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Joachim Darsel -1986 Annales de Normandie
L'amirauté de Cherbourg est une ancienne circonscription administrative maritime de la Manche. Elle est créée par un édit de 1554. Elle s'étend alors de Cherbourg au Rozel, se développant sur « environ treize lieues de côtes » et englobant vingt-cinq paroisses.
La dénomination est encore parfois employée aujourd'hui pour désigner communément la préfecture maritime de Cherbourg. | ||||||
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| L'AMIRAUTÉ EN NORMANDIE AMIRAUTÉ DE CHERBOURG
I -LE SIEGE D'AMIRAUTE. II -EVOLUTION DU PORT. III -TRAFIC MARITIME, PECHE, PORTS SECONDAIRES. IV -GUERRE DE COURSE. V -DEFENSE COTIERE. VI -DROITS PERÇUS AU PORT DE CHERBOURG. VII -DROITS MARITIMES PARTICULIERS. VIII -SUPPRESSION DU SIEGE. | |||||
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Cherbourg quai de l'Amirauté, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
I -LE SIEGE D'AMIRAUTE. | ||||||||||||
— L'amirauté de Cherbourg doit son existence à la position exceptionnelle de son chef -lieu, en avant du continent, sur les grandes routes qui, des mers du Nord, mènent dans l'Océan Atlantique, à 130 kilomètres des côtes anglaises : situation stratégique sans nul doute tôt reconnue. Au XIe siècle, le duc de Normandie y percevait un droit de tonlieu, ce qui suppose l'existence à Cherbourg d'un commerce de quelque importance. Au siècle suivant, Cherbourg était le seul port de Normandie avec Rouen qui fût autorisé à commercer avec l'Islande ; mais cette faveur se limitait à l'armement d'un seul navire par an. Cherbourg participera très tôt aux armements en guerre de la province, à l'abri de son château. Otton de Toucy, nommé le 23 décembre 1295 amiral des galères, commandera une escadre mouillée à Cherbourg en 1296. La guerre de Cent Ans, qui verra le port et la ville passer et repasser des mains des Anglais à celles des Français, fera ressortir à la fois les avantages et les inconvénients des lieux. Au XVe siècle, Cherbourg comptera parmi les principaux ports d'ordre de la Manche : les navires affrétés y feront escale en attendant notification du lieu de leur chargement. Par ailleurs, la place se livre au trafic des vins de Bordeaux, à destination de l'Ecosse ; Jacques Cœur y effectue des achats de fer ; les premiers armements pour Terre-Neuve ont lieu en 1532. Sa prospérité naissante se verra cependant contrariée d'abord par les troubles civils (Réforme, Ligue, révocation de l'Edit de Nantes), mais encore et surtout par l'état rudimentaire de son port.
La double importance, stratégique et économique, du port de Cherbourg lui valut, dès le milieu du XIIe siècle d'être doté d'un officier spécial : un bailli portuaire, « ballivus portus maris» En 1366, on y constatait la présence de Simon Le Courtillier, « receveur des impositions et venues de la mer »; et, en 1369, celle de Raoul de Villers, garde de la prévôté de Cherbourg pour «Mgr l'admorail de Linières Par la suite, il est vraisemblable d'admettre qu'un représentant de l'Amirauté, doté de certaines attributions judiciaires, ait été établi en permanence, à Cherbourg. Nicolas de Guairet, écuyer, seigneur de Durescu, est lieutenant de l'Amiral de France au siège « du Val de Saire », en 1538. L'année suivante, en 1539, Jean de Flamichon est lieutenant de l'Amirauté à Cherbourg. En 1544, nous trouvons un sieur Clerc Gireult, avocat, greffier de l’Amirauté. Joachim de Matignon est capitaine de Cherbourg, sous les ordres de Charles de Mouy, vice-amiral, en 1545. L'édit de 1554 cite d'ailleurs notre ville, mais non Barfleur, dans l'énumération des sièges où Henri II ordonne la création, en titre d'offices formés, d'un lieutenant particulier et d'un procureur du roi, avec faculté pour ce dernier d'exercer son office cumulativement avec celui de la justice ordinaire des lieux.
Cependant, le premier lieutenant de l'amirauté de Cherbourg n'aurait été nommé qu'en 1557. Un siècle environ plus tard, le personnel du siège se composait, en outre, d'un procureur du roi, d'un greffier, de deux huissiers et deux sergents. Au cours du XVIIIe siècle, il se trouva complété par la désignation d'un maître de quai à Cherbourg et d'un autre à Diélette ; d'un professeur d'hydrographie ; de deux commis- greffiers, à Diélette et à Omonville ; d'un jaugeur de navires ; d'un aulneur et peseur pour la Marine ; de deux chirurgiens ; d'un apothicaire ; d'un courtier pour les Français ; d'un interprète pour les Anglais ; d'un archer de la Marine ; sans oublier le receveur des droits de l'Amiral. Le maître de quai percevait un droit d'entrée sur tous les navires. Le professeur d'hydrographie, à la nomination de l'Amiral, ne recevait d'autre rétribution que 6 livres par mois de chacun de ses élèves et 3 livres à leur réception en qualité de capitaines ; le courtier-interprète traitait de gré à gré avec les maîtres de navires ; le jaugeur était rétribué à proportion du tonnage des bâtiments. Il n'y eut jamais de pilotes-lamaneurs à Cherbourg avant le milieu du XVIIIe siècle, les maîtres et matelots pêcheurs en faisant l'office pour un prix à débattre. Enfin, deux chirurgiens examinateurs, choisis parmi les chirurgiens jurés, étaient chargés d'assurer l'exécution des ordonnances concernant le service médical à bord des bâtiments, de constater l'état sanitaire des navires entrant au port et d'examiner- les candidats au poste de chirurgien navigant ; de même un apothicaire, attaché à l'Amirauté, vérifiait le contenu du coffre de premier secours embarqué obligatoirement sur tous les navires.
