MATERIEL D'HIER
  CHARRUE DU COTENTIN
         
 

Boüard Michel.

Points de départ d'une enquête historique sur la charrue en

Normandie.Annales de Normandie,

1965.

 

C'est une charrue sans avant-train que l'on trouve dans une partie du Cotentin septentrional, comprenant le canton de Montebourg, la partie méridionale de ceux de Quettehou et de Saint-Pierre-Eglise ; la partie orientale de ceux de Cherbourg, de Valognes, de Briquebec et de Saint-Sauveur-le-Vicomte ; la partie septentrionale de celui de Sainte-Mère-Eglise. Le spécimen le plus septentrional que j'aie pu observer se trouvait à Tourlaville (canton de Cherbourg) ; le plus méridional à Picauville (canton de Sainte-Mère-Eglise). Il existe plusieurs modèles de cette charrue sans avant-train, présentant entre eux des différences d'importance variable. Parfois l'extrémité antérieure de la haie ne repose sur rien ; parfois elle repose sur une béquille qui porte, à sa partie inférieure, une petite roue unique ; cette béquille coulisse dans une mortaise pratiquée dans l'épaisseur de la haie ; elle est percée de trous dans l'un desquels on insère une clavette pour régler « l'entrure » c'est-à-dire la profondeur du labour. Lorsque la haie ne repose pas sur une béquille, c'est le laboureur qui, par une pression sur les mancherons, assure ce réglage de la profondeur.

 
 
     
 

Depuis quinze ans, l'aire d'emploi de la charrue sans avant-train rétrécit rapidement. Les nouveaux charrons ou maréchaux ne fabriquent plus cet instrument ni même souvent ne le réparent ; et les cultivateurs adoptent, bon gré mal gré, des charrues métalliques de fabrication industrielle et munies de « rouelles ». Ainsi constatent-ils l'inanité des objections qu'ils formulaient à rencontre ele ce type d'instrument.

 

De l'enquête orale menée dans cette région, on garde l'impression que la charrue sans roues y était assez exclusivement employée depuis plusieurs générations, au moins. Pourtant, les sources imprimées du XIXeme siècle n'en offrent, à ma connaissance, point de mention claire ; il est vrai qu'elles sont assez rares concernant le Cotentin septentrional.

 

L'emploi de ce type d'instrument remonterait-il plus haut que le xixe siècle ? Et le rétrécissement progressif de la zone où il est employé aurait-il commencé depuis longtemps ? On pourrait alors supposer que l'aire de la charrue sans roues aurait jadis couvert une plus ou moins grande partie de la Normandie occidentale. A ces questions, il est malaisé de donner une réponse solidement fondée, faute de témoignages en nombre suffisant. On trouves certes, en 1869, mention d'un charron qui, à Saint- Georges-Montcoq, près de Saint-Lô, fabriquait une charrue sans avant-train; mais n'était-ce pas, plutôt qu'une survivance, une de ces innovations, inspirées souvent de la charrue Dombasle, dont on connaît bien des exemples, et qui firent long feu.

 

D'assez nombreux témoignages écrits donnent à penser qu'au milieu du xixe siècle, l'aire de la charrue sans avant-train n'était pas sensiblement différente de celle que j'ai pu observer entre 1945 et 1950. L'avant-train était couramment utilisé à Flaman- ville (arrondissement de Cherbourg), dans le canton de La Haye-du-Puits, dans l'arrondissement de Domfront. Il semble même que des tentatives faites pour introduire la charrue Dombasle (sans avant-train) dans les cantons du Cotentin septentrional où l'on employait alors l'avant-train, aient été infructueuses.

 
     
 

Fig. 1. — Régulateur en bois à l'extrémité de l'âge d'une charrue sans avant-train

St-Germain-de-Tournebut, canton de Montebourg, Manche,— Musée de Normandie

 
     
 

En dehors de la zone ci-dessus définie où la charrue traditionnelle était, hier encore, dépourvue d'avant-train, l'enquête sur le terrain a permis de trouver trace de quelques instruments du même type ; notamment à La Chapelle-En juger (canton de Marigny) ; mais l'on a pu établir qu'ils étaient exclusivement employés pour les labours de défrichement.

 

Ainsi ne semble-t-il pas que la charrue sans rouelles ait été employée jadis dans une zone plus vaste que celle où nous l'avons trouvée voici une quinzaine d'années. Aurait-elle été introduite dans cette région au XIXeme siècle, sous l'influence des agronomes éclairés qui préconisèrent alors l'abandon de l'avant-train ? Cela paraît peu probable ; le Cotentin septentrional est un pays de petite propriété et l'influence de l'Association Normande ne paraît pas y avoir été, au siècle dernier, particulièrement efficace. J'incline à penser que, dans cette région, l'emploi de la charrue sans avant-train est antérieur au xixe siècle. On notera qu'en Angleterre elle était fort répandue avant le milieu de ce siècle.

 

Serait-elle, en Normandie, une importation anglaise ? L'hypothèse est plausible ; mais, on ne voit pas à quelle époque ni dans quelles circonstance cet emprunt aurait été fait.

 

Le bâti de la charrue traditionnelle peul présenter, en Normandie, deux formes différentes; et de toutes les variantes morphologiques, celle-ci est pour l'observateur la plus frappante. Tantôt, la haie, le sep et les étançons dessinent un quadrilatère voisin du rectangle; tantôt ils forment un trapèze dont un des petits côtés est presque inexistant, si bien qu'au premier coup d'œil on pourrait croire que le bâti dessine un triangle. La direction de la haie se trouve alors fortement ascendante d'arrière en avant ; elle forme avec l'horizontale un angle de l'ordre de 45°.

 

Toute les charrues de Basse-Normandie appartiennent au type d'assemblage rectangulaire.

 
     
 

Fig. 2. — Charrue sans avant-train ; régulateur de direction en fer à l'extrémité de l'âge;

versoir hélicoïdal très développé.

Picauville, canton de Sainte-Mère-Eglise, Manche.— Musée de Normandie

 
     
 

Fig. 3. — Charrue sans avant-train; à l'avant de la haie, rouelle unique montée sur une béquille, en coulissant au travers de l'âge, règle l'entrure; régulateur de direction à l'avant de l'âge.

St-Gerniain-de- Tournebut, canton de Monteboung, Manche. — Musée de Normandie