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Château des Ravelet, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
II. RENCONTRES ET VISIONS SINISTRES.
Le 24 juin 1666, le château de Tourlaville, décoré de bannières et d'arcs de triomphe, était dans l'allégresse et avait oublié ses dates néfastes en changeant de maître. Ce jour, en effet, on voyait arriver, entre une double haie de vassaux armés de mousquets, son nouveau seigneur, baron de Gyé, Franquelot et autres lieux, qui venait visiter, pour la première fois, son château de Tourlaville, suivi d'une brillante société.
Sous l'arc de triomphe de lierre et de fleurs qui précédait la poterne, défilaient deux carrosses massifs à soupentes dorées et une suite nombreuse de cavaliers. Dans le premier de ces carrosses étaient une demoiselle de la riche maison de Lenoncourt, sa tante, abbesse de Saint-Loup d'Orléans, et le baron de Gyé. Dans le second venaient le comte de Maulévrier, les marquis de Louvois et de Villeroy, gentilshommes de la chambre de Louis XIV, et de Courcelles, directeur de l'arsenal de Paris. Autour de ces voitures s'avançait, richement monté, le chevalier du Boulay, ami de Courcelles et capitaine au régiment d'Orléans.
Il est utile, pour la suite du récit, de donner ici quelques détails sur ces divers personnages.
Robert, baron de Gyé, du caractère le plus chevaleresque, approchait de la quarantaine. Après avoir beaucoup aimé le monde à la cour de Louis XIII, il s'était épris de la vie des champs, et s'était retiré dans son château de Briseval ; mais cette vie solitaire commençait à lui peser ; il songeait au mariage quelquefois.
La demoiselle qui paraissait être l'objet de toutes ses attentions et de celles de ses amis était Sidonia de Lenoncourt, âgée de 16 ans et issue d'une des plus riches familles de Lorraine. Orpheline de bonne heure, elle avait été élevée dans un monastère d'Orléans, dont sa tante était abbesse. Grande, belle à ravir, millionnaire, elle avait été retirée du couvent par ordre de Louis XIV, qui voulait la marier au comte de Maulévrier, frère du grand Colbert. Mais Sidonia, très gâtée par l'hôtel de Soissons et douée d'un esprit fin et fantasque, s'était fait un plaisir de contrecarrer le projet du roi, en appelant, comme concurrents de Maulévrier, plusieurs autres compétiteurs, qui étaient devenus promptement ses amants. Les mémoires du siècle ont conservé quelques détails sur l'extérieur de sa personne. Ses yeux, rapportent-ils, étaient d'un bleu-brun charmant et à demi fermés, ce qui leur donnait une expression de grâce indéfinissable ; elle avait la taille svelte et bien prise, les mains admirables. Elle mettait pour condition à son mariage de ne point quitter Paris, de ne jamais aller à la campagne et de faire toujours sa volonté sans contrôle [6].
Bien que cette dernière condition fut peu rassurante pour un mari, Maulévrier n'en avait pas moins continué ses assiduités ; d'autres concurrents n'en étaient pas moins venus se mettre sur les rangs près de lui. Ils étaient au nombre de trois, bien connus par toute la cour de St-Germain. C'étaient le marquis de Louvois, qui devint plus tard un des ministres de Louis XIV, le séduisant marquis de Villeroy et le marquis de Courcelles, qui n'avait pour lui que le mérite d'être neveu du maréchal de Villeroy et cousin du précédent.
A cette brillante pléiade était venu s'adjoindre le baron de Gyé. La figure, les grâces patriciennes et la fortune de Sidonia lui convenaient. Il avait demandé sa main et n'avait pas été refusé. Il avait su mettre dans ses intérêts l'abbesse Marie de Lenoncourt, tante de la jeune personne ; mais le point le plus difficile n'était pas là. Il ne s'était pas rendu compte de la rude concurrence qu'à son âge il avait à soutenir et des mystifications qu'avec le caractère bizarre de Sidonia il aurait à supporter. Il avait cru avancer ses affaires et réconcilier Sidonia avec la campagne en la priant de venir passer quelque temps au château de Tourlaville, au milieu de fêtes champêtres
En loyal gentilhomme, il avait invité en même temps ses rivaux, afin de mettre Sidonia en mesure de fixer enfin son choix. Il s'était donc rendu à St-Germain pour y prendre Mademoiselle de Lenoncourt, sa tante et les personnages que nous avons désignés plus haut. On s'était mis joyeusement en route, et, après un séjour de quelques heures à Carentan, à l'hôtel de Gyé, on s'était dirigé vers Tourlaville.
