AU JARDIN
   
  LE JOLI MOIS DE MAI
         
 

Le joli mois de mai

 

 Voici le moi de mai,

 Que les rosiers boutonnent

 Que les jeunes garçons

 Emport’ à leurs mignonnes

 En leur disant : Ma mi’ voici le temps

 À l’arrivée du doux printemps ...

 

Ainsi chantaient les jeunes gens des environs de Moncontour, en Haute Bretagne, il n’y a pas encore si longtemps ; ce couplet gai, sentant bon le terroir breton, annonçait le début d’un des plus beaux mois de l’année, le mois des fleurs et des amours. Aussi nous paraît-il intéressant de passer rapidement en revue quelques vieilles coutumes régionales trop souvent, hélas ! tombées en désuétude et qui mériteraient bien d’être remises à l’honneur.

 

Dans certains villages de Bourgogne, on désignait chaque année une épousée du mois de mai, c’était une petite fille âgée de quatre ou cinq ans, qui se promenait gravement dans les rues, couronnée de fleurs blanches et quêtant des sous et des œufs tandis que l’on chantait ce joyeux refrain :

 

 Étrennez notre épousée,

 Voici le mois, le joli mois de mai ...

 

L’enfant, rentrée chez elle, assistait à un repas traditionnel composé principalement d’omelettes faites avec les œufs recueillis, les gros sous servaient, eux, à constituer la dot de la petite fille.

 

Les jeunes Bourguignons plantaient à la cheminée de chaque voisin où il y avait une fille un bouquet de lilas où d’autres arbustes. Les fleurs de ce bouquet avaient toutes une signification. C’est ainsi qu’un rameau de charme exprimait un timide aveu. « Tu me charmes », semblaient dire les branchages à la jeune fille de la maison. Les fleurs de cerisier ou de pommier étaient encore plus précises, elles murmuraient à l’oreille de la jeune villageoise : « Je t’épouserai. » Le bouleau était un gage de fidélité. Les ronces voulaient dire : « Je te renonce. » Dans certaines communes, on suspendait à la porte des « marchandes d’amour » des carcasses d’animaux ; dans le Châtillonnais, on ornait la demeure d’un mari trompé d’une magnifique tête de bœuf peinte en jaune. Les mais se plantaient la nuit. Lorsqu’un jeune homme venait dans la journée reconnaître son mai, il faisait ainsi publiquement sa demande en mariage ; bien des unions s’ébauchaient pendant ce joli mois.

 

Autrefois, dans certains villages dauphinois, des jeunes filles allaient, elles aussi, quêter des œufs ou de l’argent ; c’étaient les reines de mai.


En d’autres endroits c’étaient les jeunes gens qui, déguisés en filles, demandaient des sous et des œufs. De nos jours, dans maintes contrées, la jeunesse du pays a pieusement conservé les saines traditions : ici, elle chante une chanson de mai ; là, elle offre du muguet aux habitants et en reçoit de menues pièces ; un peu partout, la petite fête se termine par une collation composée d’omelettes monstres.

 

La vieille province du Dauphiné nous offre aussi de bien curieux exemples de coutumes d’origine fort ancienne, observées par les vieux paysans qui les respectent sans toutefois en comprendre le sens primitif ; le grand folkloriste Arnold Van Gennep, dans son bel ouvrage sur la psychologie populaire de l’Isère, a fort bien mis en lumière toutes ces questions qui passionnent autant l’érudit que le simple touriste désireux de connaître le pourquoi des coutumes.

   
       
     
       
     
         
 

Si nous feuilletons les ouvrages consacrés à nos traditions, nous constatons que l’usage de planter un mai devant la maison d’une jeune fille est à peu près général. En Berry, le mai était décoré avec des rubans, des fleurs, des dentelles et des boutons ; on ne le plantait que devant le logis des filles qui avaient conservé leur bonne renommée. En Poitou, lorsque les jeunes gens voulaient offenser une de leurs camarades, ils remplaçaient le traditionnel rameau par une tête de vache. Un mai d’épine blanche sans fleurs signifiait en Haute Bretagne que la jeune fille à qui il était destiné avait perdu sa virginité. Dans les Hautes-Alpes, les jeunes gens malicieux dressaient à la porte d’un amoureux éconduit un magnifique mai orné d’oignons !