En 1775, le personnel du siège d'amirauté de Cherbourg se trouvait ainsi composé : lieutenant, Pierre-Philippe Marion sieur de la Martinière ; procureur du roi, Thomas-Adrien Groult ; commis-greffier, Guillaume Henry ; huissier-audiencier, visiteur et priseur-vendeur, Guilmet. Etaient en outre porteurs de commission de l'Amiral : les sieurs Le Masson, commissaire aux Classes de la Marine ; Asselin, receveur des Invalides ; de Chantereyne père, receveur de l'Amiral ; les sieurs des Aulnez-Marion et Roussel, chirurgiens de la Marine ; La Bonde, apothicaire pour la Marine ; Postel, maître de quai ; Quoniam, jaugeur de navires ; Hervieu, courtier pour les Français ; Le Roy, interprète pour les Anglais ; De Rubery, commis du greffe à Diélette ; Le Royer, commis à Omonville ; Bonemain, maître de quai à Diélette ; Hervieu, aulneur et peseur pour la Marine ; l'archer de la Marine du département. On dénombrait dans le ressort : 71 capitaines au long-cours ; 32 maîtres pour le petit cabotage ; 20 maîtres charpentiers, calfateurs et perceurs de navires ; 18 maîtres tonneliers ; un cordier et un « pou- leyeur».
Mais à Cherbourg, port mixte, port de commerce et port de guerre, aux côtés des officiers d'Amirauté mais totalement indépendants de ces derniers, coexistaient de nombreux représentants de la Marine royale : un commandant de la Marine ; un commissaire ordonnateur ; un commissaire des Classes ; un ingénieur directeur des fortifications ; un directeur des vivres ; un capitaine de port ; un chirurgien affecté au service de l'hôpital de la Marine établi au Galley, en 1688, etc., etc. En général, les officiers de la Royale faisaient bon ménage avec ceux du siège ; sauf, parfois le capitaine de port, qui disputait au maître de quai certaines des attributions confiées à ce dernier. Ajoutons, pour compléter ce tableau du personnel portuaire, la présence à Cherbourg d'un inspecteur-général des Tabacs et celle d'un capitaine des Fermes, commandant la patache armée pour la répression des fraudes.
Au XVIIIe siècle, le ressort de l'amirauté de Cherbourg s'étendait sur douze grandes lieues. Il comprenait les paroisses de Cosqueville, Saint-Pierre-Eglise, Fermanville, Maupertus, Bretteville, Digosville, Tourlaville, Cherbourg, Sideville, Nouainville, Octeville, Equeurdreville, Hainneville, Querqueville, Nacqueville, Urville, Gréville, Omonville «le Grand» (la Rogue), Digulleville, Omonville « la Petite », Saint-Germain des Vaux, Auderville, Jobourg, Herqueville, Beaumont, Vauville, Sainte- Croix, Vasteville, Héauville, Siouville, Tréauville, Flamanville, Le Rozel.
A l'origine, ce ressort ne s'étendait qu'à la rade, au havre et au port. Aussi, par la suite et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les officiers de l'amirauté de Barfleur prétendirent-ils que les limites de leur siège atteignaient les confins de la paroisse de Tourlaville, que la Divette sépare de Cherbourg ; auquel cas, presque tout le port de Cherbourg aurait relevé de l'amirauté de Barfleur. C'était là une prétention ridicule, aussi n'avait-elle jamais été suivie d'effet. Cependant lors de la visite du commissaire Marc-Antoine Chardon, député pour la visite des amirautés du Royaume, les officiers de Cherbourg lui signalèrent la position excentrique de leur siège et formulèrent le souhait qu'il fût transféré au centre d'un nouveau ressort... augmenté, par exemple, de tout ou partie de celui de Barfleur... alors qu'il se trouvait présentement à l'extrémité du sien.
Le commissaire-inspecteur, de son côté, constatait que de sérieuses différences étaient intervenues, depuis plus d'un demi- siècle, dans l'administration de la justice au siège de l'amirauté de Cherbourg. Alors que le commerce avait quadruplé, le nombre des affaires traitées se trouvait diminué d'autant ; et pourtant, il y en avait tellement autrefois que les officiers n'y pouvaient suffire et qu'ils en distribuaient aux avocats ; ils tenaient audience trois fois par semaine, tandis qu'en 1783, ils ne siégeaient plus qu'une fois tous les quinze jours ou toutes les trois semaines. La raison en était que, désormais les officiers accommodaient plus d'affaires qu'ils n'en jugeaient. Aussitôt qu'un procès était sur le bureau, on procédait à son règlement ; si l'affaire se révélait compliquée, on la jugeait « sous pièces vues, ou après avoir fait minutes ». La plupart des instances étaient touchées sans avocat ; lorsqu'une partie présentait requête on ordonnait sa communication à la partie adverse ; si celle-ci se contentait de la communication, en mettant sa réponse ensuite, on ne la signifiait pas. Et l'affaire était jugée « sur la raison des deux parties au pied de cette même requête»
A la fin du XVIIIe siècle, les officiers de l'amirauté de Cherbourg n'étaient l'objet d'aucune contestation de compétence pour l'excellente raison qu'il n'y avait en la ville ni siège royal ordinaire, ni juridiction consulaire, ni maîtrise des Eaux et Forêts, ni élection !. La juridiction des Traites, n'ayant pas d'officiers titulaires, ne faisait éprouver aucune difficulté à l'Amirauté. Les seuls sièges depuis le rattachement de la vicomte au bailliage de Valognes (1770) étaient la police municipale et le bailliage de haute justice de l'abbaye de Cherbourg, qui ne créaient aucun démêlé, «chacun ayant soin de se renfermer dans les bornes de sa juridiction ». En revanche, au sein même de l'Amirauté, un différend opposait les avocats aux officiers, les premiers contestant aux seconds le droit de commettre ceux qu'ils jugeaient à propos de les remplacer. | ||||||||||||
Cherbourg, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg café de l'Amirauté, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
II -EVOLUTION DU PORT.