Dès qu'on eut mis pied à terre, on conduisit les deux dames à leur chambre. On avait disposé le salon bleu pour recevoir Sidonia. Les riches emblêmes du plafond, où les anciens seigneurs de Tourlaville avaient chiffré leurs emblêmes au milieu d'un labyrinthe de filets et de moulures d'or bruni, une rosace dorée, d'où pendait un lustre de vermeil, le sujet mélancolique et doux qui ornait le médaillon de la cheminée, tout était digne d'une beauté aussi romanesque que Sidonia. De chaque côté de la riche alcôve, décorée de panaches blancs et où des rideaux de damas de soie à crépines laissaient arriver un jour mystérieux, étaient placés deux meubles incrustés d'argent. Une mignonne cheminée de marbre bleu turquin, à lambrequins de cuivre ciselé, avec glace de Venise à biseaux, candélabres et pendule de même style, complétait l'ameublement de ce riant séjour.
Le 25 juin 1666. - Midi venait de sonner à l'horloge du château lorsque les convives du baron se réunirent dans la salle à manger. La charmante Sidonia, aux longues sévignés blondes, à la toque cerise balançant une plume blanche, au surtout bouton d'or sur robe de dentelle de Flandre, vint se placer à table à droite du baron. Aux pieds de Sidonia se roula en boule, la tête sur ses pattes comme sur un coussin, et balayant le parquet de ses longues oreilles soyeuses, un charmant petit chien au front bombé et aux taches de feu.
Ce matin, mon cher baron, dit Villeroy, après m'être levé dès l'aube, après avoir dessiné sur le sable de votre jardin le sombre manoir de Tourlaville, la vallée qui le porte à regret et le parc qui s'incline de honte d'avoir couvert tous les crimes de vos prédécesseurs dans ce château [7], je me suis mis en route seul pour visiter les environs, et je suis arrivé sur une lande immense, où je n'ai pas tardé à m'égarer. Au milieu de mes perplexités, j'ai aperçu un pâtre mélancolique, assis sur un cromeleck, une houlette à la main et gardant un noir troupeau. J'ai galopé vers le pâtre pour savoir si j'étais éloigné du château de Tourlaville. Il m'a répondu que non, et, montant sur le cromeleck, il m'a montré, entre deux chênes inclinés, une des tourelles du château. Je lui ai demandé s'il avait entendu parler des crimes commis au temps des Ravalet. A ce nom le berger s'est arrêté brusquement et a manifesté une vive émotion ; son corps a paru frissonner ; son chien noir a hurlé rauquement. Seigneur, m'a-t-il dit, vous me faites-là une demande terrible et qui rouvre de vieilles blessures ; rétractez-vous votre demande ou persistez-vous ? Je persiste, ai-je répondu. Jugez, a-t-il repris, si je les connais ! je suis le petit-fils de cet écuyer dont la femme périt sous les coups des Ravalet. Grand Dieu ! me suis-je écrié, vous le petit-fils de cette infortunée ! Oui, seigneur, lui-même ; mais regardez ce hêtre, - je le regarde. - C'est à l'ombre de cet arbre que mon aïeul se reposa lorsqu'il s'échappa du château de Tourlaville après avoir poignardé l'auteur du crime.
