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Extrait de : Mémoires de la Société impériale académique de Cherbourg, t. 8 Par M. Victor LE SENS, 1860 Membre titulaire de la Société
Les connaissent héraldiques servent à rappeler beaucoup de faits curieux qui, sans leur secours, ne seraient jamais parvenus jusqu'à nous
WALTER SCOTT
Cherbourg est une ancienne ville forte ; il est impossible de fixer d'une manière certaine l'époque de sa fondation. Les médailles trouvées sur son sol, attestent qu'elle fut contemporaine des Celtes, aussi bien que des Césars. C'est le Coriallum de l'itinéraire d'Antonin. Clovis est le premier roi de France qui ait possédé Cherbourg. En 497, cette ville lui fut cédée ainsi que toutes celles des Armoriques. Jusqu'au IXesiècle, elle fut plusieurs fois pillée et ravagée par les bandes des peuples du Nord. En 912, Cherbourg passa sous la domination de Rollon, premier duc de Normandie. En 940, Aigrol, roi de Danemark, vint en cette ville avec une flotte de 60 voiles. Ce fait démontre l'existence d'un port à Cherbourg, dans ces temps reculés. Quoiqu'il en soit, au XIe siècle, cette cité était une des plus importantes de Normandie. En effet, Guillaume-le-Conquérant ayant épousé Mathilde de Flandres, sa cousine germaine, fut excommunié par le pape Léon IX ; mais il obtint dispense à condition de fonder cent places de pauvres dans chacune des quatre principales villes du duché. La ville de Cherbourg fut une de celles qu'il choisit comme étant une des plus considérables et des plus peuplées de la province.
Une autre preuve de l'importance de notre cité au moyen-âge, est le privilège que lui accorda Henri-Plantagenet, duc de Normandie vers 1150, privilège qui consistait en ce que ses habitants pouvaient, une fois l'an, expédier un vaisseau pour faire le commerce avec l'Irlande [1].
D'un autre côté, chacun sait que, dans les premières années du XIIe siècle, Louis-le-Gros porta atteinte à l'oppression féodale en mettant ses sujets en état de se défendre contre la tyrannie des seigneurs. Il vendit aux sujets des villes le droit de commune, et, par là, les bourgeois acquirent le droit d'être gouvernés par des maires, des consuls ou des échevins de leur choix ; et la plupart des villes obtinrent le privilége de se garder elles-mêmes. Nos ducs-rois Henri Ier et Henri II imitèrent le monarque Français, et leurs règnes eurent des résultats importants pour le peuple.
Sous le règne de Philippe-Auguste, l'état politique de la Normandie s'était amélioré. Les justices seigneuriales avaient en grande partie perdu de l'autorité, et la plupart des villes, s'administrant elles-mêmes, sortirent de l'asservissement où le régime féodal les avait plongées. Le commerce et l'esprit même des guerres saintes, dit l'historien Michaud, contribuèrent aussi à leur affranchissement.
Selon toute probabilité, le blason de Cherbourg remonte aux dernières années du XIIe siècle : les pièces qui le constituent concourrent à démontrer notre assertion.
Il est à remarquer que, dès le commencement du XIIe siècle, les seigneurs disposaient les signes de leur blason en triangle, c'est-à-dire posés deux et un. L'écu de Cherbourg offre la même disposition dans les pièces qui le composent. Ce mode fut adopté dans le but d'honorer la Sainte-Trinité. Les rois de France eux-mêmes, dans le siècle suivant, adoptèrent l'usage de disposer les fleurs-de-lis de leur blason en triangle. Nous citons à ce sujet, un passage extrait d'un article intitulé : Recherches historiques sur les symboles de l'autorité publique en France, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours.
« Sous le règne de Philippe-Auguste, vers 1180....., le blason commença à se constituer sur des lois fixes et générales..... Dans le principe, l'écu de France fut d'azur semé de fleurs-de-lis d'or sans nombre. Mais, dès la fin du XIIIe siècle, l'usage s'introduisit insensiblement de les réduire à trois, posées deux et une. Ce nouveau mode, plus conforme aux lois ingénieuses de l'art héraldique qui tendaient toujours à la symétrie des effets par la simplicité des éléments, eut aussi, dit-on, pour objet d'honorer la Sainte-Trinité. »
Dans une charte donnée à Paris par Charles V, au mois de février 1376, contenant la fondation faite par ce prince, du couvent de la Trinité, près de Mantes, on remarque le passage suivant :
« Les lys qui sont le symbole et le caractère du royaume de France, qui sont au nombre, non de deux, mais de trois, imitent le modèle de la Trinité incréée, le père, le fils et le saint-esprit, qui tous trois ensemble ne sont qu'un Dieu. »
Nous avons vu que les signes employés dans les armoiries avaient pour but de rappeler des actions ou des choses mémorables, que les villes tiraient presque toujours leurs emblêmes des choses qui les distinguaient, et qu'il y en a plusieurs qui ont choisi pour pièces de leur blason les marques et les symboles de leurs saints patrons. Or, ceci posé, nous dirons que la ville de Cherbourg qui, dès le XIIe siècle, était sous le double patronage de la Sainte-Trinité et de Notre-Dame, et dont les bourgeois avaient été en Palestine en 1191, a dû choisir en ce temps là, pour armoiries, un emblême qui fût tout à la fois le symbole des trois personnes divines et de la Sainte-Vierge, et le témoignage de la présence de nos pères en Terre-Sainte.
