CHERBOURG
  CU 15.01 CHERBOURG EN COTENTIN
   
  FABRIQUES DE DRAPS
         
 

Notice sur les anciennes

Fabriques de Draps de Cherbourg

Lue à la Société académique de Cherbourg,

dans sa séance publique du 3 avril 1854.

 

Messieurs,

 

Dans le cours de l’existence d'une ville, il est des institutions qui, après avoir duré un certain nombre d'années, quelquefois des siècles, disparaissent sans laisser d'autres traces de leur passage que quelques lignes dans les annales de la cité. De ces institutions, les unes sont de nature à nous faire mieux comprendre les mœurs et les usages d'un temps déjà loin de nous ; elles présentent ainsi un intérêt tout spécial à l'historien. D'autres furent utiles et concoururent au bien-être du pays; de quelque modeste importance qu'elles puissent paraître, il est juste d'en conservé le souvenir.

 

Auguste-François Le Jolis

 
         
 

C'est surtout aux académies de province qu'il appartient d'enregistrer ces faits, de rassembler ces "matériaux de l'histoire locale, de recueillir avec un soin pieux les traditions de nos ancêtres. Si donc il arrive à notre connaissance quelque particularité de l'histoire de notre ville qui ait échappé jusqu'alors aux investigations de nos devanciers, il est de notre devoir de la tirer de l'oubli, et de lui restituer une place dans les récits du passé.

 

C'est ce motif, Messieurs, qui m'engage à vous entretenir aujourd'hui d'une branche de commerce autrefois importante à Cherbourg, inconnue maintenant, et sur laquelle aucun des historiens de notre ville n'a donné de détails circonstanciés : je veux parler des manufactures de draps qui florissaient dans nos murs au XVIIeme siècle.

 

On lit dans la Vie de M. Paie, curé de Cherbourg : Sa plus grande curiosité était de savoir si les draps se vendoient à Paris, et aux foires de Caen et de Guibray, car c'étoit cette marchandise qui faisait subsister les pauvres de Cherbourg, et on le voyoit affligé et inquiet quand ce commerce n'alloit pas bien.

 

— Dans son histoire manuscrite de Cherbourg, M. de Chantereyne se borne à dire qu'il y avait dans notre ville une bonne manufacture de draps. Une citation tout aussi laconique se voit également dans un manuscrit de notre bibliothèque. Enfin on lit le passage suivant dans r Annuaire de la Manche pour l’an XI : On fabrique dans cette ville (Cherbourg) des draps et des toiles de lin. Voilà, Messieurs, les seules indications que l’on rencontre chez nos chroniqueurs sur l'existence de cette industrie à Cherbourg.

 

Mais, dans une liasse de chartes et autres pièces historiques recueillies par M. de Chantereyne, et qui ont été dernièrement offertes à notre bibliothèque communale en même temps que les mémoires inédits de ce savant sur l'histoire de notre pays, j'ai remarqué un cahier portant ce titre : « Statuts » de la manufacture de draps de la ville de Cherbourg, du n 10 avril 1668; et par la lecture de ces statuts, j'ai pu me rendre compte de l'organisation et de l'importance que présentaient ces fabriques voilà bientôt deux siècles. C'est une analyse rapide de ce document que je vais avoir l'honneur de vous présenter; mais, auparavant, je crois devoir, Messieurs, indiquer ici en peu de mots à quelle occasion ces statuts avaient dû être rédigés.

 

Sous le règne de Louis XIV, le Conseil royal de commerce, grâce surtout à l'initiative de Colbert, porta une attention toute spéciale sur les manufactures, d'étoffes de laine, et prit diverses mesures pour réglementer la fabrication et la vente des draps dans toute l'étendue du royaume. Des statuts homologués par le Conseil-d'Etat, furent mis en vigueur dans la plupart des villes manufacturières, et, sur un nouveau rapport de Colbert, le Conseil royal de commerce rendit un arrêt, en date du 14 mai 1667, portant que ces règlements seraient exécutés rigoureusement en tous lieux, - afin que toutes les pièces de même étoffe fussent uniformes dans tout le royaume en leurs longueur largeur et qualité. Pour arrivera ce résultat , il fut ordonné que chaque pièce de draperie, avant d'être mise en vente , serait soumise à l'examen de maîtres jurés, qui en constateraient la qualité et le métrage, et ensuite y apposeraient le plomb royal indiquant que cette pièce satisfait aux conditions exigées par les statuts.