Mon cher Villeroy, dit ensuite le marquis de Louvois, j'ai voulu aussi ce matin visiter les environs de ce redoutable château, et comme vous j'ai rencontré le sinistre berger sur cette lande où les ajoncs s'agitent comme des revenants en peine de prières. Où sommes nous ici, berger, me suis-je écrié ? A la ferme du sire de Houtteville, m'a-t-il répondu, au domaine détruit par les Ravalet. Mais la forêt qui l'ombrageait, qu'est- elle devenue ? Incendiée, m'a-t-il dit, incendiée par les Ravalet. Guidé par le pâtre, je n'ai pas tardé à arriver près des restes de Houtteville. Des ruines sont amoncelées dans un vivier qu'elles ont comblé. La moitié du bâtiment est encore vigoureusement debout ; un colombier bien conservé s'élève d'un grand bouquet de chênes, et offre l'image d'un soldat assistant à la dévastation d'un champ de bataille. Le pont-levis est ironiquement levé devant une muraille absente et sur un fossé sans eau comblé d'ajoncs ; des bouleaux chétifs ont envahi les salles basses, et semblent s'y promener sur deux rangs comme des nains mystérieux. Un escalier monte vers des appartements qui n'existent plus. Le vent du Roule a ensemencé toutes les ruines et les a couvertes d'une végétation capricieuse.
J'ai été plus matinal que MM. de Villeroy et de Louvois, dit à son tour le marquis de Courcelles ; aussi ai-je fait une rencontre bien autrement extraordinaire. Je couchais dans le boudoir brun ; le sommeil fuyant mes paupières, je me suis levé après minuit, ai pris mon épée sous mon bras et me suis dirigé vers le souterrain dont vous m'avez parlé hier. Là, j'ai vu le spectacle le plus étrange. Au milieu d'un paysage riant, une châtelaine était assise entre deux adolescents qu'elle nommait Julien et Marguerite, et qui jouaient en une prairie émaillée de mille couleurs. Ils avaient dans leur corbeille les fleurs de la terre et les papillons du ciel. Les marguerites et les boutons d'or scintillaient sous leurs pas, dans une herbe verte et touffue ; les chardonnerets voltigeaient à la portée de leurs mains. Tout-à-coup est survenu un violent orage qui les a forcés à la retraite. Aux lueurs sulfureuses des éclairs qui blanchissaient la poterne, ils ont pris leur course vers un sentier menant aux oubliettes du château. La nuit a déployé toutes ses hallucinations ; les prunelles du hibou ont brillé à travers les branches sèches des arbres morts ; la lune a répandu une lumière terne sur un long souterrain en ruines, aux parois duquel étaient suspendus des squelettes de petits enfants. J'ai vu alors une vieille à mine ignoble tenant entre ses bras décharnés le corps inerte d'une belle jeune fille évanouie et poursuivant avec ce fardeau un adolescent qui, la figure bouleversée, les cheveux dressés d'horreur, fuyait avec rapidité. Des têtes de spectres s'avançaient curieusement par les interstices des ruines du souterrain et paraissaient jouir de cet affreux spectacle.
Bon Dieu ! s'écria Sidonia, quel conte faites-vous là, monsieur de Courcelles, et comment de pareilles horreurs ont-elles pu venir en rêve à un gentilhomme ! Ce n'est point un rêve, adorable Sidonia, j'ai vu dans ce château maudit tout ce que je viens de raconter. C'est fort discutable, dit le baron de Gyé, en se penchant à l'oreille de l'abbesse, qui, prenant une prise de tabac d'Espagne dans sa boîte d'or, lui répondit : Laissons tout cela, baron, et faisons ici comme pour la bonne chère et la politique : ne pénétrons pas trop les secrets des cuisines et ceux des cabinets. C'est évident, ajouta étourdiment Courcelles, madame aime mieux qu'il y ait un plat de plus au château, et que le vin y soit bon.
On en était là lorsqu'on entendit des psit ! psit ! dont nous parlerons au chapitre suivant. | ||||||||||||
Château des Ravalet à Tourlaville | ||||||||||||
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Gravure du château des Ravelet vers 1850, collection CPA LPM 1900 | ||||||||||||
Histoire anecdotique du vieux Cherbourg et de ses environs Par Emile Le Chanteur de Pontaumont Publication Paris : Dumoulin & Gouin, 1867
LE CHATEAU DE TOURLAVILLE EN 1666.
Au fond d'une fertile vallée des environs de Cherbourg, derrière un épais massif de hêtres et de chênes, se cache le manoir de Tourlaville, où il s'est passé d'effrayantes choses, et où, autrefois, le beffroi n'a jamais tinté minuit sans que le coeur du passant ait éprouvé douze battements à cette heure officielle des visions nocturnes. Demi-voilé, paraissant et disparaissant à chaque souffle du vent, ce château semble avoir été bâti par une sombre imagination, qui n'a pas créé les fantômes, mais qui les a perfectionnés ; qui n'a pas pris ses héros dans le monde réel, mais qui les a exhumés de ce monde sans nom, uniquement peuplé d'êtres fictifs.
