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Querqueville Foire Saint Clair CPA collection LPM 1900 |
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Notice sur l’origine et rétablissement DE LA FOIRE SAINT CLAIR, DE QUERQUEVILLE, Lue à la Société nationale académique de Cherbourg Sous la séance publique du 10 Octobre 1852.
Messieurs, la foire Saint-Clair attire chaque année dans la plaine de Querqueville un si grand concours de monde, elle est devenue une fête si populaire pour les habitants de Cherbourg, que peut-être vous n'écoulerez pas sans intérêt quelques détails sur l’origine et rétablissement de cette foire. Ces détails sont d'ailleurs entièrement inédits, et je dois commencer par dire de quelle manière ils sont venus à ma connaissance.
Lorsque, à la fin du siècle dernier, les châteaux des nobles furent pillés, et leurs chartriers lacérés et détruits par les paysans, qui voulaient ainsi anéantir jusqu'à la trace des redevances féodales, les archives du château de Nacqueville subirent le sort commun , et furent brûlées en grande pompe par les anciens vassaux de la seigneurie ; mais, parmi les nombreux papiers et parchemins que l'on jetait au feu, quelques feuillets portant en tête des pages ces mots Foire Saint-Clair, attirèrent les regards d'un des assistants, et durent à sa curiosité d'échapper aux flammes. Plusieurs fois j'avais entendu des vieillards de Nacqueville raconter ces détails: je parvins à découvrir le possesseur actuel de ces parchemins et je m'empressai de les lui acheter. Un se composent de quatre feuillets qui ont évidemment fait partie d'un volumineux recueil de titres relatifs aux seigneuries des Mareslz et de Fourneville , et contiennent les copies de divers actes copies collationnées par deux tabellions au commencement du XVIIeme siècle, autant, du moins, que je puis en juger par le caractère de l'écriture.
Parmi ceux de ces titres qui concernent la foire Saint-Clair, le plus important est la charte d'établissement de cette foire, concédée au seigneur de Nacqueville par le roi Philippe-le-Long en l'an 1318.
Il est à remarquer qu'un grand nombre de foires de notre pays ont été instituées vers cette époque; ainsi nous en trouvons une vingtaine qui date de 1300 à 1330 : quelques autres sont plus anciennes, mais à cet égard, on ne rencontre plus de documents antérieurs au XIeme siècle.
On comprend assez, sans qu'il soit besoin d'insister sur ce point , de quelle nécessité étaient surtout alors , pour le commerce et les échanges, ces grandes assemblées de marchands venus de contrées diverses et souvent lointaines. Outre ces avantages d'utilité générale , les foires offraient encore des profits assez considérables au seigneur du territoire où elles avaient lieu ; aussi la concession d'une foire , c'est-à-dire la permission de l'établir, était-elle une faveur vivement sollicitée du souverain, et quelquefois même achetée : c’est ainsi qu'en Tan 1200, Raoul de Baudritot donna au roi treize besans ou pièces d'or, pour obtenir une foire d'un jour à la Saint-Michel près la chapelle d'EtoUblon, dans la paroisse de Teurthéville-Hague.
La foire Saint-Clair fut établie à Nacqueville, et non à Querqueville, à la demande du seigneur des Maretz, Herbert Carbonnel, de la puissante et ancienne famille des Carbonnel, qui conservèrent la seigneurie de Nacqueville depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVeme siècle, possédèrent tant de fiefs dans notre presqu'île, devinrent plus tard marquis de Canisy , et portaient pour armes : Coupé de gueules sur azur, à 3 besans d'hermine, S en chef, sur gueules , et un en pointe sur azur. La charte d'érection est rédigée en lutin comme toutes les ordonnances de cette époque ; je vais en donner une traduction entièrement littérale :
Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français et de Navarre. Entre les titres de gloire par lesquels il convient que la dignité royale se manifeste, nous pensons que ce n'en est pas un des moindres que de se montrer libérale et binfaisante en tout ce qui regarde Tutilité publique. Ainsi, de la part de notre amé maître Herbert Carbonnel, clerc, seigneur pour la plus grande part du village de Saint-Laurent de Nacqueville, nous a été présentée une bumble supplique à cette fln que nous daignions concéder de notre bonté royale rétablissement d'une foire devant se tenir dans cette paroisse chaque année à venir, la veille et le jour de la fête Saint-Clair; c'est pourquoi, nous, considérant qu'il en pourra résulter un grand avantage pour tout le pays, et que nous pouvons accorder cette foire sans qu'il en résulte qu’aucun préjudice ou dommage pour nous ni pour autrui, et de plus, que par là le fief qu’il tient de nous dans la susdite paroisse peut être amélioré et augmenté, selon qu'il nous est apparu clairement par l'enquête faite à notre demande et à nous rapporter, — ordonnons, statuons, et concédons de notre autorité royale, par les présentes lettres, l'établissement de ladite foire qui devra se tenir chaque année à l'avenir aux dis jour et veille de la fête de Saint-Clair; — et, tous et chacun des marchands qui viendront à cette foire, ainsi que les marchandises qu'ils y amèneront ou apporteront et feront amener ou apporter , nous les prenons sous notre royale sauvegarde et protection spéciale, pendant le temps qu'ils viendront à cette foire, qu'ils y séjourneront et qu'ils s'en retourneront de ladite foire; et voulons et ordonnons qu'ils soient protégés contre toutes injustices, violences, oppressions et dommages, par les soins du bailli de Cotentin qui sera alors en fonctions. Et afin que ce soit chose ferme et stable à l'avenir, nous avons fait apposer notre scel aux » présentes lettres, sauf toutefois notre droit et le droit d'autrui en toutes choses. Fait à Paris l'an de Notre-Seigneur mil trois cent dix huit, au mois de mai. Par le roi notre sire et à la relation du trésorier de Rheims, signé : J. du Temple.