 
         
 

L'exécution de ces mesures rencontra des obstacles dans certaines contrées, notamment en Normandie et dans d'autres provinces avoisinantes, où l'on continuait à fabriquer des étoffes plus étroites que ne le comportaient les règlements, ce qui motiva un nouvel arrêt du Conseil, et une ordonnance royale, en date du 14 avril 1669, enjoignit derechef l'ordre aux maires, échevins et juges de police, de tenir exactement la main à l'exécution de l'arrêt du 14 mai 1667, de rttire visiter les pièces d'étoffes exposées en vente dans les foires et marchés, et de saisir et confisquer celles qui ne porteraient pas l'empreinte du sceau royal. Au mois d'août de la même année, le roi attribua exclusivement aux maires et échevins la juridiction des manufactures de draperies; mais, dans certaines villes, les officiers des présidiaux cherchèrent à empiéter sur les pouvoirs ainsi conférés aux échevins, et il fut nécessaire qu'une nouvelle ordonnance intervint pour mettre fin à ces conflits. Un arrêt , rendu en Conseil-d'Etat présidé par le roi à Saint-Germain-en-Laye, le 27 juillet 1770, confirme aux maires le droit de juridiction sur les manufactures, et défend aux officiers des présidiaux, ainsi qu'à tous autres justiciers, de rien entreprendre sur ladite juridiction, troubler ni empêcher lesdits maires et échevins en l'exercice d'icelle, directement ou

 
 
 

indirectement, à peine d'interdiction et de 100 livres d'amende; enjoint auxdits maires et échevins de vaquer incessamment à l'exercice de ladite juridiction et de tenir la main à l'exécution des règlements généraux des manufactures ; et aux maîtres des requêtes départis par Sa Majesté dans les provinces, de leur donner toute protection nécessaire; ordonne qu'à la diligence des maires et échevins, tous les contrevenants au présent arrêté seront assignés en Conseil en vertu d'icelui, pour n voir déclarer lesdites peines encourir contre eux; etc. De plus, le roi se réservait exclusivement la connaissance, en son Conseil royal de commerce, des appels qui pourraient être formulés à cette

occasion.

 

Il m'a paru utile. Messieurs, de rappeler ces faits généraux qui peuvent servir à l'intelligence de ce qui va suivre.

 

Pour obéir a l'ordonnance du 11 mai 1667, les maitres drapiers de Cherbourg se réunirent, le 10 avril 1668, par devant Philippe Lohier, sieur de Noiremare, et Jean Sanson, sieur de Saint- Jean , maire et échevin de cette ville , et arrêtèrent des statuts et règlements contenus en 43 articles. Le début de ces statuts est tellement remarquable par la naïveté de la rédaction et par l'esprit religieux qui y domine, que je crois devoir le reproduire ici textuellement :

 

Art. 1. Il est expressément défendu à tous maîtres de manufactures de draperies de travailler ou faire travailler aucuns ouvriers pour quelque sujet ou quelque prétexte que ce soit, les jours de dimanche, fêtes annuelles, fêtes de la Vierge et des Apôtres, à peine de 10 livres d'amende, ni d'aller au cabaret pendant le service divin , sous les mêmes peines.

 

Art. 2. Comme aussi à tous maîtres de moulins et à tous foulons , de faire travailler aucun moulin à drap, les jours de dimanches et fêtes spécifiées, depuis un minuit de la veille jusqu'à l'autre, à peine de 4 livres d'amende.

 

Art. 3 Défenses très expresses sont faites à tous maitres 9 de manufactures et à tous ouvriers d'exposer en vente, » comme aussi à tous marchands de cette ville , des feubourgs et environs (ficelle , et à tous marchands forains, d'acheter ou de fjûre acheter par qui que ce soit aucunes pièces de marchandises les jours de fêtes ci-dessus, à peine de confiscation d'icelles au contrevenant et de 100 livres d'amende.

 

Art. 4. Tous maîtres travaillant ou faisant travailler seront obligés de se trouver à l'église la veille du jour et fête de Monseigneur saint Nicaise , en octobre , où se diront les premières vêpres , et le lendemain , au service solennel qui sera dit et célébré en ladite église , et le jour en suivant y sera dit un service pour le repos des âmes des défunts maîtres dudit métier, auquel, comme aux autres services, seront tenus se trouver tous les maîtres de la communauté, à peine de 5 sols d'amende contre chacun défaillant ; et , arrivant le décès d'un desdits maîtres du métier ou de leurs femmes, leur corps sera accompagné des maîtres jurés en charge, qui seront à cette fin avertis et tenus en avertir tous les autres maîtres de la communauté pour s'y trouver pareillement, et d'y faire porter les torches et luminaires accoutumés appartenant à la confrérie.