Pour se livrer en conscience à l'étude du plan de ce sinistre édifice, l'architecte a dû se retirer à l'écart et se faire une vie conforme à sa vocation d'artiste infernal. Rien de terrible, en effet, comme les souterrains de Tourlaville, creusés, vers 1547, par ce sombre génie. Il avait dû consulter les fantômes, causer avec les revenants, appeler les farfadets, conférer avec les lutins et les aspioles. Le XVIe siècle n'est plus, le nôtre a bien changé : on ne croit plus à rien aujourd'hui. La mythologie des ombres a été détrônée, elle est tombée dans le néant. Nous sommes tous des esprits forts, et minuit n'est plus pour nous une heure formidable, mais simplement le milieu de la nuit ; nous souperions avec les spectres de Julien et de Marguerite de Ravalet, si ces infortunés donnaient encore à souper en leur manoir.
Le château de Tourlaville, construit dans le goût de la Renaissance avec tous les caprices élégants de l'architecture de cette date, est assis au fond d'une vallée où l'on aperçoit, par une clairière, Cherbourg sur sa nappe d'azur. Quand la bise d'automne, après l'avoir dépouillé de son frais vêtement, force ce suspect manoir d'étaler au jour les mystères de ses retraites ombreuses, au plaisir de la curiosité satisfaite se mêle un vague sentiment de terreur. Il y a un souffle sinistre dans les grands arbres qui l'entourent, et l'oeil, en plongeant librement dans le vide des bosquets défeuillés, retrace à l'esprit les criminels projets que leur ombre a dû couvrir autrefois. Les touristes d'automne qui parcourent les environs si délicieux de Cherbourg n'entrent pas tous dans le manoir de Tourlaville. Après avoir dépassé son pont-levis chargé de lierre, la plupart aiment à détourner leur pensée de la mémoire lugubre des Ravalet et à reporter leurs yeux sur les fertiles campagnes d'alentour. Ils aiment à saluer d'un dernier regard ce rare soleil de la Manche, qui perce de ses rayons encore chauds les bois dépouillés à demi de leur riche parure ; ils se complaisent à entendre dans le lointain les chants de l'alouette qui s'élance gaiement dans les airs.
Ceux des touristes qui s'enhardissent à pénétrer dans l'enceinte du château, ressentent aussitôt une impression mélancolique. Les grilles gémissent en tournant sur leurs gonds rouillés, et ils croient voir un pli de robe disparaître à travers les arbres, comme si l'âme d'une Ravalet s'enfuyait, surprise par leur approche. Les charmilles, non élaguées, les retiennent au passage par leurs rameaux et semblent les supplier de ne pas aller plus loin. La mousse et l'ortie ont poussé entre les dalles disjointes du kiosque oublié ; les roses, étouffées par les herbes officinales ont des parfums étranges qui donnent le vertige. Dans l'étang, l'eau noire croupit sous les vertes lenticules, et la tête de marbre d'un amour, jadis délicieux, est tronquée et camarde comme le masque de la mort.
Le château conserve encore un cachet de grandeur et d'élégance. La Tour des Vents, vaste bâtiment octogone qui le domine, étend ses murs noircis sous les anneaux nombreux de lierres épais. Du côté du préau, on remarque une sculpture fort belle précédée des ruines d'une vieille tour ronde, à meurtrières, souterrain et oubliettes, seuls restes du château de 1547. La façade de l'édifice est des plus élégantes : les croisées, à pilastres corinthiens, ont un entablement complet ; les portes sont d'un ordre ionique, ainsi que les fenêtres de la tourelle de l'est ; les soupiraux des caves sont du goût le plus délicat. La vieille tour ronde dont nous avons parlé ci-dessus a son entrée dans le préau par une porte au rez-de-chaussée. En cas d'assaut de l'ennemi, on avait dirigé sur le seuil de cette porte trois meurtrières : la plus grande correspondait diagonalement au 1er étage de la tour ; les deux autres font face au détour de l'escalier tournant qui descendait aux oubliettes. Cette tour était en outre défendue par une dizaine de meurtrières.