Nous allons d'abord blasonner les armoiries de Cherbourg, et ensuite indiquer quels sont les signes qui concourent à démontrer la vérité de notre assertion.
Cherbourg porte d'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois étoiles à six rais de sable, accompagnée de trois besants d'or, deux en chef et un en pointe. | ||||||||||||
L'azur, couleur saphirique et céleste, représente le ciel et peint en même temps la bonne renommée et la loyauté. Les trois besants d'or, disposés en triangle, sont tout-à-la-fois le symbole de la Trinité et l'expression du rachat des captifs.
La fasce d'argent désigne la ceinture virginale de Marie, seconde patronne de Cherbourg ; elle est semée d'étoiles parce que ces astres sont les ornements de la Sainte-Vierge, qui est appelée l'Étoile de la mer : leur nombre de trois est aussi un hommage à la Sainte-Trinité, rendu encore plus complet par les deux triangles équilatéraux qui donnent six rayons à chaque étoile. | ||||||||||||
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Nous avons vu que l'écu de Cherbourg n'a pas été concédé ; que les pièces qui le constituent le classent parmi les armes originaires ; que le mot de commune est appliqué à Cherbourg, dès le XIIe siècle ; que, dès ce temps-là, on avait arrêté des règles fixes qui déterminaient les pièces et les couleurs ; que les villes possédant des armoiries ont tiré presque toujours leurs emblêmes des choses qui les distinguaient ; qu'il y a des villes qui ont pris pour armes les marques ou les symboles de leurs saints patrons ; que dès le XIIe siècle, un grand nombre de chevaliers avaient des blasons dont les signes, disposés en triangle, avaient pour but d'honorer la Sainte-Trinité ; que l'ordre religieux des Trinitaires remonte à cette époque ; que de temps immémorial, Cherbourg a été placé sous le patronage des Trois personnes divines et de la Sainte-Vierge ; que les besants de l'écu de notre ville, tout en étant le sym-bole de la Trinité, témoignent encore de la présence des bourgeois de Cherbourg en Palestine dans le XIIe siècle, et qu'ils sont placés sur nos armoiries dans le but de rappeler des faits mémorables à la postérité. | ||||||||||||
La réunion de tous ces faits qui se lient si étroitement ne justifie-t-elle pas l'opinion que nous avons que le blason de Cherbourg remonte au moins aux dernières années du XIIe siècle ? Nous allons maintenant faire connaître les divers changements survenus dans les armes de notre ville dans les temps modernes.
En 1811, l'écu de Cherbourg reçut dans son champ une pièce honorable de plus. On y vit briller l'initiale du grand homme qui régnait sur la France.
Voici la copie fidèle des lettres-patentes données par l'Empereur.
NAPOLÉON, par la grâce de Dieu, Empereur des Français, Roi d'Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération Suisse, A tous présents et à venir, salut : Par notre décret du dix-sept mai mil huit cent neuf, nous avons déterminé que les villes, communes et corporations qui désireraient obtenir des lettres-patentes portant concession d'armoiries, pourraient, après s'être fait préalablement autoriser par les autorités administratives compétentes, s'adresser à notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire, lequel prendrait nos ordres à cet effet.
« En conséquence, le sieur Delaville, maire de la ville de Cherbourg, département de la Manche, s'est retiré par devant notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire, à l'effet d'obtenir nos lettres-patentes portant concession d'armoiries. Sur quoi notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire a fait vérifier en sa présence, par notre Conseil du Sceau des titres, que le Conseil municipal de la ville de Cherbourg, dans une délibération, à laquelle furent présents les sieurs Delaville, maire, Lebienvenu, Ingoult, Gauvin, Groult, Boudet, Mauger, Henry, Guiffart, Chantereyne, fils, Nédon, Préfosse, Le Buhotel, Collart, Vittrel, membres dudit conseil, a émis le voeu d'obtenir de notre grâce des lettres-patentes portant conces-sion d'armoiries, et que ladite délibération a été approuvée par les autorités admi-nistratives compétentes.
Et, sur la présentation qui nous a été faite de l'avis de notre Conseil du Sceau des titres, et des conclusions de notre Procureur-général, nous avons autorisé et autorisons, par ces présentes signées de notre main, la ville de Cherbourg à porter les armoiries telles qu'elles sont figurées et coloriées aux présentes, et qui sont : d'azur à la fasce d'argent, chargée de trois étoiles en fasce de sable, et accompagnée de trois besants, deux en chef et un en pointe d'or ; franc quartier des villes de se-conde classe qui est à dextre d'azur à un N d'or, surmonté d'une étoile rayonnante du même, brochant au neuvième de l'écu ; et, pour livrées, les couleurs de l'écu.
