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Tentative d’interdiction des falots des Rois à Bernay D’après « La Normandie littéraire » Paru en 1903
En 1886, dans le Bulletin de la Société scientifique Flammarion, Jules Lecœur publiait un remarquable article sur les antiques réjouissances populaires qui s’observaient encore, à l’occasion de la Fête des Rois (6 janvier), dans certaines régions du Bocage normand.
Quelques années auparavant, dans son curieux livre Pont-Audemer, Alfred Canel avait déjà parlé de ces singulières coutumes qui étaient encore en usage dans cette partie du Roumois, lesquelles, du reste, existaient dans toute la Normandie, non seulement dans les campagnes mais aussi dans les villes.
A Bernay, la Fête des Rois était surtout pour la jeunesse un motif de liesse inaccoutumée à cause des traditionnelles coulines employées durant cette fête et son octave. |
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L’usage de ces falots donnés à de jeunes imprudents dégénéra en un inquiétant abus ; nous en trouvons la preuve dans les documents suivants que nous ont fourni les registres du siège de police. Le mercredi 30 décembre 1792, au greffe et devant le lieutenant général de police, le procureur du roi représente: |
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« que plusieurs enfants, écoliers, jeunes gens et autres sont dans le mauvais usage, la veille et le jour des Roys, de porter dans les rues et sous les porches de cette ville des espèces de falots de bois brisés ou de paille dont les conséquences sont terribles en exposant cette ville, les maisons en étant toutes de bois, à un incendie général, et comme ces sortes de feux sont précisément défendus par plusieurs règlements et notamment par un arrêt du Parlement de cette province du 14 juin1719, pourquoi requiert qu’il soit fait défense à tous enfants, écoliers, jeunes gens et autres de porter lesdites espèces de falots de bois, de paille ou autres matières combustibles allumés le long des rues et sous les porches, à peine de 10 livres d’amende dont les pères et mères, maîtres et maîtresses des dits enfants, écoliers, compagnons ou domestiques seront responsables ». |
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Vieilles maisons rue de la Charentonne à Bernay, collection CPA LPM 1900 |
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Le lieutenant général de police fait droit à cette requête et autorise même les bourgeois de la ville « de constituer lesdits enfants, écoliers, jeunes gens et autres personnes qu’ils trouveront contrevenants ». Lue, publiée et affichée, cette ordonnance n’est pas longtemps observée et, le 19 décembre 1727, le lieutenant de police considérant que, au mépris des arrêts, anciens règlements et sentence précités, « les jeunes gens de cette ville continuent de porter tous les ans des falots allumés dans les rues », renouvelle les précédentes défenses, à peine de prison et de 30 livres d’amende.
Le lieutenant de police ne s’arrête pas à ces mesures cœrcitives et il ajoute :
« Comme les chandeliers de cette ville sont dans le mauvais usage de donner aux enfants de cette ville des espèces de petites chandelles qui ne sont qu’une mèche trempée dans le suif pour porter allumées le long des porches et dans les rues de cette ville, et comme il pourrait arriver de grands accidents par ces sortes de lumières et autres portés par des enfants qui n’ont aucune connaissance des accidents qui en peuvent arriver, nous avons fait défense à tous chandeliers de cette ville et autres de faire et fabriquer aucunes desdites espèces de chandelles, à peine de 20 livres d’amende et de confiscation des suifs qui se trouveront chez eux... »
Bien que cette sentence soit rendue en présence des épiciers de la ville, lesquels promettent de s’y conformer, elle est, le 29 décembre 1728, renouvelée avec cette modification en ce qui concerne la défense de porter des falots :
« si ce n’est dans des lanternes bien fermées dont on se sert pour se conduire, à peine de prison et de 30 livres d’amende ».
Il est de nouveau fait défense de vendre et fabriquer des petites chandelles. Ces défenses ne peuvent détruire une coutume si profondément enracinée dans les mœurs ; aussi, l’année suivante, le 6 janvier 1730, il se trouve encore des jeunes gens, écoliers et autres qui portent dans les rues des falots de bois brisé allumé, et des lumières au bout de bâtons. Cinq délinquants sont condamnés, le 31 mars, en chacun 3 livres d’amende envers le roi ; un sixième, non comparant, est condamné en 100 sols d’amende ; dépens en plus pour tous. Puis, le lieutenant de police réitère ses précédentes défenses.
Les contraventions ne reparaissent que neuf ans plus tard. Le 9 janvier 1739, trois compagnons perruquiers et deux autres jeunes gens sont condamnés chacun en 100 sols d’amende envers le roi. Après avoir rappelé les divers arrêts et ordonnances maintes fois cités, le lieutenant de police ajoute :
« En conséquence, faisons très expresses inhibitions et défenses à tous enfants, écoliers, jeunes gens, compagnons, domestiques et autres personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient de porter dans les rues et sous les porches de cette ville, ni même dans les faubourgs, la veille ni le jour des Rois ni autres jours, aucun falot de bois, de paille ou autres matières combustibles allumés, à peine de prison et de 50 livres d’amende ».
Une grosse difficulté vient entraver ces mesures de police et la sentence du lieutenant général contre les cinq jeunes gens traduits à sa barre. Ceux-ci, en effet, offrent à prouver que du nombre de ceux qui ont porté des falots la veille des Rois, étaient aussi : le jeune fils du sieur de Villars, conseiller du roi, élu en l’élection ; le fils du sieur Gueroult, sergent ; le fils aîné du sieur Le Danois, apothicaire, et autres. Or, en réclamant une condamnation pour ces fils de notables, coupables comme eux, les modestes et énergiques fils du peuple semblent avoir, du même coup, désarmé dame Justice et donné à la jeunesse de Bernay liberté pleine et entière de se livrer à son amusement favori, lors de la fête des Rois ; en effet, la sentence susdite ne paraît pas avoir eu de suites et, fait concluant, à partir de cette date, il n’est plus question de défenses ni de pénalités relatives aux falots des Rois.
C’est que, outre la force d’une coutume immémoriale et usitée dans tous les pays, une contradiction flagrante donnait tort à l’autorité judiciaire, laquelle, en effet, ordonnait aux Bernayens, sous peine d’amende, des moyens incendiaires tout aussi dangereux que les falots. Nous voulons parler des feux de joie et des illuminations obligatoires. |
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Vieilles maisons rue des charettes à Bernay, collection CPA LPM 1900 |
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