 

Les articles suivants indiquent de quelle façon sera constitué le corps du métier des maîtres drapiers , tisserands et foulons. Tous ceux qui auront justifié avoir travaillé avant le 1 er janvier 1666, seront considérés comme maîtres, inscrits comme tels sur les registres de la communauté, prêteront serment, et prendront par écrit l'engagement de se conformer aux statuts

 

Art. 5. Les fils des maîtres seront dispensés d'exhiber aucun brevet d'apprentissage, pourvu qu'ils aient travaillé deux ans chez leurs parents et qu'ils aient atteint l'âge de15 ans. ils seront reçus sans payer aucune rétribution

 

Art. 6. Chaque maître ne pourra prendre qu'un seul apprenti par an

 

Art. 7. Les veuves des maîtres jouiront des mêmes droits que leurs maris

 

Art. 8. Les maîtres et ouvriers étrangers qui viendront s'établir à Cherbourg, devront fournir la preuve qu'ils étaient déjà reçus maîtres dans une autre localité , sinon ils seront tenus de faire deux années d'apprentissage; lors de leur réception dans le corps, ils paieront & la confrérie une somme de 30 sols, plus une livre de cire, et 15 sols à chacun des maîtres jurés, « sans aucuns frais de festin ni de présents »

 

Art. 9. L'aspirant à la maîtrise devra faire deux années d'apprentissage, après quoi les maîtres jurés en charge lui ordonneront un chef-d'œuvre qui sera reçu et examiné par eux et par six autres anciens maîtres. Si le chef-d'œuvre est trouvé bien fait, l'aspirant sera reçu maître et prêtera serment en cette qualité

 

Art. 10; mais, avant d'être inscrit sur le registre du corps, il paiera 30 sols à chaque maître juré et 15 sols à chacun des six autres maîtres, plus 4 livres pour le service de la confrérie; il paiera en outre 15 sols au greffier pour délivrance de son brevet signé par les maires et échevins de la Ville ; et ne pourront les maîtres jurés et anciens prétendre recevoir ou accepter dudit aspirant aucun don de festin ni présent , tant avant la réception dudit maître  qu'après , et seront tenus lesdits maîtres en charge les refuser et même empêcher, à peine de 48 livres parisis d'amende.

 

Art. 12. Chaque année , le jour de la fête du patron du métier, tous les maîtres s'assembleront pour procéder à l'élection de trois jurés, dont un maître drapier, un tisserand et un foulon, qui seront chargés de gérer les affaires de la confrérie, de faire célébrer les services, d'inspecter les manufactures, et de visiter les pièces de draperie. Ces jurés prêteront serment par devant les maires-échevins; ils seront aidés dans leurs fonctions par trois maîtres adjoints qui passeront jurés en titre Tannée suivante

 

Art. 13. Les jurés feront leurs visites ordinaires tous les quinze jours pour voir si les ouvriers n'emploient point des laines de mauvaise qualité, ou ne commettent point de fraude dans leur fabrication ; ils visiteront également les magasins pour s'assurer qu'ils ne renferment point des étoffes défectueuses, auquel cas ces marchandises seraient confisquées, et une amende infligée aux fabricants et aux détenteurs. Ils pourront faire ouvrir de force par le ministère d'un huissier, les magasins dont on leur refuserait l'entrée

 

Art. 14. En outre, les jurés feront chaque année six visites générales, tant en ville que dans les faubourgs et la banlieue, et dresseront un état de tous les ouvrier, ouvrières et apprentis employés dans les ateliers ; chaque maître leur paiera trois sols pour chacune de ces visites

 

Art. 15. Les jurés ne pourront entreprendre de procès

 

Art. 34. Ils s'assembleront avec leurs anciens deux fois par an pour examiner les affaires , arrêter teurs comptes et les communiquer aux «Mûres et échevins

 

Art. 35. Ils transcriront sur un registre les statuts , décrets et ordonnances concernant les manufactures, tiendront le rôle des maîtres et apprentis, et remettront les archives an bon état à leurs successeurs

 

Art. 36. S'il leur arrivait de causer quelque désordre et de troubler les ouvriers dans leur travail , ils seraient interdits pendant six mois et paieraient 100 livres d'amende

 

Fabrique de Cherbourg.