L'escalier qui conduit aux différents étages de la Tour des Vents, au lieu d'être tournant comme dans la plupart des donjons, se termine et recommence à chaque étage, de sorte que, pour arriver au sommet, il faut passer par toutes les salles intermédiaires. Toutefois, à partir de la porte du rez-de-chaussée, il devient tournant pour descendre plus bas et embrasse la circonférence entière de la tour. Là se trouve une porte qui mène à une salle sombre, enterrée du côté du préau, dégagée de l'autre côté, et communiquant elle-même avec une autre salle plus vaste située sous le château actuel. Celle-ci a une voûte soutenue par une double rangée de pilliers et donne encore issue dans une petite cour entre les murs d'enceinte du château et ceux de la première salle dont j'ai parlé ; la porte est bardée de fer. L'autre partie du château est occupée presque en entier par quatre grandes salles, à vastes cheminées de la Renaissance, à peintures et à devises retraçant de sombres souvenirs à ceux qui connaissent en détail les annales de Tourlaville. Le plafond du boudoir situé dans une tourelle triangulaire et celui du salon de la tour des Vents présentent des toiles mythologiques qui ne manquent pas de grâce. La plus importante des peintures du château et la mieux conservée est celle qui est placée sur la cheminée d'une des grandes salles du premier étage. Elle offre le portrait de Marguerite de Tourlaville, portant, par suite d'un anachronisme dû à Charles de Franquetot, seigneur en 1642, les modes du règne de Louis XIII. Elle est debout dans le préau, environnée d'amours aux yeux bandés,qu'elle repousse pour sourire à un seul dont les yeux sont sans bandeau. De la bouche de Marguerite part cette légende : Un me suffit. Dans les autres pièces du château, on lit encore d'autres inscriptions, dues également à Charles de Franquetot. On y remarque celles qui suivent : Ce qui me donne la vie me cause la mort. - Sa froideur me glace les veines et son ardeur me brûle le coeur. - Même en fuyant on est pris. Plus loin on lit ces deux vers :
Plusieurs sont atteints de ce feu Mais ne s'en guérit que fort peu.
Et ensuite des allégories avec ces légendes :
Ces deux n'en font qu'un - et Ainsi puissai-je mourir !
Le château de Tourlaville a longtemps appartenu à une famille éteinte aujourd'hui, et dont le nom est marqué dans la tradition locale par une longue suite de crimes. C'est un Ravalet, seigneur de Tourlaville, qui assassine son frère ; c'est un Ravalet qui fait pendre des vassaux au gibet du château, parce que ces malheureux n'ont pas fait moudre leur blé au moulin seigneurial ; c'est un Ravalet sur lequel plana l'affreux soupçon d'avoir enlevé la femme d'un de ses écuyers et de l'avoir, après une orgie de nuit, tuée à coups de boule au milieu d'un jeu de quilles, dans un des fossés du château, où on la trouva au jour sanglante et inanimée. C'est un Ravalet qui, pour se venger d'un sire de Houtteville, dont les ânes étaient venus accidentellement paître dans un de ses prés, brûla deux de ses fermes. C'est un Ravalet cité comme zélé ligueur, qui, pour se débarrasser d'un curé de Tourlaville censurant ses vices, l'assassina de sa propre main au pied de l'autel, le jour de Pâques. Cette longue série de forfaits est terminée par le crime qui conduisit la belle Marguerite de Ravalet et Julien son frère à porter leurs têtes sous la hache du bourreau, en place de Grève à Paris, le 2 décembre 1603. On retrouve quelques années plus tard un arrêt du parlement de Rouen qui condamne à la peine de mort cinq domestiques d'un Ravalet de Tourlaville, pour avoir tué leur maître dans la grande salle du château, au premier étage.
A la suite de cet arrêt, le nom de Ravalet disparut à Tourlaville. La famille qui le portait alla se fixer à Bayeux, où le dernier de ses membres s'éteignit en 1733
Le domaine de Tourlaville et son château passèrent, après le départ des Ravalet, dans la maison de Gyé. Elle le possédait à l'époque où se place le récit qui commence au chapitre suivant. | ||||||||||||
Château des Ravalet à Tourlaville | ||||||||||||