— Celui-ci ne disposait, en tout et pour tout, que d'une jetée établie par Charles le Mauvais, roi de Navarre, en 1359, devant la tour Sarrazine, sur la rive gauche du chenal de la Divette. Dans le rapport qu'il rédige en 1686, soit deux ans après son inspection du littoral, Vauban loue la « position audacieuse et considérable » de Cherbourg qui est « une place de la dernière conséquence ». Mais tout y est à créer. Il n'y existe qu'un havre naturel formé par le confluent des deux petites rivières de la Divette et du Trottebec : point de chenal, de jetée ni d'écluse. Vauban proposera de creuser un arrière-port ou bassin à l'est de la ville ; de restaurer et d'élargir le pont, en y ajoutant des écluses de chasse ; d'établir une autre écluse au pied de la tour du Moulin, avec deux portes de flot ; un quai sur la partie orientale du bassin ; et, enfin, entre deux jetées, distantes de 30 toises l'une de l'autre, un chenal pouvant donner passage à des frégates de 36 à 40 canons.
Ce vaste programme de travaux demeura pour sa plus grande partie à l'état de projet et, jusqu'en 1736, Cherbourg ne posséda point de havre aménagé : les navires de pêche et de commerce se logeaient où ils pouvaient ; mais les corvettes et les frégates, plus exigeantes, n'y trouvaient point place. Aussi, l'ingénieur Roland de Caligny y construisit un bassin militaire muni d'une écluse de treize mètres de large qui fut terminé en 1743. D'importants ouvrages furent mis en chantier jusqu'à la guerre de Sept ans, où faute de fonds, ils durent être interrompus. A cette époque, la grande écluse du port et son pont tournant ; l'écluse de chasse du côté de la ville ; une bonne partie de la jetée de l'est et quelques murs de quai, tant dans l'avant-port que dans le bassin avaient été achevés.
Et tels quels, ces aménagements se révélèrent fort utiles à nos corsaires qui y amenèrent une bonne partie des prises faites dans la Manche. D'où la détermination anglaise d'y faire une descente. Le 8 août 1758, l'ennemi débarquait à Urville et s'emparait de la place sans la moindre difficulté. Pendant toute une semaine, il se livrait à des destructions systématiques, brûlant les navires se trouvant dans le port, les agrès contenus dans les magasins, les portes et le pont tournant. Puis il faisait jouer des mines qui ébranlaient jusque dans ses fondations la maçonnerie de l'écluse, celle de partie des murs de quai et de la jetée. Les pierres éboulées encombrèrent l'avant-port, puis les vases, que ne chassait plus le jeu de l'écluse. Après avoir pillé la ville et l'abbaye et prélevé, à titre de contribution, une somme de 40 000 livres, les Anglais se retirèrent, emmenant avec eux des otages et quelques navires marchands qui avaient échappé à l'incendie.
Ce désastre était venu démontrer, une fois de plus, la vulnérabilité du port et de la place de Cherbourg et l'urgence de les mettre à l'abri des entreprises de l'ennemi. Les aménagements portuaires plus ou moins totalement détruits demandaient une prompte réfection et une extension notoire si l'on voulait protéger des effets de la mer les bâtiments qui se risquaient dans le havre, alors réduit à un immense plan d'eau qui s'étendait jusqu'au pied de la montagne. Avec l'aide de la troupe, on commença tout d'abord, par relever les ruines puis par rétablir le port dans son ancien état. On reprit enfin un projet, dressé un siècle plus tôt (1665) par l'ingénieur Beaudouin, qui consistait à fermer le port par une chaussée en pierres perdues de 250 toises de long sur 48 de haut et 64 de large. Un commencement de réalisation eut lieu de 1784 à 1788, où 18 (sur les 90 prévus) caissons de chêne tronconiques de 148 pieds de diamètre à la base, 60 pieds au sommet et de 60 pieds de hauteur furent immergés, après avoir été remplis de pierre, dans l'alignement île Pelée-Querqueville. Le résultat ne se révéla pas concluant ; et l'on en revint au système des pierres perdues. En 1789, la digue s'étendait sur près de quatre kilomètres, mais n'émergeait qu'au niveau des basses mers, ce qui, à mi-marée, provoquait une barre dangereuse. | ||||||||||||
Cherbourg, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg au 1er Empire, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
III -TRAFIC MARITIME, PECHE, PORTS SECONDAIRES.
— Alimenté par les produits des industries locales et par ceux de la campagne du Cotentin, le trafic maritime de Cherbourg, dans la première moitié du XVIIIe siècle est surtout assuré par le petit cabotage : 25 bâtiments, en moyenne, sont expédiés annuellement à Rouen avec des glaces de la manufacture royale; des cendres de varech pour les verreries ; des chiffons pour les manufactures de papier ; du beurre, des légumes, des blés, des huîtres, mais aussi des marchandises diverses en provenance du Midi ou des Antilles : café, sucre, riz, fanons de baleine, huiles, vins et eaux-de-vie. Ils ramènent des fers, de la laine, du coton, de la faïence, épicerie, craie, moulage, bouteilles de verre. D'autres bâtiments se rendent à La Rochelle, Bordeaux et Bayonne y porter des légumes, du lard, du beurre, des toiles, du bois et du charbon de bois ; ils font leurs retours avec des eaux-de-vie pour Le Havre, Rouen, Calais et Dunkerque ; ou du sel, pour Honfleur. D'autres encore vont prendre du sel au Croisic ou amener du lard, des pois et des fèves à Lorient, pour la Compagnie des Indes.
Cherbourg effectue des échanges réguliers avec Saint-Malo ; il lui expédie des bois de construction, du charbon de bois, du carreau ardoisé pour parquet et lui prend des vins et « provision de Carême », des huiles, raisins, amandes, olives, anchois, câpres, morues sèches et vertes, laines, savons, cuirs, cordages, toiles à voiles, ardoises de Châteaulin, etc.. A Ostende, Bruges, Amsterdam, on expédie des huîtres ; et des toiles de Saint- Pierre-Eglise, à Jersey, Guernesey et Aurigny. Enfin, en 1730, pour la première fois, un navire de Cherbourg est mené à Bordeaux pour faire voile à destination des îles d'Amérique.
