LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   
  Quand Mademoiselle aura vingt ans... -Novembre 1913
         
 

Le principal obstacle au mariage est l'isolement, ou, si l'on préfère, le manque de relations.

Il en est d'autres sur lesquels la philosophie a droit à réfléchir sans prétendre jamais à y apporter de remède. Telles sont : la défiance réciproque ; l'hypocrisie des conventions dans le monde et dans les familles ; la guinderie sournoise de la « bonne société » ; l'étrange affection des convenances tirant à hue quand l'amour tire à dia. Et j'en passe.

Tenez, regardez en France, une mère promener sa fille...

 

Fabiono 1910

 
     
 

Non... Cet air de dire aux gens : « C'est béni n'y touchez pas ! » Et la prud'hommerie, l'afféterie, le maniérisme, tout ce je ne sais quoi qui crée autour de la. Demoiselle une zône de circonvallation défensive tellement. farouche que l'homme passe au large, épouvanté...

Ou bien l'excès opposé :

 

Nul bal, réunion, rendez-vous public où Maman et sa fille ne s'exhibent, Celle-là couvrant celle-ci de son pavillon, et hurlant par toute l'éloquente détresse de ses yeux :

 

« Voyez l'article, mettez en mains ! Défauts cachés ; pas de dot ; placement difficile ; qui me fera la grâce de m'en débarrasser ! »

 

Voilà les erreurs ordinaires. Venons-en à la voie logique :

 

Lorsqu'arrive l'heure du mariage éventuel pour leur fille, les parents étendront autant que possible le cercle de leurs relations. Il aura été excellent qu'en prévision de cette conjecture, la jeune fille ait cultivé ses amies de pensions. C'est là un cercle évidemment conforme à son milieu immédiat, puisqu'il procède des mêmes conditions sociales, des mêmes idées, des mêmes moeurs ; et des médiatrices y sont toutes trouvées de la part de leurs propres frères ou cousins.

Les parents se souviendront en outre que c'est courir les pires chances qui de viser des cercles plus élevés que le leur, sous prétexte de dénicher le « beau parti ».

 

Le prolétariat manuel ne forcera jamais la vanité de la bourgeoisie ; la bourgeoisie n'a rien à attendre de la dédaigneuse condescendance aristocratique. Conjuguez vos castes, puisque les castes ont survécu aux bastilles, et redoutez surtout que vos filles ne s'embarquent dans l'entichement, c'est-à-dire dans le roman.

Et puis encore, comme j'y ai fait allusion tout à l'heure mesurez votre manière de petite publicité. Une jeune fille que l'on voit partout est une jeune fille que l'on voit trop. S'il y a des galants en quête, ils préfèrent désirer que d'être obsédés.

J'aime et je recommande les sorties au bras du père. Elles soulignent imperceptiblement la métamorphose de l'enfant devenue femme. Elles indiquent que, dans sa famille même, on la considère désormais comme une grande personne, ce qui laisse à entendre qu'on serait disposé, le cas échéant, à prêter l'oreille aux avances autorisées.

Quant à ce qui concerne l'intéressée elle-même, on ne saurait trop l'engager à veiller sur sa tenue extérieure en adaptant scrupuleusement celle-ci à sa condition sociale. Une jeune fille à marier sans fortune qui affecte des dehors de toilette inquiétera sûrement des candidats possibles. Une jeune fille visant au gros parti et qui s'habillera sans quelque recherche risquera l'indifférence des hommes de son monde. Ce sur quoi il faut veiller par dessus tout, c'est le mauvais goût et le faux luxe. Rien n'irrite et n'offense comme cela.

Je ne donne pas mon plan de campagne comme infaillible. Mais, en s'y conformant, on témoignera au moins d'éducation : qualité dont il serait bien extraordinaire de dire qu'elle restera à jamais perdue.