Voulons que les ornements extérieurs desdites armoiries, ainsi que ceux des autres villes de seconde classe, consistent en une couronne murale à cinq créneaux d'argent, cimier, traversée en fasce d'un caducée contourné du même, auquel sont suspendus deux festons servant de lambrequins, l'un à dextre, d'olivier ; l'autre à senestre de chêne, d'argent, noués et attachés par des bandelettes d'azur.
Chargeons notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire de donner com-munication des présentes au Sénat et de les faire transcrire sur ses registres, car tel est notre bon plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, notre cousin le Prince Archichancelier de l'Empire y a fait apposer, par nos ordres, notre grand Sceau, en présence du Conseil du Sceau des titres.
Donné en notre palais de Saint-Cloud, le douze du mois de novembre de l'an de grâce mil huit cent onze, Signé : Napoléon, Scellé le quatorze novembre mil huit cent onze, le Prince Archichancelier de l'Empire, Signé : Cambacérès. Transcrit sur les registres du Sénat, le vingt huit novembre mil huit cent onze, le Chancelier du Sénat, Signé : F. Tessier. »
NOTA. Le Sceau était suspendu par quatre rubans dont deux bleus couverts par deux jaunes. | ||||||||||||
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Sous la Restauration, le roi Louis XVIII, par une ordonnance du 26 septembre 1814, enjoignit aux villes et communes de reprendre leurs anciennes armoiries. A cet effet, la municipalité de Cherbourg se pourvut par devant la Commission du Sceau et obtint les lettres-patentes dont voici la teneur :
LOUIS, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut
« Voulant donner à nos fidèles sujets des villes et communes de notre royaume un témoignage de notre affection et perpétuer le souvenir que nous gardons des services que leurs ancêtres ont rendus aux rois nos prédécesseurs, services consacrés par les armoiries qui furent anciennement accordées auxdites villes et communes, et dont elles sont l'emblême, nous avons, par notre ordonnance du vingt-six septembre mil huit cent quatorze, autorisé les villes, communes et corporations de notre royaume, à reprendre leurs anciennes armoiries, à la charge de se pourvoir, à cet effet, par devant notre Commission du Sceau, nous réservant d'en accorder à celles des villes, communes et corporations qui n'en auraient pas obtenu de nous ou de nos prédécesseurs, et par notre autre ordonnance du vingt-six décembre suivant, nous avons divisé en trois classes lesdites villes, communes ou corporations. | ||||||||||||
En conséquence, le maire de la ville de Cherbourg, département de la Manche, autorisé à cet effet par délibération du Conseil municipal, du vingt février mil huit cent quinze, s'est retiré par devant notre Garde-des-Sceaux, Ministre Secrétaire d'État au département de la Justice, lequel a fait vérifier, en sa présence, par notre Commission du Sceau, que le Conseil municipal de ladite ville de Cherbourg a émis le voeu d'obtenir de notre grâce des lettres-patentes portant confirmation des armoiries suivantes : d'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois étoiles à six rais de sable, accompagnée de trois besants d'or, deux en chef, un en pointe, desquelles armoiries ladite ville était anciennement en possession. Et sur la présentation qui nous a été faite de l'avis de notre Commission du Sceau, et des conclusions de notre Commissaire, faisant près d'elle fonctions du ministère public, nous avons, par ces présentes, signées de notre main, autorisé et autorisons la ville de Cherbourg à porter les armoiries ci-dessus énoncées, telles qu'elles sont figurées et coloriées aux présentes.
Mandons à nos amés et séaux Conseillers en notre Cour royale de Caen, de publier et enregistrer les présentes ; car tel est notre bon plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, notre Garde-des-Sceaux y a fait apposer, par nos ordres, notre grand Sceau, en présence de notre Commission du Sceau.
Donné à Paris, le septième jours de mars de l'an de grâce mil huit cent dix-huit, et de notre règne le vingt-troisième, Signé : Louis. Vu au Sceau : le Garde-des-Sceaux, Ministre d'État au département de la Justice, Signé : Pasquier. Par le Roi : le Garde-des-Sceaux, Ministre Secrétaire d'État au département de la Justice, Signé : Pasquier. Est écrit au dos : enregistré à la Commission du Sceau, registre V, folio 95. Le Secrétaire général du Sceau, Signé : Cuvillier. »
NOTA. Le Sceau est suspendu par quatre rubans rouges, couverts par quatre verts.
Enfin, l'Empereur Napoléon III, sur la demande à lui adressée par le Conseil municipal le 14 avril 1858, a autorisé la ville de Cherbourg à reprendre les armoiries concédées par Napoléon 1er.
Reproduction d'une lettre de l'héraldiste M. Lainé, Généalogiste des rois Louis XVIII et Charles X, au sujet du blason de notre localité. | ||||||||||||
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