Les éléments du trafic ni leurs destinations ne varieront guère dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. A l'exportation, on notera surtout des soudes de varech, des glaces et des salaisons, sans oublier les produits agricoles et autres denrées alimentaires, pour Rouen et Le Havre d'où Cherbourg recevra des cordages, des fers, du sucre, du café, du lard. En revanche, les échanges avec les îles françaises de l'Amérique se multiplieront : entre 1764 et 1777, Cherbourg y expédiera 29 navires consignés, il est vrai, au Havre ; dont 3 en 1770, 4 en 1772, 6 en 1775 (35). A la fin du XVIIIe siècle, notre port recevra environ par an 200 navires français et 100 étrangers ; mais bon nombre d'entre eux ne viennent qu'en relâche ; et il en arrive ou il en part beaucoup plus sur lest qu'en cargaison.
Dès la première moitié du XVIe siècle s'étaient effectués quelques armements pour la grande pêche à Terre-Neuve ; mais celle-ci ne connaîtra guère de vogue à Cherbourg et le nombre des bâtiments morutiers dépassera rarement trois à chaque campagne des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1734, trois terre-neuviers de 60 à 75 tonneaux et 14 à 15 hommes d'équipage vont prendre leur sel à Saint-Martin-de-Ré et vendre leur pêche à Honfleur, Le Havre et Dieppe.
La pêche à la baleine, si florissante sur les côtes du Cotentin dans les premiers siècles du moyen âge, connut une nouvelle vogue dans la seconde moitié du XVIIe siècle : en 1670, le sieur de Tourla ville possédait deux bâtiments, l'un de 400 tonneaux, l'autre de 150, spécialement équipés pour la capture de ces cétacés.
Quant à la pêche côtière, elle était de fort peu d'importance : la flottille locale comptait au plus 8 à 10 unités de un à deux tonneaux chacune. Par contre, les pêcheurs des environs et ceux des amirautés voisines apportaient la quasi-totalité de leur poisson à Cherbourg où se faisait un commerce considérable. Pour la police de la pêche, les officiers du siège étaient assistés de quatre gardes-jurés, élus chaque année par les marins des lieux et paroisses ci-après : Cherbourg, un ; Equeur- dreville et Querqueville, un ; Omonville, un ; Digulleville, Her- queville et Flamanville, un . Ils procédaient à la visite des filets et à la destruction des engins prohibés par les ordonnances.
Des trois ports secondaires de notre Amirauté, Diélette, Omonville et le Becquet, seul le premier nommé connut aux XVIIe et XVIIIe siècles une prospérité relative. Etabli à l'embouchure d'une petite rivière dont il porte le nom, en la paroisse de Flamanville, ce havre naturel se nichait dans un creux, entre des rochers plats que la mer couvrait et recouvrait à toutes les marées, ce qui rendait son accès difficile. Sa rade se révélait très dure et très dangereuse par vents de nord-ouest. Néanmoins, ou plutôt en raison même de ces défauts qui rendaient impossible toute surveillance effective et constante de la part des pataches des Fermes, Diélette, au XVIIe siècle, devint un des principaux centres de la contrebande des eaux-de-vie avec l'Angleterre. Aussi devant leur incapacité à réprimer cette industrie prohibée, que dirigeait la petite noblesse locale, les fermiers intervinrent près de l'intendant Foucault qui décida d'interdire le port à tout commerce. Cette solution draconienne, si elle décapitait la fraude, lésait aussi les intérêts des populations de l'arrière-pays. Et, le 28 décembre 1717, les habitants de Flamanville en sollicitèrent la main-levée dans une requête à l'intendant où ils exposaient que cette interdiction entraînait leur ruine complète en les obligeant à transporter par voie de terre à Carteret, Portbail et Cherbourg les marchandises qu'ils recevaient de Saint-Malo, du Mans, de Rouen et autres pays étrangers. Transmise au Conseil d'Etat, avec l'appui du marquis de Flamanville et l'avis favorable du Conseil du Commerce, la requête obtint satisfaction par arrêt du 12 février 1718. Les Fermiers Généraux n'y mirent aucune opposition mais exigèrent, avant sa réouverture, l'établissement d'un bureau au port de Diélette. Le seigneur du lieu, de son côté, avait entrepris, dès 1715, à ses seuls dépens, d'importants ouvrages, qu'il fit poursuivre pendant une douzaine d'années, dont une jetée de 60 à 70 toises de long. En 1731, le port abritait deux brigantins de 10 à 12 tonneaux ; une gabarre de 6 tonneaux ; quatre bateaux de 2 à 4 tonneaux ; une barque de 60 tonneaux était en construction. A l'époque, Diélette se livrait à un commerce actif de pierre de taille, bois de construction, pois, fèves, blé, toile, bestiaux, volailles avec Saint-Malo, Rouen, Jersey, Aurigny, Guer- nesey et les ports de la côte sud de l'Angleterre. Ses navires ramenaient de la morue sèche, des huiles, du moulage, du plâtre, etc..
En 1751, Diélette devint port du roi et le gouvernement de Normandie en prit possession ; on s'empressa d'y effectuer divers travaux de réparation et de défense. En 1783, il y entrait seulement une vingtaine de navires, non compris les petits caboteurs de Cherbourg qui venaient y chercher des soudes de varech pour les porter à Rouen, Cherbourg et autres lieux. Un projet de contrebande officielle avec les îles anglo-normandes, établi par le gouverneur de Cherbourg, Dumouriez, fut formellement désapprouvé par le duc d'Harcourt, gouverneur de la province.
Omonville-la-Rogue n'était qu'un modeste port de refuge ; il recevait, bon an mal an, une douzaine de navires anglais qui venaient y prendre divers produits agricoles ; ses exportations comprenaient en outre des soudes de varech destinées à Rouen et Cherbourg.