 

Si la pièce d'ètoffe est reconnue de mauvaise qualité ou mal confectionnée, elle sera immédiatement coupée en quatre morceaux et rendue au propriétaire, qui ne pourra l'employer que pour son usage et celui de sa famille , sauf toutefois son recours contre le tisserand ou le foulon à qui la faute serait imputable. Les contestations qui pourraient s'élever à cette occasion seraient réglées séance tenante et sans frais par les jurés et les échevins. Ce même article défend expressément à tout fabricant de vendre aucune pièce avant qu'elle n'ait été soumise à la visite , et marquée du plomb royal , à peine de confiscation de la marchandise pour la première fois, de 400 livres d'amende pour la deuxième fois, et en cas de récidive, sous peine d'être dégradé de son titre de maître. « Et en outre, défenses sont faites à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de donner retrait, prêter leurs noms et adresses, pour favoriser en ladite ville, faubourg et banlieue de Cherbourg, aucunes marchandises de draperie défendues, comme aussi empêcher ni faire empécher aucun maître ouvrier de travailler auxdites manufactures, à peine d'être procédé extraordinairement contre lui, et de 100 livres d'amende.

 

Les statuts s'occupent ensuite de la fabrication des étoffes, et règlent le nombre des fils de chaîne, la laize et la longueur que doivent présenter les pièces des diverses espèces de draps

 

Art. 17 à 20. Ils formulent des amendes contre les tisserands qui, « par négligence ou par malice, » laisseraient tomber des fils, ou feraient de vilaines lizières, ou n'auraient point bien étendu la chaîne

 

Art. 22, 25, 26; contre ceux qui n'auraient point brodé au métier le nom du fabricant en tête de la pièce (art. 21) ; ou qui fabriqueraient des étoffes pour leur propre compte (art. 23) ; comme aussi aux maîtres qui travailleraient pour le compte de leurs confrères (art. 26). Des amendes seront également infligées aux foulons qui feraient un foulage inégal, qui se serviraient de cardes au lieu de chardons (art. 31), ou qui mettraient à fouler du droguet avec du drap (art. 32), ou enfin qui héleraient les pièces afin de les allonger (art. 33). Aucun tisserand ne peut quitter son maître qu'il n'ait auparavant terminé l'ouvrage commencé, et par contre, un maître ne peut renvoyer un ouvrier sans l'avoir prévenu trois jours à l'avance (art. 27).

 

L'article 28 mérite d'être cité textuellement : - Tous ouvriers qui quitteront leur travail pour aller en débauche paieront 40 sols d'amende. Défenses sont faites à tous cabaretiers de leur donner à boire pendant les jours de travail hors les heures de dîner et de souper, à peine de 10 livres d'amende et de tenir prison trois jours durant. »

 

L'article 30 n'est pas moins remarquable : « Si aucun manufacturier met une autre marque ou applique la sienue à d'autre marchandise non fabriquée en ladite ville et faubourg de Cherbourg, il sera mis au carcan pendant six heures, avec un écriteau au dos, contenant la fausseté par lui commise, et condamné à 50 livres d'amende.

 

Je dois -encore transcrire en entier les articles suivants relatifs à la vente des laines : « Nul ne pourra acheter aucunes laines dans les abords ni avenues de ladite ville de Cherbourg ni dans les marchés, qu'après deux heures après midi, attendu que le marché n'ouvre qu'à midi, pour donner lieu aux ouvriers d'acheter desdites laines ce qui leur sera besoin ; et défenses sont faites aux regrestiers de fabrique ni faire fabriquer aucune pièce ni morceau de marchandises, à peine contre le contrevenant de 50 livres d'amende et confiscation de ladite marchandise

 

Art. 37. — Défenses très expresses sont faites à toutes personnes, sous quelque prétexte que ce soit, d'exposer aucun fil de laine ou laine prête à filer, en vente dans les marchés et en tous autres lieux, soit dans des maisons particulières de la ville, faubourg, et banlieue de Cherbourg et environs d'icelle, sans en donner avis aux maîtres jurés ; et en cas qu'il en soit trouvé, ceux qui les auront, tant l'acheteur que le vendeur, seront condamnés en 40 livres d'amende, et la marchandise confisquée sur celui auquel elle appartiendra

 

Art. 38. Les ouvriers, ainsi que les maîtres que leur indigence obligerait de travailler à façon pour compte d'autres maîtres, ne pourront s'approprier les marchandises et ustensiles qui leur seront coiffiés, sous peine d'être » punis corporellement comme voleurs domestiques » Ces objets ne pourront non plus être saisis chez eux, soit pour cause de dettes, soit pour tout autre motif ; mais les propriétaires auront le droit de les reprendre, nonobstant toutes saisies et oppositions