Cette lettre-patente était scellée de cire verte, avec lacs de soie verte et cramoisie.
Il ne sera sans doute pas inutile d'expliquer ici ce que l'on entendait par le canduit des foires, cette expression sut conductu regio, étant employée dans la charte du roi Philippe. En ces temps de troubles et de désordres où les vols à main armée étaient chose commune , il était nécessaire, afln d'engager les marchands à s'exposer aux chances d'une longue route, de leur offrir une garantie pour leur sûreté personnelle et celle de leurs denrées. On leur accorda donc ce privilège d'être indemnisés de toutes les pertes de cette nature qu'ils pouvaient éprouver, soit dans fe cours de leur voyage, soit pendant leur séjour au lieu de la foire. Ainsi, s'ils étaient volés en chebin, le seigneur de la terre où le vol avait été commis , était obligé do rembourser le dommage ; si le vol avait lieu dans une hôtellerie , c'était à Thôte à tenir compte au marchand de la soustraction faite chez lui; et s'il arrivait que l'hôte ne fût pas solvable et que le marchand se trouvât dans une ville de loi, ce dernier pouvait encore avoir recours contre le haut-justicier de la ville. Ces privilèges, comme on le voit, étaient d'une grande importance. |
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Querqueville Foire Saint Clair CPA collection LPM 1900 |
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D'un autre côté, pour prévenir les abus, pour empêcher que, sous la protection du conduit, des ventes et transactions n'eussent lieu avant que les denrées fussent parvenues sur remplacement de la foire , tout marchand qui les portait ailleurs, ou les déployait et vendait en route , était saisi et mis entre les mains du seigneur, et l'on confisquait ses marchandises au profit du roi. Telle était la nature du conduit des foires, ainsi que nous le voyons par un manuscrit de la Cour des comptes de Paris, cité par Ducange dans son glossaire de la basse latinité ; et ces privilèges se trouvaient accordés aux marchands de la Saint-Clair, en vertu de la charte royale.
Pourquoi le jour de la fête de Saint-Clair fut-il choisi par Herbert Carbonnel pour rétablissement, d'une foire à Nacqueville ? Le motif en sera facilement compris par les personnes quelque peu familières avec l'histoire de notre pays. On sait en effet qu'après être venu d'Angleterre à Cherbourg, vers le milieu du IIeme siècle, saint Clair se retira dans la forêt existant alors à Nacqueville, où il vécut deux années avant de se rendre au monastère de Madwin. Après son martyre, les divers lieux qu'il avait habités et rendus célèbres par ses miflacles, reçurent la visite de nombreux pèlerins, et la grande vénération vouée à son culte y fit bientôt établir des chapelles sous son invocation. La chapelle Saint-Clair de Nacqueville fut sans doute une des premières qui furent élevées en son honneur; du moins elle existait déjà au commencement du XIeme siècle, puisqu'en l'an 1231, elle fut assurée aux religieux de l'abbaye de Notre-Dame-du-Vœu près Cherbourg, à condition qu'ils paieraient 10 sols au chapitre de Coutances. J'ai trouvé dans les archives de l'église de Nacqueville une charte latine datée du vendredi d'avant la fête Saint- Pierre-ès-Liens, de l'année 1255, par laquelle Richard de Saint- Martin donne à l'abbé et aux religieux de Notre-Dame-du-Vœu, 18 derniers de rente pour le salut de son âme, et en outre donne et concède à Dieu et à la chapelle du bienheureux Clair de la paroisse de Nacqueville, un boisseau de froment de rente annuelle, à prendre sur le moulin de Nacqueville, pour entretetenir le luminaire dans ladite chapelle. De semblables dons devaient être fréquents, car en l'an 1264, l'évêque de Coutances , Jean d'Essey , termina un différend qui s'était élevé entre les chanoines réguliers de Cherbourg et le curé de l'église Saint-Laurent de Nacqueville , au sujet des offrandes faites à la chapelle Saint-Clair.