En 1783, fut entrepris l'établissement d'un autre petit port, celui du Becquet, afin de pouvoir embarquer les matériaux nécessaires à la construction de la digue de Cherbourg. Il consistait en un abri de 54 mètres de long sur 40 mètres de large, parallèle au rivage. La jetée fut ensuite prolongée jusqu'à 290 mètres environ, et sa largeur portée à 50 mètres. En 1786, on édifia des quais, puis une seconde jetée de 90 mètres sur le rocher à l'est.
Enfin, sur toutes les côtes du ressort, la pêche du varech avait été permise, par déclaration du roi du 30 mars 1731, pendant une période de trente jours à choisir entre le troisième jour avant la pleine lune de mars et le troisième jour après la pleine lune d'avril. Pour le varech destiné à la fabrication de la seconde, sa coupe était autorisée du 15 juillet à fin septembre ; ainsi se trouvaient alimentées les verreries et glaceries locales. | ||||||||||||
Cherbourg, quai de l'Amirauté, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
IV -GUERRE DE COURSE.
— Lorsque marins et armateurs cherbourgeois ne pouvaient plus se livrer à la navigation marchande ou à la pêche, ce qui se produisait avec l'ouverture de toutes nouvelles hostilités, ils n'hésitaient point à se livrer à la guerre de course, renouant ainsi avec une vieille tradition normande. Notre propos ne saurait être de conter par le détail les heurs et les malheurs des corsaires cherbourgeois dont l'histoire demeure à écrire. Accordons une mention spéciale à Malesard qui, en 1588, s'empara de l'île d'Aurigny, qu'il ravagea ; et à Antoine de Briqueville (1635-1674). Et citons, entre autrescapitaines : Félix Bourdon, Joachim Clemens, Jacques Cléret, Nicolas Darras, Augustin Dorange, Duchemin, Julien Fouquet, Henri Jallot, sieur de Saint-Martin, François Le Gay, sieur de Néville, François Le Terrier, Jean Quiévastre, Pierre- Joseph Régnier, Pierre Viel, etc., etc. Leurs navires s'appelaient l'« Aimable », la « Bonne-Françoise », la « Bonne-Ninon », le « Conquérant », le « Brave », le « Duc de Penthièvre », l'« Infaillible », le « Jupiter », le « Phoenix », la « Moustache », la « Moqueuse », la « Victoire ». Ils avaient pour armateurs les sieurs François Bronne, Cresté de Valaval, Michel Le Boisse- lier, Jean Le Prieur, Jean-Baptiste Le Bailly, Baptiste Dutot, Le Mercier et Charles Hébert. Rares furent les exploits de nos écumeurs de mer. Car nous ne saurions qualifier ainsi la capture par la « Marie-Anne », en 1756, d'un navire anglais qui chargeait à Omonville des marchandises diverses pour Aurigny ; ni celle d'un bateau-pêcheur de Quinéville qui arborait un pavillon anglais et se trouvait démuni de tout papier.
La situation de Cherbourg qui en faisait, bien souvent, le port le plus rapproché pour tous les corsaires qui opéraient dans la Manche, lui valut de recevoir de très nombreuses prises dont eurent à connaître les officiers de l'Amirauté . Mais les ennemis, ceux de Jersey et de Guernesey surtout, ne demeuraient point inactifs. Lors de la guerre de l'Indépendance américaine, ceux-ci, déclarait Dumouriez, gouverneur de Cherbourg, se livrèrent à un « corsairage terrible » ; il estimait leur butin à 40 millions de livres et le nombre de leurs prisonniers 3 000. Bref, si les armements en course, à Cherbourg comme ailleurs, enrichirent certains particuliers, leur résultat global, lorsque les navires ne furent ni pris ni coulés, se révéla finalement fort peu rémunérateur. Voyons, par exemple, ce que donna la liquidation générale et définitive de la seule et unique course du bâtiment la « Victoire », liquidation effectuée le 7 mars 1782. Armé par le sieur Macé l'aîné, négociant à Cherbourg, et placé sous le commandement de Charles-François Le Vallois, notre corsaire mettait à la voile le 13 janvier 1781, s'emparait d'un navire anglais, le « Skylark », puis tombait aux mains de l'ennemi quelques semaines plus tard. La vente de sa prise rapportait net 3 685 livres 12 sous 9 deniers ; mais il en fallait déduire, au titre des dépenses communes entre intéressés et équipage, la somme de 539 livres 2 sous pour frais de « fahut » ou de buvette. Il restait donc à répartir 2 963 livres 3 sous 5 deniers, dont un tiers, 987 livres 14 sous 6 deniers revenait à l'équipage; le solde, 2 034 livres 9 sous 11 deniers, revenait aux intéressés ou actionnaires. Mais les frais d'armement et de mise-hors s'étaient élevés à 14 464 livres 10 sous 4 deniers, y compris les avances à l'équipage, montant à 2 873 livres, dont il n'avait point été fait raison sur le tiers lui revenant. Les frais de relâche atteignaient le chiffre de 3 350 livres 8 sous. Partant, les intéressés eurent à supporter une perte totale de 15 780 livres 8 sous 5 deniers | ||||||||||||
Cherbourg tranbordeur , CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg quai de Caligny, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
VIII -SUPPRESSION DU SIEGE.
— La suppression des amirautés particulières, décidée par l'Assemblée constituante dès le 6 septembre 1790, confirmée par une loi d'août 1791 relative à la police de la navigation et des ports de commerce, ne fut effective qu'à partir de 1793. Elle n'altéra guère la sérénité des officiers du siège de Cherbourg. Le ci-devant procureur Adrien Groult devait servir avec la même fidélité alternative, après la monarchie, la république, puis l'empire. Son indiscutable compétence lui avait valu l'estime de ses concitoyens et la considération des autorités. Le 28 septembre 1788, les syndics du département le priaient d'engager les officiers municipaux de Cherbourg à demander le rétablissement des Etats Généraux. L'année suivante, le sieur Groult, avec Frigoult, colonel de la miUce bourgeoise, était adjoint à MM. de Garantot, maire, et de Chantereyne, échevin, pour l'administration de la ville...