 

Art. 39 Conformément aux arrêts du Conseil-d'Etat des 4 juillet 1664 et 26 novembre 1665, les matière?, outils et métiers servant aux manufactures, ne pourront être saisis sur les fabricants pour quelque dette que ce soit, si ce n'est pour le loyer des maisons qu'ils occupent ; en conséquence, il est défendu expressément à tous collecteurs des tailles et de l'impôt du sel, comme à toutes autres personnes, de faire saisir sous aucun prétexte les matières et ustensiles garnissant une manufacture en activité de fabrication, et à tous huissiers et sergents d'en opérer la saisie, sous peine d'interdiction, de 500 livres d'amende, et de tous dépens, dommages et intérêts

 

Art. 40. Les amendes perçues en exécution des articles du règlement étaient partagées et distribuées comme suit : un quart pour la confrérie du métier, un quart à l'hôpital de la ville, le troisième quart aux maîtres jurés, et le dernier quart au dénonciateur

 

Art. 42. Chaque mois, il était tenu un conseil de police auquel assistaient les maires et échevins de la ville, les maîtres jurés n charge et 12 anciens maîtres. Les jurés y rendaient compte de leur gestion et du résultat des visites qu'ils avaient faites dans les ateliers « pour le tout donner par la compagnie son avis pour parvenir à perfectionner les dites manufactures et empêcher les abus qui s'y commettent, et du tout en informer M gr de Colbert, conseiller ordinaire du roi » en son conseil royal et de tous ses conseils, commandeur et grand trésorier de tous ses ordres, contrôleur-général des finances, surintendant de Sa Majesté et des manufactures de France

 

Art. 43. Ce dernier paragraphe indique clairement quel intérêt Colbert portait aux manufactures, et quelle influence il avait exercée sur les arrêts du conseil royal de commerce.

 

Telle est, Messieurs, l'analyse des statuts de la manufacture de draps de Cherbourg. Ces statuts nous montrent que cette fabrication était en pleine activité au milieu du XVIIeme siècle, et qu'elle devait être importante et occuper un nombre assez considérable d'ateliers.

 

Le passage de la biographie du curé Pâté, que j'ai rapporté en commençant, nous apprend d'ailleurs que le commerce des draperies était alors l'unique ressource de la population ouvrière de notre ville ; et je citerai encore, comme preuve de l'importance de cette fabrique, un document inédit, extrait d'un manuscrit de la bibliothèque communale, et dont je dois la communication à l'obligeance de notre collègue, M. Victor Le Sens.

 

Valognes et Cherbourg furent autrefois renommés pour leurs draps, qui avaient du corps et de la finesse; il s'en fabriquait il y a 30 ans 2,000 pièces à Cherbourg et presque autant à Valognes. Présentement les deux villes en fournissent encore ensemble 3 ou 400. On fait maintenant à Cherbourg une autre étoffe de laine appelée Mélinge, et qui vaut depuis 4 livres jusqu'à 4 livres 15 sols l'aune. Les 3 ou 400 pièces qui sortent annuellement de ces fabriques, sont consommées sur les lieux. Il s'y fabrique encore quelques toileries, comme coutils et mouchoirs, dont le principal débouché consiste dans la contrebande qui s'en fait aux iles de Jersey, Guernesey et Aurigny. — Cherbourg recevait autrefois de ces îles des laines qui passaient par contrebande; car elles jouissaient à droit de licence de cent milliers de laine que la métropole leur accordait; et cette faveur donnait lieu à l'exportation frauduleuse du double et même du triple. Cette laine étrangère, ajoutée à la nôtre en quantité et en qualité, se répandait à diverses fabriques de la Basse-Normandie. — Depuis le traité de commerce de 1782, les Anglais ont supprimé ce droit de licence, et nous sommes privés de cette ressource. »

 

Cette note, qui paraît avoir été écrite peu de temps après la date de 1782, indique déjà à cette époque la décadence de la manufacture de Cherbourg, qui finit par disparaître complètement au commencement de ce siècle, et dont maintenant il reste à peine un vague souvenir.

 

Il existe, je crois, à Saint-Pierre, aux Pieux et à Bricquebec, un petit nombre de tisserands qui fabriquent encore des draps très-grossiers pour la consommation locale ; mais aux environs même de Cherbourg, on ne trouve plus d'autre trace de cette industrie qu'un seul moulin à foulon situé à Tourlaville, et qui est employé uniquement au foulage des droguets que font tisser les habitants de nos campagnes.

 

Auguste LE JOLIS.