On voit par ce qui précède qu'au moyen-âge celte chapelle était un lieu de pèlerinage tr ès-fréquenté , particulièrement le jour de la fête du saint martyr; c'était donc une circonstance des plus favorables pour y établir une foire à cette même époque, et c'est ainsi du reste qu'ont pris naissance la plupart des assemblées qui ont lieu dans nos paroisses le jour de la fêté patronale. Mais on comprend qu'en cette circonstance les religieux de l'abbaye de Cherbourg qui jouissaient déjà du revenu de la chapelle et retiraient un grand profit de l'immense concours des pieux visiteurs, devaient se trouver intéressés dans cette affaire ; c'est ce que prouve un acte inséré dans le manuscrit que je possède.
En effet, les religieux de Cherbourg prétendirent d'abord que Herbert Carbonnel ne pouvait établir une foire près de la chapelle Saint-Clair, où ils possédaient certains droits, entre autres le droit de haute justice: cependant , comme en définitive celle foire devait leur être avantageuse à eux-mêmes, en attirant en cet endroit un plus grand nombre de personnes et par conséquent plus de chances de dons et profits, ils prirent enfin un arrangement avec le seigneur des Maretz, et à ce sujet un compromis fut passé aux assises de Valognes, tenues par Robert Jacob, lieutenant du bailli de Cotentin , le mardi d'après le dimanche où l'on chante lœiare Jérusalem àe l'année 1317, entre Guillaume Carbonnel, chevalier, agissant au nom de son frère Herbert et frère Roger Le Rous, attomey, c'est-à-dire avocat de l'abbé de Notre-Dame-du-Vœu près Chiresbours (telle était alors l'orthographe du nom de notre ville). L'abbé consentit à ce que le seigneur des Maretz tint la foire autour de la chapelle, et si remplacement ne suffisait pas, sur les terreins environnants, sans préjudice toutefois des droits de haute justice et autres que l'abbaye y pouvait exercer; et à celle condition que le seigneur des Maretz ne pût jamais éloigner rassemblée des alentours de la chapelle; en outre, Herbert Carbonnel devait s'engager, pour lui et ses successeurs, à donner en héritage à l'abbaye du Vœu, cinq sols tournois de rente a prendre sur les émoluments ou taxes de la foire.
Quelles élaicnt ces laxes? Quelles étaient les impositions prélevées par les seigneurs sur les marchands qui venaient aux foires? Ces redevances connues sous le nom général de Coutumes des foires, étaient de diverses natures et variaient suivant les localités. Dans un aveu de l'an 1465 relatif à une autre foire de notre pays , la Saint-Nazaire de Gréville , nous voyons que le seigneur de cette paroisse avait « droicl de » prendre sur chacun estallter deux deniers tournois ; sur chacun mercier venant à cheval , deux escbeveaulx de fil et des aultres à pied deux eguilles ; sur chacun verrier ung voirre à pied et ung sans pied ; sur chacun saulnier de la <• chartée ung boisseau et de la somme un quarsonnier, et » de chacun potier ung pot à ance et l'aultre sans ance, et de chacun tavernier ung galion de boirre , tel qu'il aura apporté à ladicte foire , fors le premier arrivé qui ne paie » rien. » Je ne sais si le seigneur des Maretz percevait ces diverses taxes, mais il prenait certainement un denier de chaque marchand entrant dans la foire , ce qui était spécialement nommé le droit de coutume; puis en outre un second denier était exigé des étaleurs , comme droit de siège ou terrage. Je vois par un acte du 17 juillet 1556 qu'en cette même année plusieurs étaleurs se réfusèrent à payer ce second denier sous prétexte quMls étalaient à terre et non sur des tables, et prétendirent ne devoir acquitter que le denier de coutume. Une enquête fut ouverte à ce sujet par le sénéchal de la seigneurie des Maretz, et comme il fut prouvé que de tout temps le droit de terrage avait été requis aussi bien de ceux qui déposaient leurs marchandises à terre que de ceux qui se servaient de tables ou étaux, ces marchands furent condamnés à payer le droit aux fermiers de la foire.
Tels son, Messieurs, les documents que j'ai pu recueillir sur la Saint-Clair au moyen-âge. A partir de l'an 1318, cette foire s'est tenue le 17 et le 18 juillet de chaque année, sur le territoire de la seigneurie des Marais, aux alentours de la chapelle Saint-Clair de Nacqucville. En ces jours, les religieux de l'abbaye du Vœu y célébraient les offices, et lisaient l'évangile sur la tète des personnes qui venaient implorer l'intercession du Saint, particulièrement dans l'espoir de recouvrer la vue; cérémonie qui devait, comme on le pense bien, être accompagnée d'une offrande. Cet état de choses dura jusqu'à l'époque de la révolution du siècle dernier; alors , en vertu d'un décret dont je n'ai pu connaître ni la date, ni la teneur, ni les motifs , la foire Saint-Clair fut enlevée à la commune de Nacqueville, et transférée sur le territoire de Querqueville au lieu où elle se tient actuellement le 16 juillet; mais, malgré ce changement, elle a encore conservé son ancienne dénomination dans nos campagnes ainsi qu'aux iles anglo-normandes, où elle est toujours connue sous le nom de la Saint-Clair des-Marais |
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