Quant au sieur Henry, ex-greffier de l'Amirauté, il mit une mauvaise volonté évidente à rendre les comptes de son dernier exercice, de même qu'à régler une somme de 206 livres 13 sous 4 deniers due pour arrérage de son greffe. Il prétextait que, depuis septembre 1790, date de la formation du Tribunal du district, l'Amirauté avait cessé toutes fonctions judiciaires et qu'il en était résulté des pertes considérables ; la recette des droits de navigation avait aussi éprouvé une grande diminution. Il déclarait donc ne pouvoir rien verser à la caisse de l'Amiral et concluait cyniquement : « D'après cet Exposé, je ne pense point rien devoir à M. Penthièvre, s'il perd 206 1. 13.4. suivant votre calcul, je perds infiniment davantage en perdant le Bénéfice que je retirois sur le prix de son bail. Il seroit en effet hors de toute justice que le fermier supportât seul une perte commandée par des circonstances majeures et que le propriétaire fut indemne». Joachim DARSEL | ||||||||||||
Cherbourg quai de Caligny , CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg rue de la Fontaine, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
V -DEFENSE COTIERE
— La protection du front de mer était assurée dans le ressort de l'amirauté de Cherbourg par deux forces armées locales : la milice bourgeoise du chef -lieu ; et, constituée par les habitants des paroisses martimes, la garde- côte.
La première s'appuiera sur le château, dont l'existence nous est signalée avant le règne de Guillaume le Conquérant
Puis lorsque la place se verra dotée d'un gouverneur et capitaine et d'une garnison de troupes réglées, les habitants veilleront aux portes et sur les remparts, puis dans les forts. A ce service volontaire étaient attachés divers privilèges et exemptions. Le service de guet et garde sera assuré par quatre compagnies à la fin du XVIe siècle, chacune servant à tour de rôle.
En 1721, Jacques de Matignon, gouverneur de Cherbourg, ordonnera la réorganisation de la milice sur le pied de huit compagnies et l'élection de nouveaux officiers. Cet accroissement de la force locale ne sera point du goût des habitants qui, en très grand nombre, s'abstiendront de répondre aux convocations, malgré la peine de vingt-quatre heures de prison prévue contre tout manquement. La municipalité proposera alors de remplacer cette sanction par une amende de 15 sous qui servirait à couvrir les frais de bois et de chandelle du corps de garde. Nos bons bourgeois, qui entendent vaquer à leurs affaires en toute quiétude, s'engagent, en cas d'acceptation de cette composition, à verser chacun une pistole par an entre les mains des receveurs de la ville. Matignon, outré d'une telle proposition, n'en consentira pas moins à ce que les bourgeois puissent faire faire leur faction par un homme du poste, pourvu que l'officier de garde y consente et que les remplacés demeurent au poste de garde pendant tout le temps de leur faction. Le gouverneur prendra sa revanche en 1723 : il cassera les officiers de la milice et accordera des brevets de capitaine à des personnes à lui. Mais le 2 juin de la même année, un arrêt du Conseil rétablira dans leurs fonctions les anciens officiers avec défense aux protégés de Matignon de les y troubler.
Désarmée lors de l'occupation anglaise d'août 1758, la milice bourgeoise fut remplacée en 1763 par une modeste garde composée de 8 fusiliers et d'un caporal et entretenue aux frais de la ville. Pour subvenir à cette dépense, le prix du sel fut porté à 6 livres le boisseau pour tous autres que les gros saleurs. Puis, la milice se reconstitua ; mais à partir de 1775, le service se fit aux frais personnels des citoyens. Le colonel et les officiers étaient propriétaires de leurs grades, achetés par leurs familles, en vertu de l'édit de mars 1694 confirmé par l'arrêt du Conseil du 7 juin 1723 ; le colonel avait l'attache du gouverneur de Normandie. Les habitants de Cherbourg assuraient donc avec le concours de la garnison du château, la défense de la place et de son port et prétendaient, de ce fait, être dispensés du service de la milice de terre provinciale et de la garde-côte.
A cette dernière incombait la surveillance et, éventuellement, la protection du littoral. Elle se recrutait dans les paroisses dites maritimes, lesquelles fournirent aux XVIIe et XVIIIe siècles, les effectifs de deux capitaineries, composées chacune de cinq compagnies : quatre, de f usiniers ; une, de canonniers.
En 1775, la capitainerie de Cherbourg ou 4e de Basse-Normandie, se recrutait dans 26 paroisses pour former les compagnies suivantes :
1) Bretteville, Digosville, Le Theil ; 2) Tourlaville, Le Mesnil-au-Val, Octeville ; 3) Equeurdreville, Nouainville, Hardinvast, Flotteman ville, Sideville, Martinvast ; 4) Urville, Querqueville, Gréville, Nacqueville, Hainneville, Bran- ville, Tonneville ; 5) Saint-Martin d'Omonville, Jobourg, Eculleville, Auderville, Digul- leville, Saint-Germain-des-Vaux, Omonville-la-Rogue (64).
La capitainerie de la Hague ou 5e de Basse-Normandie, prenait les hommes de ses cinq compagnies dans 23 paroisses :
1) Vauville, Herqueville, Biville, Beaumont, Sainte-Croix, Acqueville ; 2) Héauville, Vasteville, Teurthéville, Virandeville ; 3) Siouville, Tréauville, Helleville, Benoîtville, Sotteville, Saint- Christophe-du-Foc ; 4) Flamanville, Les Pieux, Grosville ; 5) Le Rozel, Surtainville, Pierreville, Saint-Germain-le-Gaillard (65).