 

Avant de planter le mai, les paysans périgourdins avaient l’habitude de se nettoyer la bouche avec de l’ail et de faire passer entre leurs dents une pièce de vingt francs afin d’avoir de l’argent toute l’année.

 

Toutes ces pratiques s’accompagnaient de chansons et de danses. Dans l’Est, on dansait pendant la quête des œufs le Trimazo ; si les gens tardaient trop à verser leur obole, les petites filles chantaient : « Bonne femme de céans, ne nous laissez mie tant danser, nous avons les jambes en chalumeau, nous ne pouvons plus tenir dessus. » Au pays de la gueuse parfumée, dans la joyeuse Provence, la plantation du mai s’accompagnait, il y a près d’un siècle, d’une aubade exécutée par des tambourinaires, pendant que l’amoureux chantait sous les fenêtres de sa belle une suite de couplets dans la chaude et colorée langue de Mistral. Tour à tour, il présentait à sa belle le thym qui signifiait qu’il l’aimerait toute sa vie, puis la violette, le romarin, ensuite l’ortie, enfin le chardon.

 

La Bretagne, riche terre de folklore, nous offre maintes jolies chansons de mai ; voici le commencement d’une chanson recueillie naguère dans les environs de Saint-Brieuc :

 
         
 

 Madame de céans,

 Vous qui avez des filles,

 Faites-les se lever

 Promptement qu’elles s’habillent,

 Nous leur passerons

 L’anneau d’or au doigt,

 À l’arrivée du mez (mois) de mai :

 Nous leur donnerons

 Des bagues et des diamants

 À l’arrivée du doux printemps.

 

Fait curieux à noter cependant, si toutes les chansons du joli mois de mai évoquent l’amour et parlent de mariage, une très antique tradition empêchait nos amoureux de se marier durant cette période. C’est un vieux souvenir de l’antiquité romaine qui consacrait le mois de mai aux vieillards et au culte des morts : Ovide mentionne cette coutume dans un livre de ses Fastes ; depuis, dans la plupart de nos provinces, les couples ne voulurent pas s’unir durant ce mois, de peur de subir de « grandes infortunes » ou d’avoir une union stérile.

 

Si les différentes provinces avaient et ont encore des coutumes particulières pour célébrer le mai nouveau, Paris, de tout temps, sut, lui aussi, fêter à sa manière le joli mois.

   
         
 

Au XVIIe siècle, les gens de qualité avaient pris l’habitude, nous conte un excellent chercheur et folkloriste, de porter sur eux un rameau vert, une feuille, durant tout le mois ; le jeu consistait à surprendre ses amis sans la petite feuille couleur d’espérance et de leur dire : « je vous prends sans vert » ; le coupable devait payer une amende qui servait, en général, à organiser une partie de plaisir ou un bon repas.

 

Le muguet, la charmante fleur, est devenue en quelque sorte le symbole du mai parisien ; chaque Parisienne l’arbore le 1er mai.

 

Muguet des forêts des environs de Paris et muguet magnifique des serres ornent ce jour-là aussi bien le corsage de la petite midinette que le tailleur élégant de la femme du monde ; les petites clochettes, porte-bonheur, affirme le dicton populaire, semblent sur les poitrines de nos compagnes tinter joyeusement quelque chant de mai.

 

Pour terminer cette rétrospective du 1er mai, apprenons à ceux qui l’ignoraient que l’églantine qui orne ce jour les corsages de maintes militantes a été lancée par Paul Brousse dans un article de la Petite République de 1895.

 

Roger VAULTIER