflits d’usage opposant les « usiniers » entre eux ou aux riverains, éleveurs, bateliers, pêcheurs et autres usagers des vallées. Assise littéralement sur les « ruisseaux des collines », Bricquebec compta ainsi à elle-seule 23 moulins établis aussi bien sur de très modestes cours d’eau, abondants en ce secteur le plus arrosé du Cotentin, que sur des rivières d’un gabarit supérieur, telle la Scye. Ces crues, accentuées par l’exhaussement illicite du déversoir au moulin de Haut au Bourg ou la manœuvre classiquement déficiente des vannes de décharge, comme au moulin du Pont Durant, y causèrent des préjudices certains que l’Administration s’efforça de corriger.

 

Ainsi, nonobstant l’image d’Epinal d’édifices « en harmonie avec la Nature », les moulins à eau, déclinés en une infinité d’articulations, s’ils ont certes composé avec les contingences naturelles, ont surtout considérablement « forcé » leur environnement, continuant même jusqu’après leur abandon, au-delà de la seule présence de leurs ruines, de peser fortement sur les paysages valléens. Manœuvre et entretien des ouvrages de régulation n’étant plus assurés ou bien de façon anarchique sous des intérêts toujours contradictoires, s’opère désormais le renvoi dans un lit disproportionné et au préjudice des terrains, des ponts, voire des lieux habités, d’un débit auparavant contrôlé et partagé entre biefs et rivière.

 

 
 

Les moulins de chaussée des basses-vallées

 

L’influence des places de moulins sur la fréquence et la durée des submersions s’avère éloquente dans quelques vallées littorales (la Grise, la Saire, la Sinope) mais surtout dans les basses vallées (Taute, Ouve, Merderet, Sèves, Ay) qui, jusqu’à l’installation des portes-à-flot [10], obstacles aux intrusions marines, valaient au Cotentin sa réputation de presqu’île ou de « Clos ». Les longues levées qui en desservaient les rares franchissements et justifiaient les qualificatifs de « lacs » ou d’« étangs » (cf. l’Etang-Bertrand) ont vu s’asseoir sur leur flanc aval de grands ateliers au nombre de deux ou trois (fig. n°5), exceptionnellement cinq (Néhou), regroupés et reconvertis après 1850 en minoteries, plus rarement en laiteries (Olonde, Canville-la-Roque). L’importance du débit compensant des dénivelées insignifiantes, l’antériorité des chaussées autant que l’immédiate proximité d’agglomérations ou de places-fortes médiévales suffiraient à justifier la primauté de ces installations dont certaines, citées dès l’an mil et qui ont fonctionné jusqu’à une date récente (le Ham, Saint-Sauveur-le-Vicomte), jouirent d’une longévité incomparable confirmant le bien-fondé de leur établissement.

 
     
 

 
     
 

Fig. 5 - Plan local du moulin de l’Etang-Bertrand, 1785. Phot. J. Deshayes, 2000.

 Bibliothèque municipale Jacques Prévert, Cherbourg-Octeville (ms 78)

© Bibliothèque municipale Jacques Prévert

 
         
 

 

 NOTES

 

  9 - Gaudefroy, G. L’énigme des moulins à coisel. Nouvelle Revue d’Onomastique, 1985, vol. 5.

 10 - Des ponts furent dotés de vantaux que ferme le flux et ouvre au reflux la poussée des eaux douces sur la Taute en 1712, sur la Douve en 1738 et sur l’Ay vers 1850. Boujot, Corinne. De terre et d’eau. Au rythme de la blanchie dans les marais du Cotentin. Caen : C.Ré.C.E.T., 2003, p. 11. Des vannes à clapet ou bascule vinrent pareillement équiper à des dates indéterminées l’Escalgrain, la Sinope, la Saire, la Grise et autres tarets ou rivières côtières.