Un service de canonniers gardes-côtes, fut mis sur pied en novembre 1779 et une école d'instruction créée à Cherbourg pour apprendre aux miliciens les premiers principes de l'artillerie. Mais ces troupes, dont l'entretien coûtait fort cher à la province (66), généralement mal armées et sans discipline, se révélaient d'une utilité toute relative lorsque s'effectuait un débarquement ennemi. On le vit bien, en 1758, lorsque, à l'exemple, il est vrai, des troupes régulières, elles refusèrent le combat et laissèrent les Anglais dévaster tout à leur aise le port de Cherbourg, cependant que le gouverneur, le comte de Raymond, avait abandonné la ville et gagné Valognes ; « et il aurait fui plus loin encore si le gouverneur de la province l'avait laissé faire... ». Au début de la guerre de l'Indépendance américaine, en mai 1778, deux vaisseaux anglais purent de même, pénétrer dans l'anse de Sainte-Anne et insulter impunément le pavillon français.
La milice garde-côte s'appuyait, en principe, sur un système défensif constitué de corps de garde, d'épaulements de terre et d'emplacements de batteries, les uns et les autres fort mal entretenus. Sur la côte, on trouvait des corps de garde à Néville, Réthoville, Cosqueville, Fermanville, au Becquet de Tourlaville, à l'anse du Marais, à Digulleville et à Saint-Germain-des-Vaux. Le fort d'Omonville protégeait la fosse de ce nom. L'anse de Saint-Martin était totalement dégarnie. En revanche, les abords de Cherbourg, à la fin du XVIIIe siècle, possédaient de nombreux et puissants éléments de dissuasion avec, d'est en ouest, les forts de Bretteville et de Digosville ; la redoute de Tourlaville, enterrée avec un fossé ; le Fort-Royal de l'île Pelée ; la batterie de l'Onglet ; les forts du Gallet, du Hommet, d'Artois ; la batterie Choiseul au hameau de la Belle-Croix, à Equeurdrevil- le ; le fort de Querqueville, etc...
L'Assemblée législative, cédant aux manifestations qui s'étaient produites en diverses localités contre les milices, abolit la garde- côte le 9 septembre 1792. Mais elle autorisa les commandants des circonscriptions maritimes à réquisitionner les gardes nationaux pour la défense des places et frontières, les réparations des fortifications, etc.. Les gardes nationaux ne témoignèrent point d'une combativité plus grande que celle des miliciens. En 1795, quelques petits corsaires anglais étaient venus mouiller à l'entrée du chenal de Diélette, à Flamanville, à portéede canon d'une batterie côtière. Les servants de celle-ci, « qui étaient à pilet l'orge ne jugèrent pas à-propos d'aller à leurs pièces parce que les ennemis ne faisaient en ce moment de mal à personne et qu'il eût été niais de les émouvoir... ». | ||||||||||||
Cherbourg la roche qui pend , CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg rue de la Fontaine, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
VII -DROITS MARITIMES PARTICULIERS.
— Les seuls droits particuliers perçus à Cherbourg sur les navires et marchandises étaient ceux de vicomte, prévôté, poids-le-Roy, mesurage et ancrage au profit du duc de Chartres, en sa qualité d'engagiste du domaine de Valognes et Cherbourg. Le marquis de Flamanville avait été maintenu, par arrêt du 4 novembre 1726, dans la possession d'une pêcherie exclusive constituée par un parc en pierre, situé sur le territoire de Siouville au nord du cap de Flamanville ; mais cette pêcherie, ruinée depuis plus d'un demi-siècle, était totalement abandonnée par son propriétaire.
Il n'en existait plus d'autres dans le ressort de l'Amirauté. Cependant, les Matignon, en qualité de gouverneurs de Cherbourg, exercèrent, jusqu'au dernier quart du XVIIIe siècle, un droit de pêche dans la Divette.
Quant aux seigneurs gravagers, fort nombreux dans notre secteur, ils ne cessèrent de prétendre, d'exercer ou de se disputer le droit de varech ou d'épaves, ce jusqu'à la veille de la Révolution. Et d'abord les abbés de Notre-Dame du Vœu, qui avaient haute, moyenne et basse justice et droit d'avoir vicomte, tabellions, huissiers, sergents d'épée et fourches patibulaires. Leur juridiction s'étendait à la ville de Cherbourg où siégeait leur bailli, à Equeurdreville, Octeville, Tourlaville, Digosville, Le Theil, Martinvast, Sideville, Brix, Tollevast, Hardinvast, Vasteville, Cosqueville, Saint-Paul-des-Sablons, Couville, Flottemanvil- le, Pierreville, La Haye-d'Ectot, Digulleville et Herqueville.
Lorsque Guillaume le Bâtard institua cinq nouveaux chanoines à Cherbourg pour assurer le service d'une église à construire hors de l'enceinte du château, il leur octroya en commun, outre de riches donations particulières, le droit d'épaves entre le Tharel et le Thar. L'étendue de ce « gravage » se trouvera tout autrement délimitée par les aveux et déclarations des abbés successifs de Notre-Dame du Vœu. Ceux-ci prétendront droit de varech, gravage et sauvetage sur le bord de la mer, depuis le pont de la paroisse de Hainneville jusqu'au Pont es Carettes de Tourlaville, pour les tenures riveraines de la Manche et devant Equeurdreville, Querqueville, Herqueville et Nacqueville. Mais l'exercice de ce droit leur sera contesté, tout au long de l'Ancien Régime, par les seigneurs du voisinage, par l'Amirauté, par le gouverneur de Cherbourg. Les abbés et religieux sortiront le plus souvent vainqueurs des procès qui leur seront intentés ; sauf toutefois lorsque, suivant le mauvais exemple donné par leurs adversaires, en violation formelle des ordonnances, ils se laisseront aller à piller les épaves et à entreposer clandestinement les objets qu'ils auront réussi à sauver des naufrages et échouements.
La liste des gardes-gravages reçus à l'Amirauté, nous donne les noms des fiefs du ressort auxquels se trouvait attaché le droit de varech ; soit : la baronnie de Cherbourg et fief d'Equeurdreville, le fief de Hainneville, les fiefs de Querqueville et Nacqueville, d'Urville, de Saint-Nazaire à Gréville, du Val Ferrand de Gruchy, d'Eculleville et de la Haute, les fiefs d'Omonville, du prieuré de Sainte-Hélène, de la comté de Beaumont, le fief Desnelin de Digulleville, Turqueville et Rantot, le fief du prieuré de Saint-Hermet, ceux de Biville, de la Foudre, d'Auderville, de Jobourg, de Vasteville, de Siouville et d'Héauville, de Flamanville, Tréauville et les Pieux, de Rouville, du Rozel et Bec- queville, le domaine du roi dans les paroisses de Saint-Martin et Gré- ville, et les terrains non fieffés appartenant au roi dans les paroisses dépendant de l'amiraué de Cherbourg .
Les seigneurs de ces fiefs défendaient âprement leur droit contre tout empiétement des voisins. Or leurs domaines étaient mitoyens ; et les épaves, au hasard des vents et des courants, erraient parfois d'un gravage à l'autre. Et c'était à qui s'en emparerait le premier. D'où des contestations sans nombre et d'interminables procès. Malheureusement ici comme par toute la Normandie et la Bretagne, le pillage des épaves étaitpratique courante, si le massacre de naufragés ne précédait que rarement la mise en coupe réglée des navires perdus. En 1783, la seule contestation en suspens devant l'Amirauté concernait un naufrage survenu le 8 novembre 1781, à la tête de la jetée de Cherbourg. L'épave n'ayant fait l'objet d'aucune réclamation, une instance fut portée devant le bureau des Trésoriers de France à Caen ; elle mettait en cause le receveur du domaine de Valognes, l'abbé de Notre-Dame du Vœu et les représentants du duc de la Vallière, concessionnaire de la forêt de Brix. Le receveur du domaine prétendait que dans la plupart des paroisses du ressort de Cherbourg, il y avait des terres relevant du roi et non des seigneurs, auxquelles se trouvaient attachés des droits de gravage. | ||||||||||||
Cherbourg rue Tour Carré , CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
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Cherbourg place du Château, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
VI -DROITS PERÇUS AU PORT DE CHERBOURG.
— L'entretien des ports de Cherbourg et de Diélette était assuré aux frais du roi, sous la direction des ingénieurs des Ponts et Chaussées : aucun droit n'était perçu à cet effet. Non plus que pour le lestage : on lestait avec du sable que l'on prenait au bord de la rivière, ce qui en élargissait toujours le lit ; ou avec du galet que la marée rejetait au plein. Le lest, tant de sable que de galet, se débarquait sur le rivage, au-dessus du niveau des plus hautes marées. A la fin du XVIIIe siècle cependant, le capitaine ou maître de quai et le capitaine de port (celui-ci relevant de la Marine royale) indiquaient des lieux de lestage différents aux maîtres de navires, d'où des heurts fréquents entre ces deux officiers. Les lests abandonnés avaient été accordés au maître de quai.
Le tarif des droits du maître de quai s'établissait ainsi : pour toute entrée de navire du port de Cherbourg ou de la province, 5 sous ; pour tous autres navires français, 10 sous ; pour les navires étrangers, au-dessous de 30 tonneaux, 10 sous ; au- dessus de 30 tonneaux, 1 livre 10 sous ; pour tous navires du lieu que l'on faisait chauffer, pour les caréner, au-dessous de 30 tonneaux, 1 livre 10 sous ; au-dessus de 30 tonneaux, 3 livres. Les navires français forains et les navires étrangers payaient le double.
Le jaugeur était rétribué à raison du tonnage ; soit, pour les grands bâtiments, 3 livres 5 sous ; pour les moyens, 2 livres 5 sous ; pour les petits, 1 livre.
A partir de 1775, un droit de feu, fut établi à Cherbourg pour couvrir les frais d'entretien de quatre phares édifiés sur les côtes normandes par les soins de la Chambre de Commerce de Rouen : ceux de Barfleûr, du cap de la Hève (deux tours) et du cap d'Ailly. Le phare de Barfleur, placé sur un rocher battu et couvert par la mer, à la pointe de Gatteville, consistait en une tour circulaire de granit, haute de 85 pieds, portant une lanterne de 15 pieds. La base de cette tour était protégée contre les flots par un mur ceinturant la plateforme pavée au centre de laquelle la construction était assise sur le nu du roc. Dans le soubassement, on avait aménagé un logement pour deux gardiens ainsi qu'un magasin pour le bois et le charbon. Les réchauds qui brûlaient à l'air libre furent entourés d'un vitrage en 1777 puis remplacés par des lampes à huile en 1782.
Des lettres-patentes du 31 décembre 1773 avaient fixé comme suit le droit de feu qui devait être levé à la sortie des principaux ports de la province : 6 sous par tonneau sur les navires étrangers ; 5 sous par tonneau sur les navires français faisant les voyages au long-cours.
Mentionnons, pour mémoire, les droits spécifiques d'Amirauté perçus à Cherbourg, comme dans tous les autres ports du royaume, au nom et au profit de l'Amiral de France par le receveur de ce dernier ; ainsi que ceux versés aux officiers du siège lors de leurs multiples opérations. Ajoutons cependant que le sieur Le Martinier, lieutenant général, lors de l'inspection du commissaire Chardon, fit observer à ce dernier « qu'ayant lu par curiosité une feuille de congé de presque toutes les Amirautés du royaume, il n'en avait pas trouvé deux où les droits de délivrance, enregistrement, etc.. (des congés) fussent uniformes ».
En conséquence de quoi, il s était permis d'en adresser un mémoire à l'Amiral, lequel mémoire fut remis à la commission établie par arrêt du Conseil du 14 mai 1767. Son intervention n'ayant été suivie d'aucun effet, il formula près du sieur Chardon, le souhait qu'un seul et même tarif fût établi pour tous les receveurs d'Amirauté du royaume | ||||||||||||
Cherbourg la plage, CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||